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LIVHE QUAI\ANTE-SEP'l'IEl\IE.
sur la Francc, il fallait lui tcnir tele, el Je re–
pousscr, sauf
a
trailer cusuitc, mcmc au prix de
grandes conccssionsauxqucllcs
Ja
Fraucc pouvait
se pretcr saus s'alTaiblir. Ces coucessions, il fal–
lail les accordcr aprcs des victoires, qui rendis–
sent
a
nos armes non pas lcur gloirc, désormais
impérissable, mais un prestige d'illl'incibililé
qu'elles 1•cnaient de pcrdrc. Ainsi fairc un der–
nier clTort, et aprcs cct elTort conclure la paix,
telle éloit l'opinion des hommcs éclairés. Mais
le sort des hommes éclairés cst d'étre rarerneut
écoulés, soit par les princcs, 'SOÍt par les peu–
plcs. La massc de la nalion, jadis si soumise et
trop soumisc
a
Napoléou, élail mainlcuant dis–
posée
u
blarner,
a
murmurer,
a
mal aecueillir,
en un mol, les nouvelles charges donl elle se
voyait meuacée. Les parcnts de ces cnfants qui
sur le champ de bataillc allaient devenir des
hél'os, se plaignaienl avec amerlumc, et dans les
lieux publics s'élevaient haulcmcnt contre les
conscriptions répélécs, contrc les guerres inccs–
saulcs, contrc des conquetes tellement loin–
laiocs, qu'n peine le pat1·iotisme pouvait·il s'y
iuléresser. Plus on desccndait dans les classes
inférieurcs, plus on lrouvait ce senliment pro–
noncé, parce que la souffraucc des appelsy étant
plus sentic, et l'intclligencc politique y étanl
moindrc, on n'y comprcnait pas aussi bien la
nécessilé d'un dernicr et immensc cfforl. Dans
les ruesde París, l'audacc élait devcnueextreme,
eLvraimcnt surprcnante sous un pareil régimc.
Un jeune homme de viugl-dcux ans, atteint par
la conscripliou, s'étanl placé dans le faubourg
Saiul.Anloine sur les pas de Napoléon, qui élait
alié
ii
chcval visilcr ce faubourg, osa lui adrcsser
la parolc, et, malgré le prcstigc qui entou1·ait
toujours sa personnc, lui ti11t le !angage le plus
offensant. La poi ice, ayant voulu l'arrclá, en ful
ernpccl1éc par la foule. Plusieurs fois des jcunes
gens saisis par la police ayant crié qu'ils élaicnt
des consc1·its qu'on cmmenait de force, bien
qu'ils fusscnt le plus souvent de simples malfai–
teurs, avaicnt élé clélivrés par le peuple. L'un
d'cux l'avait élé par les femmes de la halle, qui
1
elles seulcs avaient sufli
ii
désarmcr les agents
de la force publique, peu nombreux ce jour-la
dans le lieu ou Ja scene se passait. Les soldats
malades qui avaient
a
se rendrc de lcurs cascrncs
11
l'hópilal rnililairc, situé
ii
l'une des extrémités
de París, étaicnt obligés de travcrser toute la
villc pour y allcr. On avait vu plusd'une fois les
fcmmes du peuplc les enloure1·, les plaindre,
leur donncr des soins, et cricr que c'étaicnl de
nouvelles victimes de
Bonaparte,
comme on l'ap–
pclait des qu'onétait méconlent
1 •
On le refaisait
ainsi d'cmpcrcur général , et on lui ótait un
sceptre dont il usait sicruellcmcnt.
Ces dispositions étaient plus prononcées en–
core dans les campagncs, quoique s'y manifes–
tant d'une maniere moins bruyanlc, et princi–
palement dans les campagnes ou la conscriptiou
avait cu le plus de peine
a
s'élablii·, comme
cellcs de l'Ouest et du Midi, On comprcnd tout
ce que les récils de Moscou devaient ajouter
a
l'avcrsion pour le service mililairc, avcrsion qui
n'était pas naturclle en France, mais que lacon–
tinuité des guerres et les épouvantables elTu–
sions de saog avaient eommcncé
a
rendre géné–
rale. 'fransportés sous les drapcaux, nos jeuncs
conscrils étaient bicntót les soldats les plus gais
et les plus intrépidcs; mais avant d'y arriver ils
murmuraient, et leurs farnillcsjclaicntles hauts
cris, Le long du !\hin surlout, les récits des
militaires 1·evenant de l\ussie produisaient l'effet
le plus fücheux. On avait enlendu des hommes
appartcnant aux vieux cadrcs qui rentraient par
Mayence,direaux conscrits en routepour rejoin–
dre leurs corps ; "Ou allez.l'ous done? ...
a
l'ar–
" mée?.... Attendcz doneque l'Empereur vous y
" mene lui-meme,et enattendantrelourncz chcz
" vous '···" - Allusionoffensante au départ de
Smorgoni, que beaucoup de soldatsde la grande
armée n'avaient pas encore pardonné
a
Napoléon.
Ace mécontcnlementdes masscs se joignaient ·
de sombres préoccupations, de singulicrcs ter–
reurs. On propageait des bruits alarmanls, venus
cl'écbos en échos de Moscou jusqu'n Strasbourg
et
a
Maycncc. On prétendait que des maréchaux
avaicnt élé pris ou lués , que d'aulres étaient
fous, mourants ou morts. On racontait qu'il y
avait cuun combat sanglant entre la garde impé·
riale et l'armée; on
annon~ait
l'arrivée de bar–
bares féroccs prets
ii
fondre sur la France. En
Jtalie, par cxcmple, ou le mcrveilleux se mclait
11
la pcur, on répandait dans le peuple la pré–
diction d'unc submersion lotalc de la Péninsulc
talienne, et on disait que cettc Péninsule allait
ctrc cnval1ic par la Médilerra11éc et l'Adrialique
sortics de lcur lit. Chcz un peuplc superititieux
cetle absurde rumeur eausait un trouble indici-
' J'cmpruule
ces<létails~dcs
rappot·ls mititaires missous
lcsycux<lcNapoléon.