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LIVllE QUARANTE-CINQUIEME.

tion qu'il craignait de ne jp•s oblenir avee les

bonnes raisons qu'il arnit a foire valoir. 11 les

llalla méme jusqu'a s'aceuscr, en disant que tout

le monde avait commis des fautes, Jui eomme

les nutres, qu'il était resté trop longtemps 11

l\loseou, qu'il avait été séduit par Ja prolonga–

tion de Ja belle saison et Je désir de la paix;

qu'en réalilé la cause des 1·evers qu'on venait

d'cssuycr, e'était In lll'éeoeité et Ja rigueur de

l'hivcr; que e'était

Ja

un malheur plutót qu'unc

faute; qu'au surplus il fallait clre indulgent les

uns pour les aulrcs, se soutcnir, s'aimer, et rc–

prendre eonfiance; qu'il reparaitrait bientót au

milicu d'eux

a

Ja tele d'une armée formidable,

et qu'il leur rceommandait, en attendant, de

s'enlr'aider' et d'oliéir fidclernent

a

l\lurat.

Ces diseours tcrmioés, il les embrassa, ce qui

ne lui élait pcut·étre jarnais arrivé, el, s'enfon–

~ant

dans un traincau, suivi de lll. de Caulain–

eourt, du maréehal Duroe, du cornte Lobau, du

général Lcfcbvre-Desnouettes, il partil au mi–

lieu de Ja nuil, laissant ses lieutenants soumis,

a

pcu prCs convnincus, mais au fond constcrnés

et sans espéi'ance.

Le plus grand sccret devait etre observé jus–

qu'au Jcndcmain, afin qu'aucune nouvelle de

son départ ne pul Je précéder daos les lieu.<

qu'il allaiL travcrscr en gardant le plus rigou–

reux ineognito. Avant de partir il avait rédigé

le 29' bulletin, si célebre depuis, dans lequel,

parlant pour la premicre fois de la retraite, il

avouait la partie de nos malheurs qu'on ne pou–

vait pas absolument nier, les mettait sur le

compte de l'hiver, et rele1•ait l'historique de ses

revcrs par la belle et immortelle sccne du pas–

sage de Ja Ilérézina.

J.orsque Je lendemain 6 <léeen1bre on apprit

dans l'amiée Je dépa1·1de Napoléon, Ja stupéfac–

tion ful

grande,

car

~wcc

Jui s'évanouissait la

de1·nicre cspérance. Toutefois la nouvellc ne fiL

sensation que sur les hommes eapables de rélló–

chir, et auprcs de ecux·ei bien des raisons plai–

daient en favcur de la détcrmination que Napo–

Jéon venait de prendrc. Quant

a

la masse, le

sentiment était lellement amorti ehez elle, que

J'impression ne ful pas ce 11u'elle aurait éié en

toule autre eireonstanee. On continua done

il

cheminer machinalement devant soi, en dési–

rant d'nnivcr

n

Wilnn, commc un mois nupara–

vant on désirait d'arriver

a

Srnolensk. AWilna,

on se promcttait des vil'l'es dont, il est vrai, on

rnanquait un peu moins depuis c¡u'on était en

Lithuanie, et surtout des abris, du repos, et des

troupes organisées pour arrcter Ja poursuite

des fiusses. Mais ebaque jour venait aceroilre

les soufl'ranees de cette marche. En quittant

Molodcezno, le froid devint eneore plus rigou–

reux, et Je lhermomctrc dcseendit 1 50 dcgrés

Réaumur. L::i vic se serait interrompue mCmc

dans des corps saios,

ii

plus forte raison dans

des corps épuisés par la fatigue et les priva–

tions. Les ehevaux étaient presque tous morls;

quant aux hornmes, ils tombaient par centaines

sur les ehemins. On marchait sel'l'és les uns

contre les autres, en troupe armée ·ou désar–

mée, dans un silence de stupéfaction, dans une

tristesse profonde, ne disant rnot, ne rcgardant

ricn, se suivaot les uns les autrcs, et tous sui–

wint

l'av:mt-ga1·dc, qui suivait ellc-mCme la

grande route de Wilna partout indiquée. Ame–

sure qu'on marchait , le

froid,

ag:issant sur les

plus faibles, leur ótait d'abord Ja vue, puis l'ou'ic,

bientót Ja connaissance, et puis au rnoment

d'expirer, la force de se mouvoir. Alors seule–

ment ils tombaient sur Ja route, foulés aux

picds par eeux qui venaient aprcs cornrne des

eadavrcs ineonnus. Les plus fortsdu jour élaient

i1 Jeur tour les plus faibles du lendcmain, et

chaque JDUrnée emportait de nouvelles géné1·a–

tions de victimes.

Le soir au bivae, il en mourait par une au–

lre cause, e'élait l'aelion trop peu ménagée de Ja

chalcur. Pressés de se réehaulTer, Ja plupart se

hiilaient de présenter a J'ardeur des flammes

Jeurs extrémités glaeées. Laehaleur ayant pour

cfl'et ordinaire de déeomposer rapidcment les

corps que Je principe vital ne défend plus, la

gangrCnc se

mcUait

tout de suite aux picds,

nux mains, au visngc rnCmc de ccux qu'unc

trop grande impatience de s"approchcr du feu

porlait

h

s'y cxposcr sans préeaution. 11 n'y

nvnit de sauv'és que ceux qui par une marche

eontinue, par quelques aliments pris modéré–

ment, par quelqucs spiritueux ou quelques hois–

sons ehaudes, entretenaieut Ja circulotion du

sang, ou qui, ayanl une cxtrémité paralysée,

y

rappeloient la vie en la frictionnant a1•ec de la

ncigc. Ccux qui n'avaicnL pas cuce soia se lrou–

vaient paralysés le matin au momcnt de quit–

ter le bivae, ou de tout le corps, ou d'un rnem–

bre que Ja gangl'cne ovait attcint subitement.

D'autrcs, plus favorisés en npparencc, mou–

rnicnt au milicu d'une honne forlunc incspéréc.

Si, par cxcmplc, ils avaicnt trouvé une grangc

pour y passer la nuit, ils y allumaicnt degrands

l'c11x,

s'endol'maienl, Jaissaient )'incendiese eom-