LA BÉRÉZINA. -
MVEllBRE
1812.
micr pool étail réservé aux piélons et aux cava–
liers, le sccond aux voiturcs, s'cntassaient nrcc
une impatience délirante vcrs la double issuc.
Mais les pontonnicrs placés
a
la tele de cclui de
droite, étaient obligés de repousser lesvoitures,
et de leur indiquer le pool
il
gauche, situé
a
cent
toiscs plus bas. Si ce n'ciit été qu'unc affaire de
consigne, un aurait pu se rclilchcr, mais c'était
une 11éccssité absolue, puisque le pool de droile
était incapablc de portcr des voilurcs. Les mal–
hcureux, obligés de rebrousser chemin, ne pou–
\'aicnt romprc qu'avcc la plus grande peine la
colonne qui les pressait, et leur eJTort pour reve–
nir sur lcurs pas, opposé
il
l'e!fort de ceux qui
étaicnt impatients d'arriver, produisaiL une lutte
épouvantablc. Ccux qui réussissaicnt l1s'arrachcr
a ce conflit de dcux courants contraircs, se re–
jctanl de cilté, y lrouvaient une aulre massc lout
aussi scrrée, celle qui se dirigcait sur le pontdes
voitures. La passion de parvcnir aux ponts était
tcllc, qu'on avait bienlól fini par s'immobiliscr
les uns les aulrcs. Les boulels de l'cnncmi, tom–
bant au milicu de ccltc massc compacte, y tra–
~aient
d'a!freux sillons, et arrachaient des cris
de tcrreur aux pauvrcs fcmrnes, cantiniCrcs ou
fugiLivcs, qui étaicnt sur les
voitu1·cs
:wcc
lcurs
enfanls. On se scrrait, on se foulait, on montaiL
sur cc11x qui étaicnt trop faibles pour se soute–
nir, et on les écrasait sous ses picds. La prcsse
était si grande que les hommes a chcval étaicnt,
cux et lcurs monturcs, endangcrd'Ctrc élouffés.
De tcmps en tcmps des cl1c1•aux, dcl'cnus fu–
ricux,
s'élan~aicnt,
ruaicnt, écartaicnt ia foulc
et un momcnt se fnisaienl un pcu de place en
renvcrsant quanlité de malhcurcux. Mais hicn–
tót la massc se reformait aussi épaissc, ílottant
et poussant des cris douloureux sous les bou–
lets
1
:
spcetaele atroce bien foit pour rendre
odicuse, et
a
jamais exéerable, ccllc cxpédition
inscnséc!
L'cxccllcnt général Éblé, dont ce spcctaclc dé–
chirait le crour, 1•oulut rétablir un peu d'ordrc,
mais ce fut en vain. Placé a la téte des ponts, il
hichait de pal'lcr
a
la foulc, pour dégagcr au
moins les plus rapprochés, et lcur focilitcr le
moycn de passcr, mais ce n'oltait qu'a coups de
balonnetle qu'on parvcnail 11 se fairc écoutcr, et
qu'nrrnchnntquclqucs viclirncs, fcmmcs, cnfanls,
ou Llcssés, on réussissait
a
les amcncr jusqu'a
rcntrée du pont. Cctle cspccc ele résislancc
IJe parleicid'nprCsdcs relationsmanuscl'ilesc¡uisonlen
mcsmains,d qui sontdi:;nrsdctouteconfiance.
qu'on s'opposait ainsi les uns aux autrcs par
exccs d'ardcur, fut cause qu'il ne s'écoula pas la
moitié de ceux qui auraicnt pu profilcr des
ponts. Ilcaucoup, de gucrre lassc, se jelaient dans
l'eau, d'autrcs y étaicnt poussés par la foulc, cs–
sayaient de travcrscr
a
Ia nagc, et se noyaicnl.
D'autrcs, ayant cherché a passcr sur la glacc, la
rompaicnt par lcur poids, flotlaient dcssus qucl–
quc lcmps, et étaicnt crnportés au loin par le
courant. Et cet horrible conflit, aprcs aroir duré
toute la journéc, loin dediminucr, devcnait plus
horrible achaque va·ct-vicnt de la luttc engagée
entre Victor et Wittgenstein.
Viclor, qui en ccllc journée déploya le plus
noble
courngc,
en se voyant prCs d'Clrc forcé sur
sa droitc, ce qui cut amcné une a!Trcuse eata–
slrophe vcrs les ponts, résolut de tenter une ot–
taquc furicuse contrc le centre de J'cnncrni. 11
jeta d'abord une colonnc d'infantel'ie dans le
ravin, pcndant que Je g:Cnéral Fouraicr rcnouve·
lait
ii
gauchc une cliarge de cavalc1·ic des plus
vives. Un fcu épouvantablc de quarante picces
de canon accucillant subitcmcnt nos fantassins,
ils se dispcrscrent dans les broussaillcs du ravin,
mais sans fuir, se répandirent en tirailleurs, se
soutinrcnt
1
gagnCrcnt mCmc un pcu de tcrrain
sur les HtJSScs. Profitanl de la circonstancc, le
maréchal \lictor
lan~a
une nouvclle colonne, qui
se précipita dans le ravin, en 1·emonta le bord
opposé saosse romprc, assaillit la lignc russc, et
la
for~a
de reculcr. Au mémc instant, le général
Fournicr, cxécutaal une derniCrc charge de ca–
l'alcric, appuya ce mouvemcnt cL le rendit déei–
sif. Des ce momcnt, l'arlillcrie 1·ussc rcpoussée
cessa de portcr le désordre sur les ponts en
y
cnvoyant ses boulcls.
illais le général Dicbitch, ne voulanL pas se
tenir pour batlu, reforma sa ligne lrois fois plus
nombrcuse que Ja nOtrc, revint 3 la chargc, el
nous
ramcrrn
en
de~:\
du ravin, qui resta néan–
moins la limite des dcux arméco. Heureuscment
la nuit
commcn~ait,
cLclic sépara bicnlót les
combattanLs épuisés. De 700 a 800 chcvaux, le
général Fournier en conscrvaiL
il
peine 500; le
maréchal Viclor, de 3
a
9 millc fanlassins, en
COnSCl'l'ail
U
peine
D
millc, Ct de lOUS
CCS
bra\'CS
gens, llollandais, Iladois, Polonais surtout, qui
sétaicnt clévoués, et dont un grand nombre
seulcmcnt blcssés auraient pu clre sauvés, on
avait la clouleur de se dire que pas un ne pour–
ruit cLrc rccueilli, faule de rnoycns ele transport.
Les Husscs, cxposés en massc plus considérable
a
notro arlillerie, avaient pcrdu 6
a
7 mille