LA BÉRÉZlNA. -
NOvtMBRE
1812.
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tillerie. Par nrnlheur le pont de gauche desliné
nux voituresclianeelait sous le poids éuormcdes
charrois qui se succédaicnt sans intcr1·uplion.
Prcssé commc on était, on
n'avail
pas cu Je
temps d'équarrir les liois formant le lablier clu
pont. On s'était scrvi de simples rondins, qui
présentaient une surface inégale, et pour adou–
cir les rcssnuts des voiturcs, on avait mis dans
les crcux de la mousse, du ehanvre. du chaume,
lout ce qu'on avait pu nrrachcr du \'ill:ige de
Sluclianka. Mais les cheraux enlcvaient nvcc
leurs picds cctte espccc de liticrc, et les ressauts
étant redevenus trcs-rucles, les ehevalcls qui
portaient sur les fonds les ruoius solides avaient
íléchi, le tablicr avait formé des lors des onrlu–
lations, el
ii
huit hcu1·es du soir trois chcvalcts
s'étaicntabimés n1·eclcs voiturcs qu'ilsportaient
dans le lit de la Bérézina,
On ful obligé deremetlre a l'ouvrage nos hé–
roiques pontonniers, et de les fairc rcnlrcr dans
l'eau, qui était si froidc qu'a chaquc instant la
glace brisée se rcfornrnit, 11 falhit la rOlll(ll'C a
coups de hache, se plongcr dans l'cau,
et
place ·
de nouveaux chcvalets 3 une profondcur de six
a
sept pieds.quclqucfoisdehuitdans les cndroits
ou le pont avait iléchi. Elle n'était aillcurs que
de quatre
a
cinq picds. Aonze hcurcs du soir le
pont rcdevint praticable.
Le général Éblé, qui avait eu soin de tcnir
éveillés une moitié de ses hommcs landis que
l'autre dormait (lui vcillant toujours), fil con–
struire des chevalets dercdiangc afin de parcr
n
lous les accidcnts. L'événcmcnt pronva bicntót
la sagesse deccllcprécaution. Adcux he11rcs de
la nuit trois chevalcls cédcrent e11core au pont
de gauchc, eclui des voiturcs, et par malhcur au
milieu du courant,
In
oú la rivicre avait scpt ou
huit picds de profoudcur.
11
fallait de nouvcau
se mcltrc au travail, el ccttc fois exécutcl' ce
diflicile ouvrage au milicu des téncbrcs. Les
pontonniers grelottants de froid, mouranls ele
faim, n'cn pouvaient plus. Le vénérablc général
Éblé, qui n'avait pas, commc eux, la jcuncssc et
J'avantagc d'un pcu de rcpos pris, soufTrait plus
qu'cux, nrnis
il
avait la supériorité de sonñmc,
et
il
la leur communiqua par ses paroles.
11
fit
appcla leur dévoucmcnl, lcur montrale désaslre
assuré de l'arméc s'ils ne parvenaicnt a rétablir
le pont, et sa vcrtu fut écoutée. lis se mircnt
ii
l'reuvre avec un zclc admirable. Le génfral Lau–
riston, qui avait étécnvoyé par l'Empcrcur pou1·
savoir la cause de ce nouvcl aeci<lcnt, scrrait en
versant des!armes la main d'Éblé, et lui disait :
ce Degrncc, luitez-vous
!
car ces rclards nous mc-
11accnt des plus grands périls. • Sans s'impa–
tientcr de ces instanccs, le vicil Éblé, qui ordi–
nai1·cmcnt avait la rudcsse d'une ílmc forte et
fiCrc, luí répontlnit :niec douccur :
u
Vous voycz
ceque nous faisons...
n
et rctournait nonpas sti–
mulcr ses hommcs, qui n'enavnicnt pns bcsoin,
mais les encouragcr, les dirigcr, et quelqucfois
plonge1· sa rieillcssc dans cellc eau glacéc que
ltur jcuncsse supportait
a
peine. A six hcures
clu nrnlin (27 novcmbrc) ce sccond accidcnt fut
n'paré, et le pnssage du matériel d'artillcrie put
rccomnrcncer.
I.c pont de droite, consacréaux piélonset aux
fanlassins, n'ayant pas cu les mCmcs sccousscs
li
cssuycr, n';1vait pas ccssé un moment cl'Ctrc pra–
lic;ible, et on aurait pu fairc écoulcr dons cctte
nuit du 26 au 27 novembrc presque toutc la
massc désnrrnée.
~lais
l'attrait de quelqucs
grangcs, d'un peu de pnille, de quclqucs vivres
trouvés
a
Studianka, enavait
rclc1
u une grande
portie sur la gauchc de la rivicre. Q11oiquc le
froid c¡ui avait rcpris ne fut pas cncorc suílisa11t
pour arrCtcr l'cau couranlc, néanmoins tous les
maraisnux approches de la riviCrc étaicntgchts,
ce quiétait fort hcurcux. cai· sans cctte ci1·con–
slancc
On
n'aurail pas
pu
les frnncl1ir.
Ou
avait
done allumé sur la glace des marécages des mil–
licrs de fcux, et, pour ne pas allcr courir aillcurs
la chance de bivacs moins suppo1·tablcs, dix
ouquinzc mille individus s'étaicnt établis sur la
rivc gauchc snns vouloir laquitter, de nrnniCrc
que la nrgligencc des piétons rcndit inutile le
po11t de droitc, tandisque les dcux rnplurcs sur–
ven11es coup sur coup rendaicnt i11ulilc celui de
gauchc, pcndant cctte nuit d11 26 au 27, tcmps
précicux qu'on dcvait bicnlót regrctler amcre–
mcnt!
Le matin du 27, Napoléon trai•ersa les ponts
arce lout ce qui appartcnait
a
sonquarticr géné·
ral et allase logcr dans un pelit village, celui de
Zuwnicky, sur la rive rlroite, dcrriCi·c le corps
du nrnréchal Oudinot. Toutc la joul'llée il se tint
a chcv;iJ JlOllr nccéléJ'er Jui-mcme Je passnge des
divers détachcments de l'armée. Ce qui rcstait
du
1 ..
0
corps (princc EugCnc), du 5
11
(maréchal
Ncy), du
a'
(prince Poniatowski), du 8°(Wcst–
phalicns), passa dans cctte journéc. C'élaient
a
peine deux rnillc hommes pour chncun des dcux
prcrnicrs,cinr
011
sixccnlspour chacun des dcux
autrcs, c'cst-a-dirc dcu,\'.
Olt
trois ccntshommcs
armés par
régimc11t
1
pcrsislnnt
i1
se
l.cnir
UYCC
lcurs oflicicrs autour des aiglcs, <1u'ils conser-