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uvnE QUAnANTE-C11iQUIE!IE.
l'initialire du parti
a
proposer. Le général con–
naissait le cours de la Bérézina, qui cst bordéc
sur ses dcux rives d'unc zonc de maréc¡¡gcs de
plusieurs millc loises de largcur, et il soulinl
a
l'Empereur qu'il fallait renonccr o percer par
Borisow mCme, puree que les Russcsbrúlcraicnt
le pont de ectte villc s'ils ne pouvaient le défcn–
drc, et au-Ocssousde Borisow, parce que le pays
en desccndant la Jlérézina étail toujours plus
IJoisé
et
plus mnrécagcux. Ce n'étaicnt pns scu–
lcmcnt les ponls sur les raux cou1·antcs qu'on
trOU\•crait coupés, mais les ponts sur les mnrais,
beaucoup plus longs et plus diflir.ilcs 1 franchir.
Au conlrilirc, en rcmontant laBérézinavcrs son
point de jonction avec l'Oula, dans lrs cm·i1·ons
de Lcpcl, on arriverait o des cndroils oli ccllc
rivicrc coulait sur des sables, dans un lit peu
profond, et on la franchirait avcc de l'caujusqu'o
la ceinturc. Le général Dodc aflirmait que jamais
le 2° corps, auqucl il élait attaché, n'cn avail élé
cmbarrassé dans ses nornbrcux mouvemcnls. 11
proposa done o l'Empercur d'appuycr o droile,
de rallicr, en rcmonlanl la Ilérézina, Víctor el
Oudinot, de passcr sur lecorps de Willgcnstcin,
et, ce détour terminé, de rcntrcr aWilna par la
roulc de Gloubokoé.
Napoléon, ma!gré ce qu'on luí disait, n'a,·ait
pas cncorc pu détachcr son esprit de la route de
Miusk, la plus bcllc, la mieux approvisionnée,
sur laquellc il étail ccrtain de rallier, outre Vic–
tor el Oudinot qui élaicnt déja prcsquc réunis
n
lui, le princc de Schwarzcnbcrg et Rcynier, el
pouvait se ménngcr une conccntration de forces
de
no,ooo
soldats armés. 11 adrcssnit deux objcc–
tions
ii
la proposition du général Doclc: pre111ic–
rcmcnt la longueur du détour qui l'éloignait de
Wilna, el l'exposnit 1 y étrc prévenu par les
Russcs, et secondement In rcneontre probable
dans celle direction de Wiugenslein et de
Steinghel, que Víctor el Oudinol n'avaienl pu
vainero
i1
cux. deux. Le général Dode répondait
que probablerncnt on éviternit les deux généraux
russcs, que d'ailleurs ils n'au1·nient pas vcrs les
sourccs de In Bérézina un lcn·ain aussi facilc
li
dCfcndrc que sur les bo1·ds de l'Ouln, et n'osc–
raient pas tcni1· lorsqu'ils ve1Tnienl Nnpoléon
réuui aux maréchaux Viclor et Oudinol. Du
reste, tout en discutant, Napoléon, qui n'avnit
pas hesoin qu'on luí répondit, car il s'étail foil
d'avance 11
lui-mcme toutes les réponscs que le
sujet comportait,examinait la cnrte étalée dcvant
lui, sans prcsquc écoutcr les pnrolcs du général
Docle, suivail du doigt la llérézina, puis le Dnic-
pcr, et, ayant rencontré des ycux Pultawa, s'é–
cria tout
h
coup :
u
Pultawa
!
Pultawa
!
)1
puis,
laissanl la cclte carie, et pnrcourant la chétive
piCcc oú avail licu ccl cntrclien,se milh répétcr:
u
Pullawa
!
Pulrawa
!
1•
sans rcg::irdcr son
intcr~
locutcur, sans mCme
fairc
attention
a
lui.
Le
général Dodc, saisi de ce spcctacle exlraordi–
nairc, se laisnit, et contemplait avcc
un
mélangc
de douleur et de surprise le nouvcauCharlesXII,
cent fois plus grand que l'ancien, mais, hélas
!
cent fo is plus malheureux aussi, et ence moment
rcconnnissanl cnfin
sa
vraie destinéc. A
Ce
point
de l'enlretien, arrivcrrnt Mural, le prince Eu–
gcne, Ilcrthier, et le général Jomini qui, ayant
été gouverneur de la province pendnnt la cam–
pngne, nvnit
fait comme
le
générnl
Dode une
étude nllcntivc des lieux, el était fort capablede
donncr un a\'ÍS. Le général Dodc, par mo<lcslie,
crut devoir se rctircr, et sortit sons que Napo–
léon, toujours dislrnit, s'cn
aper~út.
En voyanl
le général Jomini, Napoléon lui dit :"Quantl on
n'a
jamais
cu dercvcrs, on doit les
aYoir
grands
comme sa fortune... " Puis il provoqua l'opi–
nion
du
général.
Cclui-ci
1
partngcant
enun
point
l'nvis du génfral Dode, jugeait impossible de tra–
verscr la Bérézina au-dcssous de Ilorisow, mais
trouvaitbicn long,
bienfatigant, pour
une arméc
déju épuisée, de remonter la Bérézina afin d'aller
franchir ccttc riviCrc vcrs ses sourccs. 11 pcnsnit,
d'<1prcs les rapporls du pays, qu'il élail possible
de passcr droit dcvanl soi, un peu au-dcssus de
Jlorisow , el des lors de rrjoindre la roule de
Srnorgoni, la plus courte pour aller
a
Wilnn, et
la rnoins dél'astée par les arrnées belligéranles.
L'événcment prouva bicntót que cct avis était
fort snge. Napoléon, sans le cornballre, car il
écoulail
a
peine, parul se reporter tout ;\
coup au lernps de ses plus brillantes opéra–
tions, et, se plaignant de tout le mon<le, mar–
chant et pal'lant avcc une animation extraordi–
naire,
se
lllit
h
dire
que
si
lOllS
les
CCCUl'S
n'étnicnt
pas aballus (et en
pronon~ant
ces paroles il sern–
blait rcgarder ses principaux licutcnanls préscnts
aulourd~
lui),
il
yaurn.itunebienbcllc
manruuvre
i1
cxéculcr, ce scrail
de
remontcr
vcrs
la haute
llérézina, commc le tui conscillait le g1\nér:il
Dode, et au licu d'y chercher seulernent un pas–
sng:c, de se jcter sur Wittgenstein, de l'cnlcvcr,
de le foire prisonnier.
ti
:ijoulail que si, en ren–
trant en Pologne aprcs de grands rnalhcurs, il
cmmcnnit cepcndrmt avcc lui une arméc russe
prisonniCrc, l'Europc rcconnaitr:lit Napoléon,
la gran<le armec el la forlune de l'Empire
!
Son