LA
lH;Rl~ZINA.
-
NOYE!IDRF.
1812.
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aux Russes. Le parli qu'il allail adopler devail
sauver moins d'hommcs que ne l'aurait fait une
capitulalion; il devail meme les cxposcr
a
périr
presque lous, mais
il
sauvail l'honneur de l'ar–
mée el lesien! 11 n'hésila point.
11
forma la réso–
lution d'atlendre
la
fin du jour, hors de porlée
du fcu , puis dr. profiter des ombres de la nuil
pour passer le Dniéper , el de s'éelrnpper par la
rive droite, ce qu'il aurail pu fairc
a
Smolcnsk
mCme, si un avis lui était arrivé ;\ tcmps. Par
malheur on n'avail pour franchir le Dniéper que
la glace, qui pouvail, quoique le froid ftll vif,
n'etre pas capable de porler une armée. Le ma–
réchal Ney, avec sa confiancc habituelle, ne pa–
rul conccvoir aucun doule sur l'état du íleuvc,
et un de ses offieiers ayanl voulu lui adresser
une obseivalion, il répondil brusquement que le
Dniépcr dcvait Ctrc gclé, qu'on le troureraiL tcl,
qu'on passeraitsur la glace ou aulrenrnnt..qu'on
passerail enfin, n'imporle dequelle mafticrc.
t es Russes ne soupqonnant pas ce qu'il médi–
lail, el le voyant se mettre hors de portée du feu,
se crurenl cerlains de l'avoir le lendemain potlr
prisonnier, et voulurenl lui laisser le l.emps de
Ja
résignation, afin de s'épargncr
a
cux-mCmcs
une effusion de sang inutile. lis envoycrent dans
la soirée un parlemenlaire, pour lui faire con–
naitre sa silualion désespérée, lui dirc que
80
mille hommes (il
y
en avail
~O
millc, et c'élait
suffisanl) lui barraicnl le ehemin, qu'il étail done
sans rcssourcc, et qu'il dcvait songcr
a
capitulcr;
que du reste 011 accordcrait il la vaillance de ses
soldats,
i1
sa glorieuse rcnomméc, les condilions
qu'ils avaicnt tous
rnéritées.Lemaréchal 11cdai–
gna pas mcme répondrc au parlcmcntaire, el de
pcur que son retour ne donnal
a
l'cnnemi quel–
quc lumicre, il le relinl prisonnicr, en lui disant
qu'il voulait l'avoir pour témoin de la réponse
qu'il préparait au princc Kutusof. Le soir,
a·
la
nuit faite, il réunil tout ce qui était cncorc ca–
pablc de se soutcnir, tout ce qui conservait qucl–
que force morale el physiquc, en laissant mal–
hcurcuscrnent la tcrrc couvcrte de ses morls, de
ses blcssés, de tous ccux donl la constance était
¡, boul.
11
s'achcmina en silcnce vers le Dniépcr.
Dans l'obscurité, dans Ja confusion oUl'on était,
on pouvait craindrc de se lrompcr sur la clircc-
1.ion
a
suivrc, el de retombcr au milicu des bi–
vacs de J'cnncmi.
Un
petit ruisscau gclé, qui
devait évidcmmenl aboutir au Dniépcr, servil
ele guidc. On suiviL son com·s; on arriva ainsi
au bord du Oeuvc. Hcureuse favcurde la nalurc,
bienduea l'hérolsmcd umaréchaletdescssolclats
!
Le Dniéper étail gelé, non pas trcs-solidement,
nrnis a.sscz pour passcr avcc·précaution, et en
s'assuranl :\ chaque pas de la solidité de laglacc
sur laqucllconcheminail. Danscerlains cndroits,
onlrouva des crevasscs. On y jetaquelques plan–
ches, et onparvint ainsi
a
gagncr l'autre
rh•c.
Pour l'artillcric, pour les voitui·cs de µagagcs,
le lrajcl étail plus difficile. Quelqucs pieccs de
canon nvcc lcurs caissons passi:rcnt, quclqucs
voiturcs de bagagesaussi. On laissa le reste, s'in–
quiétanl peu de ce qui ne pouvait pas suivre, el
ne tcnanl
a
sauvcr que ce qui aurail la résolution
rle mafchcr sans reluche, el jusqu'a épuisemcnl
de forces. Le maréchal tenait
a
sauver son hon–
neur, cclui ele son corps, mais nullement la v·ie
desessoldats.
Le Dniépcr franchi , on prit
a
gauchc, et on
longca le íleuvc dans la direction d'Orscha. On
avnitquinze ou scizc licues
a
parcourir
a
travcrs
un pays inconou, el par conséquent pas un mo–
rncnt
a
perdrc. On traversa un prcmicr village
rcmpli de Cosar¡ues, mais cndormis. On les tua,
el 011 passn outrc. Le
"9
aumal.ini1
la pointc clu
jour, marchant loujours
a
perle d'lrnleinc, on
apcr¡;ut de nouvcaux Cosnqucs sur ses flanes,
mais Cí!_corc en pctit nombre, et on n'cn tint pas
comptc. Vers le milicu du jour on rencontra des
villagcs, donl les habilants surpris abandonnc–
rent
il
nos soldots affnmés quclques provisions
qucceux'cise hr\lcrcnl dedévorr.r. Apeine ce re–
pas terminé, les Cosaqucs nrrivCrent, cctlc fois en
grnnflnombre, comrnnndés pa1·P!atow lui-mCme,
ayant commc les jours précédcnts lcur artillerie
sur tralncaux.
11
n'y nvait pas lil de quoicnfoncer
les carrés de nos inlrépidcs fanlassins, mais de
quoi nous fairc pcrdrc du lemps el des hommcs,
car il fallail s'arrclcr qnelquefois pour se former
en carré, repousscr les cuvalicrs enncmis, puis
se remcllrc en marche, et dans ces évolutionson
laissait toujours sur la route 011 des blcssés, ou
des marchcurscxténués de fatigue. Vcrs lachute
du jour on ful assailli par une tclle masse d'en–
ncmis, el cnvcloppé de lcllc faqon que la roulc
scmblait coupée. Toutcfois on se jeta dnns les
bois qui bordenUe Dniéper, et
011
se défcndit le
long d'un ravin
jusqu'a
lanuit. La nuit vcnuc on
chcmina au lwsard
;¡
travcrs ces bois, on se dis–
persa souvcnt, el on avangaau milicud'affrcuscs
pcrplexités. Vcrs minuil, ralliés par les fcux les
uns
des nutres, on llnil par
se
réunir autour d'un
villagc ou il y a1•ail quclques vincs. A deux
hcures du matinon partil nfin de parcourir dans
cetle journée du
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les quelques licues qui res-