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LlVílE QUAllANTE-CINQUIEME.
morls, de voiturcs abandonnées, et se consolanl
avcc l'idéc qui soutcnait tout le monde, eclle de
lrouvcd Smolcnsk vivrcs, rcpos, loils, renforts,
lous les moyens cnfin de rccouvrcr la force, la
vicloire, et cette supériorilé gloricuse dont on
avaiLjoui vingt annécs. Tandis que la tete de
l'nrméc marclrnil snns avoir !l sn poursuitc des
cnncmis nclrnrnés, mais sous un cicl qui étnil le
plus grnnd de tous les cnncmis, l'nrriCre-gardc
conduilc par le maréchalNcy soutcnait
h
clrnquc
passagc des combals opinitilrcs' pour arrctcr
snns al'lilleric et sans cavalcric les Russes, qui
élaicnt abondammcnt pourvus de loutcs les
armes. A Dorogobouge, le maréchal Ney s'élait
obstiné
h
défcndre la villc, se ilatlant de lacon–
servcr plusicurs jours, et de donner ainsi
a
tout
ce qui se trainait, hommes etchoses, le temps de
rejoindreSmolcnsk. Ccl homme rare, dont l':imc
éncrgique était soulenuc par un corps de fer,
qui n'élait jamais ni fatigué ni attcint d'aucunc
souíl'rance, qui couchait en plein air, dormait ou
ne dormait pas, mangcait ou ne mangcait pas,
sans que jamais la défaillance de ses mcmbrcs
mit son courage en défaut, élait le plus souvent
¡,
pied, au milicu des soldals, ne dédaignant pas
d'en réunir cinquanlc ou cent, de les conduire
lui-mCmc commc un capitainc d'infantcric sous
la fusillade et la milraillc, lront¡uillc, serrín, se
rcgardant comme invulnérnblc, pamissant
l'Ctrc
en cíl'ct, et ne croyant pasdéchoir, lorsquc dans
ces escarmouchcs de tous les inslants, il prcnait
un fusil des mains d'un soldat cxpirant, et qu'il
le déehargeait sur l'enncmi, pour prouver qu'il
n'y
avait
pas de bcsognc indigne d'un maréchnl,
des qu'ellc était utilc. Sans pi lié pour les aulrcs
comme pour lui, ilallail de sa proprc main éveil–
lcr les cngourdis, les sccouait' les obligcnit
a
partir, lcur faisait hontc de lcur cngourdissc·
ment (lóches du jour qui souvcnl avaient été des
héros la veille), ne se laissajt point attcndrir·par
les blessés tombant autour de lui et le suppliant
de les fairc emporlcr, lcur répondait bnrsquc·
mcnt qu'il n'nvait pour se portcr Jui·mCmc que
ses jambes; qu'ils étaicnt aujourd'hui victimes de
la gucrrc, qu'il le scrait lui-mcmc Je lcndcmain;
que mourir au fcu ou sur la roulc c'élait le mé·
tier des ai·mcs. 11 n'est pas donné
h
lous les
hommcs d'clre de fer, mais il lcur· esl pcrmis de
l'clrc pour· aulrui, quand ils le sonl d'abord el
surtout pour cux-nrcmes
!
Apres avoir temr loule
une journéc, pu is une sccondc
;1
Dorogobougc,
le maréchal se retira lorsque les Husscs ayant
passé le Dniépcr sur sa droitc, il fut nrcnaeé
d'élre enveloppé et pris. 11 se reporta alors vers
l'aulrc passagc du Dniéper,
¡,
Solowiewo, le
dé–
fcndil égalemm1t, et
h
quelqucs licues de cct en–
droit, sur le plateaudeValoulina, que trois mois
nuparavnnt
il
nvait couvcrt de morts, s'obstilla
cncore
i1
dispuler le terrain. Arrivé Ja il fallait
bien rcnlrer dans Smolensk. 11 y rentra enfin,
mais le dcrnier, et aprcs avoir fait loul ce qu'il
pouvail pour rclarelcr Ja marche de l'enncmi.
Clraquc corps, nrnrchant
a
son rang, s':ippro–
chait suecessivemcnl de Snrolcnsk: lous, hélas
!
devaicnt y éprouvcr ele crucis mécomptes. Na–
poléon , arrivé le prcmicr. savoit bien qu'il
n'y avait pas dans celle ville les vasles ma–
gasins sur lesqucls on corn1Jlait; mais avcc les
huit ou dix jours ele subsistanccs qui s'y trou–
vaicnl, il s'était flatlé ele rarnencr audrapcau les
hommcs débandés, en leur faisant eles distribu·
tions de vivrcs qui ne scraicnl accordées qu'au
quarlicr mcrne de clraquc régimént. Avec les
fusils qui élaicnt
a
Smolcnsk, il cspérait les ar·
nrer apres les avoir rnlliés. Entré dans Smolcnsk
a
la tele de la garde, il ordonnaqu'on ne laiss'il
pénélrcr qu'cllc; il lui fit.donncr des vivres et
distribucr les logcmcnls disponibles. La foulede
lrainards qui suivait., se voyanl inlerdire l'acces
de cettc ville objct rlc loules ses espfrances, fut
saisicde désespoir et de colcrc, et son courroux
s'exhala surtout eonlrc lagarde inrpériale,
a
la–
qucllc lout étaitsacrifié, disait-on. 11 est vrai que
le grand inléret cl'y m:rinlenir la discipline jus–
tifiail la préfércncc donl elle jouissait dans la ré·
partition des rcssources.
~lais
cetle garde, qui
dans ceL!c
c:1111pagnc
nvait rcndu si pcu de ser–
viccs, et qu·on usait sur la roulc en ne voulant
pas l'uscr au feu, n'inspirait pas assez de grali–
lude pour irnposer silcncc :\ lajalousic. Apres les
lrainards, les vicux soldats du 1" corps, qu'on
n'avnit pas ménagés un sculjour, sejoignant Ula
foulc désarrnéc qui obslruail les portes de Smo–
lensk, et se plaignant vivcmcnt tout disciplinés
qu'ils ctaicnt, il fallut renorrccr
¡,
des défcnses
chinrél'Íqucs, et impuissanlcs ,\ prévcnir ladisso·
lulion de l'armée eléjh presque accornplie. 11 n'y
avait que l'abondancc, le repos, la sécurité, qui
pussent rcndrc aux homrnes la force physiquc et
morale, la dignité, le senlimcnl de la discipline.
La foulc pénétra done violcmmcnt elans les rues
de Smolcnsk, et se porta aux nrngasins. Les gar–
dicns de ces magasins rcnvoyant les a!Tamés arr
quarlier de lcur réginrent, promettant qu'on y
lrouvcrail des dislribulions, furent mal nccucil–
lis, el cepcndant, crus et obéis dans le prcmier