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Lll'llE QUAl1ANTE-QUATlllEME.
ses invincibles légions, mais lravcrsa une villc
déserlc, et pour la premiere fois ses soldats, en
cnlrant
dans
une capitalc, n·curcnL qu'cux–
mCmcs pour témoins de lcur gloirc. L'imprcssion
qu'ils ressenlirenl ful triste. Napoléon, arrivé
au Krcmlin
1
se
h3.tade monlcr
a
la tour élcvéc
du grand !van, ctde conlcmplerdceclle hauteur
sa magnifique conqucte, que la Moskowa lravcr·
sail lcntcmcnt en
y
décrivanl de nombreux con–
Lours.
Des
rnilliers cPoisc<iux noirs, co1·bcaux et
corncillcs, aussi mullipliés clnns ces régions que
les pigcons
ft
Venisc, voltigcant nutour du faite
des palais et des égliscs, donnaicnL
a
ccltcgrande
ville un aspect si11gulicr, qui contrastait n\'cc
l'éclat ele ses brillantes couleurs. Un mo1·nc
silence, inlerrompu seulcment par les pas de la
cavalcric, avait remplacé la ''ic de ccltc cité,
qui la veillc cncorc élait l'une eles plus animées
de l'univers. Malgré la tristessc de cctte soli–
lude, Napoléon, en trouvant Moscou aba11clonnéc
comme les nutres villcs russcs, s'cstima hcurcux
cependant de ne pas
i.
t1·ouver inccndiéc, et ne
déscspéra pas ele ealmer pcu
i1
peu les haines
<JUi depuis Witebsk accueillaicnt la p1·ésc11ce de
ses drapeaux.
L'armée fut distrib11éc dans les di1•e1·s quar–
ticrs de Moseou. 11 ful déeidé 11u'Eugcne occu–
pcrait lc quarlicr clu norcl-ouest, comp1·is entre
la 1·oute ele Smolcnsk et cclle de Saint-Pélers–
bourg, cequi répondail
i1
ladirection par laquclle
il était arrh•é (voir la carte n• 57). D'aprcs le
mémeprincipe, le nrnréchal Davoust cl11t occuper
la pt11'lie <le la villc qui s'étenrlait de la porte <le
Smolensk
ii
cclle deKalouga, e'cst-a-<lire toul le
quarlier situé au sud-oucst. et le princc Ponia–
towski lequarticr situé au sud-est. Le maréehal
Ncy, qui avait traversé Moscoude l'ouesl
it
l'esl,
clut s'établir dans les quarlicrs compris entre les
routes ele Riazan el de Wladimir.
La
gardc ful
11al11rcllcrnent placéc a11 Krernlin et dans les
CO\'il'ons.
Les
maisons regorgcaienL
de
vivrcs
de
toutc espcce. Avec un pcu ele soin 011 pul satis–
foirc largerncnl a11x p1·cmiers bcsoi11s des solclals.
Les officicrs supérieurs furcnl accucillis
ii
la
porte des palais par de nombreuxvalelscn livréc,
cmprcssés de leur olfrir unebrillante hospilalité.
Les maitres de ces palais, ne prévoyant pas que
Moseou fút cleslinée ¡, pfrir, avaicnt cu granel
soin, quoiqu'ils partas,casscnL la haincnationalc,
de préparcr des
prolcctcurs
¡.
:curs richcs
demcures en y reccrnnt les officiers
fran~ais.
On s'établitainsi a1·ec un vif sentiment <le plaisir
dans ce luxe, qui clcrnit durer si peu. On se
promenait avec curiosilé dans ces palais oit
étaie11t prodigués lous les ranincmcnls de la
mollcssc, oli l'on lrouvait des salles de bal splcn–
didcs, eles lhétitrcs partieuliers aussi grancls que
eles thétitres publics, des bihliolhcqucs remplics
des livres
fran~ais
les plus liceneicux du clix–
huiticme siccle, des peinlurcs respiran! le gout
clféminé de Watteau et de Bouchcr, tous les
signes cnfin tl'unc liccncc qui formait avcc l'ar–
clenteclévotion du pcuplc, arce la sauvage éncrgie
de l'nrmée>un coutraste singulicr mais fréquent
chez les nations parrenucs brusqucmcnt de la
ba1·baric
a
lacivilisation, car ce que les hommcs
c111prunlcnt 11vec le plus ele facilité
il
ccux qui
les ont clcvancés dans l'art do vivrc, c'cst l'art
de jouir. 11 pouvait pt1raitrc étrange de rcncon–
trcr partout l'irnilalion de la France dans un
pays arce lequel 11ous étio11s si violcmmcnt e11
guerrc, et pcu ílallcu1·ausside nous voir spécia–
lcmcnL
imités dans ce que nous avions de moins
louablc.
Sorlis de ces brillantes dcmeures, nos officiers
crraicnt avcc une égale curiosité
au
milieu de
ccttc cité, qui ressemblait
a
un
eamp Lartarc,
scmé
~a
el la de palais ilalicns. lis contcmplaicnl
avec surprise plusieurs rilles concenlriqucrnent
placécs les unes da11s les aulres: cl'abor<l au ce11-
t1·c
rnCmc, su1·
une
éminenec, et au bo1·d Lle la
Moskowa, Je Krcmlin, cnvironné de tours anli-
1ues el rempli cl'églises dorccs; au pied du
K1·emlin, sous sa protcclion en quclque sortc,
la ''icille villc, di te ville ehinoise, 1·e11ferma11t
l'nncicn et le
nai
cornmcrce russc, celui de
l'Orient ; puis lout autour, el envcloppant la
précéclcnle, une ville largc, espacéc, brillante
de palais, ditc la vil le blanchc; pu is enfin, les
englobanl toutes trois, la ville dile de tcl'l'c,
mélange ele villagcs, de bosqucls, d'édifices nou–
veaux et irnposants, ceinle d'un épaulement cu
tcrrc. Ce qu'on voyait surlout répandu égale–
menl dans ces quatre villes enfc1·mées les unes
dans les nutres, c'étaient plusicurs .ccnlaiucs
cl'égliscs Slll'montées de dómes c¡ui affcctaienl
commc en OricnL la forme
<l
1
immcuscs turbans,
de clochcrs qui élaicnt aussi élancés c¡ue des
minareis, et révélaicnt d'ancicnncs fréqucnta–
t.ions avce la Persc
el
la Turquie, cae{ chose
étrangc, les rcligions, en se combaunht, s'imi–
tent clu moins sous le rapport de l'art
!
Moscou
quelqucs jours aupai·a1·a11l conlenait un peuple
de trois cent rnille times, el de ce pcuplc, donl
il
rcstait un sixiCme
~l
peine, une pnrtic étaiL
cachée clans les nrnisons et n'c11 sorlait pas, une