MOSCOU. -
AODT
18!2.
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Les ravagcs du fcu élaicnt considérablcs, les
principaux nrngasins détruits, et les perles, sur–
tout endenrécs coloninlcs, immcnscs. Les Jlusscs
au surplus étaient les \'l'ais aulcurs de ce dom–
magc; mais ce qui de lcur part dimiuuait le mé–
ritc du sacrifice, c'cst que c'était l'arméc et ses
chefs qui dé1•astaic11t des propriétés appartcnant
a
de pauvrcs marchands, et satisfaisaient ainsi
leur rage aux dépens du bien d'autrui. Les ha–
bilanls avaienl fui pour la pluparl, et ccux qui
étaicnt reslés, faule de lempsou de moyens pour
s'enfuir, se trouvaicnt réunis dans la principalc
église de Smolensk, ''icille basiliquc byzantine
fort en renom parmi les Jlusscs. lis étaicnt la,
fcmmes, vieillards et cnfanls, :saisis de lerrcur,
crnbrassant les aulels et versant des !armes.
Heureusement nos projectiles avaient ménagé
le vénérablc édifice, et nous avaicnt épargné le
chagrin decauscr d'inutilcs profanations. On 1·as–
sura ces infortunés, et on cssaya de les ramcncr
dans celles de leurs demeurcs qui n'avaienl pas
élé consumées par !'incendie. Les rues offraicnt
un spectacle hidcux , c'élait cclui des morls et
des Llessés russes couvrant la tcrrc. L'exccllcnt
docleur Larrey les fit ramasscr prcsquc en mémc
lcmps que les blcssés
fran~ais,
pcrsislantdaos sa
bonlé naturelle et dans sa noble poliliquc de
soigner les blessés de l'cnncmi, pour qu'a son
tour l'cnnemi soignat les nólres. Mais la furcur
nationale,exeilée au plus hautpoint conlrc nous,
devait rcndrc son calcul
a
pcu pres stérilc.
Nolrc arméc, malgré l'cnivremcnt du combat
et du succcs, éprouva en ent1·ant dans Smolcnsk
une pénible émotion. Autrefois, dans nos lon–
gues coursesvielorieuscs,lorsquenous pénélrions
dans des villes eonquiscs, aprcs un premicr mo–
mcnt de tcrrcur, les habitants, rassurés par Ja
huer :rnx
Fran~ais
une pcl'lc de 20 millc hommcs, et aux
llusscs une deG millc sculcmcnl, Jamais, il fout lcdire, on
n'a déílguré les íaits 3 ccpoinl. Le témoignage du llocteur
Lnrrcy
1
tCmoin\•éridic¡ucclgénCralcmcntbicni11for111é,évaluc
la perle des
Fran~ais
a
cnviron 1,200 morts, el 3 prés de
6 millc blessés. Les
témoig1rnges
de l'administra1iondonnc11l
un chiffl·c moins élC\'é, Je crois,
aprCs
:l\'oir
comp:H'C
les
divcrsdocuments, <1ue lenomlwedcs morts fulde notrccólé
plusconsirléraLlc(¡uc11cleditlcdoctcurLm·1·cy,cL cclui dcs
blessésmoind1·e. Jecrois qu'onsc rapproche!'adcla\'érité lc
plus possible en portautnott·epcrtc
a
7 mille hommcs hors
dccombat, morts et Llessés. Commcnt <l'ailleurs
y
auruit-il
eu20millchommes atteints par lcfcu sur•ii millc f¡ui atta–
quCrent Smolensk, cariln'y en eul guCredavantagc d'cn¡;a–
gés,quoiqu'enaildit.\l.dcCoutourlin,lcquel évaluell72millc
homrucs
le
nombre de nos combattanls qui pl'irent parl
ti
l'action. ll ycut tout au plus 15millc hommcs en¡;agés du
cóté du maréchal Ney,
U-
ou
ns
mille du cóté du mai·éclrnl
Davoust, ctunpcu moinsdu cólé du pl'incc Poniatowski.
Le
nombre tle20millc liommcs froppés dansnos ransscstdonc
hienveillancc ordinairc du soldat
fran~ais,
rcvc-
1rnicnt dans lcurs dcmcurcs, qu'ils n'nvnicat pas
songé
a
<létruirc, et dont ils se hataicnt de nous
fairc partager lesrcssourccs.
JI
n'y avaitd'incendic
que ccux que nos obus avaienl involontairemcot
allumés.Dansceltedernicrecampagnc,surloutdc–
puisque lafronticrc moseovileétail franchic,nous
trouríons parlout la soliludeet les llammcs, et si
quclquesrarcshauilanlsrcstaicnt dans nos mains,
la lerreur et la hainc régnaicnt sur lcursvisagcs.
Les juifs, si nombrcux en Polognc, si scrviables
par avidité, si emprcssés
a
nousoffrir une hospi–
lalilédég-0ulanle mais utilc, les juifseux-memes
manquaient, car il o'cn exislait point au dela de
la fronticrc polonaisc. En voyant ces flammes,
ectle solitude, ceseadavres gisant dans les rues,
nos soldats commenccrcnt
a
comprendre que ce
n'était point llt une deces guerrcs commc ils en
avaient tant vu, et dans lesquellcs avee des acles
b1·illants et de l'humanilé on désarmait l'ennemi.
lis seotirent que c'élail une lutlc plus grave.
Mais le goüt de l'cxtraordioaire les dominait et
les cnlrainait:lavue de Napoléon les lransportait
loujou1·s, et ils eroyaient marcher
a
une expédi–
tion merveilleuse qui surpasscrait loulcs cclles
de l'aoliquité.
Napoléon parcourut
a
cheral les
fa~hourgs
et
la villc, puis vint se placer dans une des tours
qui f!anquaient l'enceintedu cótédu Dnicper, et
de !aquel leon pouvait discerner ce qui se passait
au dela du fteuve.
11
vit les Russes oeeupant
l'autre ri1·e, et tcnant cncorc la ville nou1•elle,
mais s'apprclant évidemment a l'évacucr, et ne
songeant
a
la défcndrc que pendan! le lcmps
nécessairc
a
l'évacuation. Assurer le passagc du
Dniépcr était done la princi¡rnle opéralion de
cctte journée. Les llusscs avaíenl détruit le pont
uncexagéralion rhliculc,caril aurait folluquc Ja moitiédcs
nuac1uantscU1 succombé. Quant aux. perles des Russes, les
lémoins lcs moins fovo1·ablementdisposéscon\'iennentf¡u'ily
nvait de,·ant Smolcnsk plusicurs l\usses rcn\•ersés pour un
}'ran~ais.
Ledoclct1t•Lal'l'ey notammcnt,1¡uin'apoinl cherché
a
adoucirle tahlcaudc lacampagnc de
1812,
l'oíllrme de la
maniere Ja plus posilive.
On
pourrait done attrilnuw
a\'CC
plusllernisouaux
ílusscs qu'auxFran~ais
lechifTrcdc20mille
mo1·ts oublcssés. Ccqu'onpcutdireclc plus nniscmblablccu
compat·ant toutcs les relations, c'cstquclcs l\usscs perdircnt
de
12
a
15mille
hommcs. Nous croyonsecltc évatuation plutót
au-dcssous qu'nu-dessus de la \'él'ité,s111"tout 11unndonsonge
an chiffregénéralementattribuéa l'armée russeaprCs lccom–
hat
de Smolcnsk. Uureste, nous ne donnons, suiv:111t notre
usage, ces é\•aluations c¡ue commc trCs-ap¡H·oximalives.
On
fait
pe1·dre son séricux ti rl1istoirelorsqu'onse montrc trop
affirmatifdansdes 1¡ucslions de.ccttenaturc. C'este11restant
modestc
danssa
prétenlion dcdécouvrirlavét'ité c1ue l'his–
toirepcutmé1·iter confiancclors11u'clledcvic11ttoutUfoitaffi1•–
mativc.