PASSAGE DU NlÉMEN. -
JUIN
1812.
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dcur cmprunlée qu'un 1·cvcn11 momcnlané, qui,
sagcmcnl économisé par une épouse prudente,
procurcrait un bicn-élre assuré
h
ses c11fonls.
Vivanl toujours daus les plaincs du Nord, au
milieu de ses soldats, au point ele n'avoir pas en
dix ans passé trois mois
n
Paris; occupé exclu–
sivemenl de son mélicr, tacilurnc, dur pour Jui
autant que pour lesautres, il étail du pctit nom–
bre de ses compagnons
1l'armcs
qui ne s'é.laicnt
pasenivrés au somptueux banquct de Ja fortunc.
Napoléon, sans trop s'cnquérir de Ja véJ.ité, ren–
contranl parloul sur les bords de la Vistule la
trace cl'une profonde obéissance pour le maré–
chal DavousL, une immcnse quantité de choses
mues par sa volonlé, et son nom clans toutes les
bouches, ful non pas jaloux (de qui aurait-il pu
l'etre
?),
mais fatigué d'une importancc qu'il arait
crééc, écouta volonticrs ccux qui, avcc Bcrthicr,
disaienl que ce maréchal faisail toul, ordonnait
lout, tranehail en toul du mailre, en altcnclanl
qu'il tranchal du roi, prcla l'orcillc
n
ceux qui
taxaicnt d'ambilion son active volonté, d'orgucil
sa gravité séverc, d'arrierc-penséc clangereuse
sa taeilurniléhabiLuclle. JI accueillil le maréchal
avcc froideur, et en bcaucoup d'occasions lui
donna torl contre Bcrthier. Le maréchal n'y pril
garde, habitué aux brusqueries de Napoléon,
impulanl leur rcnouvellemcnl plus fréqucnL
a
une irritabililé qui croissail nvec l'age, avee Ja
fatigue, avcc les soucis, etcourut
a
Krenigsbcrg,
tout préparer sur les pas de J'armée, afin de sur–
montcr les difficullés d'une entreprise que dans
son bon sens
iJ
cut appclée folle, si sa forlc
nalure n'avail été courbéc
ó
Ja plus complete
obéissaricc. Pourlanl sa grande favcur élail pas–
séc. Ainsi Lannes était mort, Masséna cntierc–
mcnt disgracié, Davoust en commcnccmcnt de
défavcur
!
Ainsi Nopoléon, inconstanl pour ses
licutcnanlscomme Ja forlunc allail bicntól l'ctre
pour lui-mcme,
devan~anL
pour cux les capriccs
- de celle mobile divinité, scmail de morls et de
disgraces la roulc fatale qui allait bienlól le con–
<luire
a
une chute épouvantable.
Napoléon, arrivé le 7 juin
a
Danlzig, rencon–
lra un aulre <le ses licutenanls; ce fut Mural,
moins hcureux d'clre dcvcnu roi que Davousl
d'cl1·c resté simple commandanl d'armée. Ce
prince, comme nous avons cu
a
le rlirc lanl rlc
fois, bon muis inconséqucnl, capable de devenir
infidCJe par vanilé, ambition, mauvaisconscil, el
loujuurs le plus brillanl des cavaliers, Je plus
téméraire des héros, avait inspiré de tcllcs dé–
fianccs
n
Napoléon, pour quelqucs communica-
tions maritimcs avcc les Anglois, que le général
Grcnicr, ainsi qu'on l'a
vu,
avait
rC'fU
l'ord1·c de
se lenir prét i1 marchcr sur Naples. Napoléon,
qui ne craignniL dans Mural que la Jégcrclé,
l'avait appclé
i1
l'arméc, d'nbord pour avoir
ii
sn
disposilion le meillcur génél'al de cavalcric du
siCcle, et cnsuitc pour
lcnir
sous sa main un
parcnt qui pres de lui scrail loujours soumis el
dévoué, el loin de lui scrnil livré au hasard de
loutcs les suggcstions. Sur Insimple indication
de cetle volonté, Mural s'élaiL halé d'accourir
au quarlicr général, pour servir sous les 01·drcs
de son bcau-frere, el rcprendre son comnrnn–
dcmcntordinnirc,celui de Ja réscrvcde cavnlcric.
Pour évilcr l'inconséqucncc de ses propos, Na–
poléon n'avail pas voulu qu'il vinl
ii
D1·csdc, el
l'avail consigné sur Ja Vistulc. Mural, fatigué,
maladc, s'étail arrété
a
Bcrlin, oú il avail été
dédomnrngé des rigucurs de son suzcrain par
les cmprcsscmcnts de Ja com· de Prusse. Napo–
léon, le voyanl
a
Dantzig, p:ilc, défait, cL n'ayant
pas sa bonnc mine ordinairc, lui demanda brus–
qucmenl ce qu'il avail, el s'il n'étail pasconlcnl
d'clrc roi. " Mais, sirc, répondil Mural, je ne
le suis guCrc. - Je ne vous ai pas f.litsrois, vous
el ves frercs, rcparlil durcmcnl Napoléon, pour
régncr
a
votrc maniCrc, mais pour régncr
it
Ja
micnnc, pour suil'!'e ma polilique, el reslcr
Franqais sur eles tróncs étrangcrs. )) AprCs ces
rnots, Napoléon, vaincu por Ja boahomie de Mu–
ral, el n'étanl dur que par boutadcs, lui rcndil
ccltcramiliarité, inégalccommc lescirconst::inccs,
mais gracieuse el subjuguantc, que ses Jicule–
nanls trouvaienl aupres de lui. 11 rencontra aussi
a
Danlzig le gouvcrncur Ilnpp, qui lui avait dé–
plu par quelqucs avis sinceres sur J'élal de
In
Pologne, el par quclqucs faeililés suspcctcs ac–
cordécs au commcrce de Dantzig, mais nuqucl
il pardonnoil en considérolion d'uncgrande bra–
voure, el d'un esprit franc et original. 11 passo
la plusieursjours avcc Bcrlhie1» Mural, Caulain–
courl, Ouroc, Ilapp, occupé
n
inspector les for–
lifications d'une place qui devait joucr un rólc
si irnporlanl dans cclle gucrre, i1 visitcr les
magasins el les ponts de Ja Vistule, rcctifianl,
cornplétanl lout ce qui avait été fail, avcc un
coup d'mil que ricn n'égalaiL quand il
s'cxcr~ail
sur les choscs cllcs-mcrnes, puis, lorsquc la cha–
lcur, extreme dans cctlc saison el dans ces lali–
tudcs, l'obligcait
a
rcntrcr, s'cnlretcnant fami–
IiCrcmcnt avcc ses compngnons d'armes, el se
montrant plus pcrsuadéc¡u'il neJ'étail de l'ulililé
d'uncguerrc qu'ils paraissaicnl craindre profon-