148
LIVRE QUARANTE-TROISIEME.
ii
rcsler, puisqu'elle lui laissait faire en Europe
tout ce qu'il désirait, nrnis infériorité qu'cllc ne
voulnit rendrc ni aussi manifcstc ni commcrcia–
lement aussi dommageable qu'il l'cxigeait. En
vérité, on aurail bien pu se conlenlcr d'une pa–
rcille soumission de
la
part d'une puissanee qui
était alors la premicre du eontinent aprcs
la
France, el ccrluincmcnt l'égalc de l'Anglelerrc
en Europc.
Napoléon se transporta ensuitc
a
Saint-Cloud
avee toute la cour, bien que la saison ftit eneorc
rigourcusc, car on était
a
la fin de mars; il
s
1
y
transporta par un rnotif qui, nu milieu de sa
toute-puissance, doit paraitre bien étrangc:
c'était pour se dérober aux murmureselu pcuplc,
qu'il n'avait pas cssuyés cncorc, maisqui se foi–
saient cnlendre de toute part, el
mcna~aient
d'éclatcr
m~mc
en sa préscncc. Depuis long–
temps celle hardiesse
1i
se plaindre n'était plus
ordinaire au peuple de Paris, et clic révélnit la
profondeur de ses sou!Trances, qui avaicnl plu–
sicurs causes, la disclte, la conseription, la lcvéc
des gurdes nntionalcs, la guerrc enfin, qui pro–
duisait ou aggravait tous ces maux.
Une a!Treuse sécheressc, qui s'était prolongée
pcndant tout l'été de
·18H,
et avait été melée
dans quelqucs contrées d'ornges violents, nvnit
ruiné les cérénles dnns presque toute l'Europe,
en donnant du reste des vins excellenls connus
sous le nom ele uins
de la comete.
La moisson
nvnit
été
mnuvaisc mCmc en
Po~ogne,
sans
y
pro–
duire toulcfois la eliseltc, que eles récolles nccu–
mulécs et invcnducs rcndnicnt impossiblc, mais
sans
y
fai1·e cesser la rnisel'C résultnnt du défaut
de débouchés. En Allemngne, en France, en lla–
lic, enEspngnc, en AnglctCl'rc, ledornmagc pour
les céréalcs avait élé irnrnensc. En France, le
prix des blés était rnonté
n
~O,
h
GO,
11
iO
franes
l'hcclolitre, prix bien supérieur
1
cclui que les
mCmcs chiITrcs rcpréscntcrnicnl aujourd'hui. Le
pcuplc n'y pouvnit plus attcinclrc, et dans bcau–
cot1p de localiLés troublait le comrnerce, arrétnit
les rnitures, envahissail les
mnrchés,
crinit :rnx
nccc1parcurs, 'et nvcc son
ordinnirc nvcuglcmcnl
allail ainsiconlrc ses prop1·c' inlércts, caril étail
cnusc que la denréc se cachait, ne vcnait pos au
marché, et nugmenlait de vnlcur t1on-seulemcnt
en proportion de so 1•nrcté réellc, mnis en pro–
portion de sa rnrcté npparcnlc.
Nnpoléon , cnncmi nulrefois des doctrines
révolulionnnircs (et nous enlcndons par cettc
désignntion non les purs et nobles principcs rle
89, mnis lesopinions inscnsécs nées de l'exnlla-
tiondes passions populaires), Nnpoléon ennemi
aulrefois de ces doctrines, y revenait pcu
¡,
peu,
en se laissant emporter en toutes choses au dela
des bornes de Ja raison. Ennemi du régicide, on
J'avnit vu, dans un jour de colerc, faire fusiller le
ducd'Enghien; censeur amer de la constitution
civile du clergé, il tenait le pape prisonnier
ii
Savonc; improbalcur sévére des violences <lu
Direcloirc, il avait en ce moment )&s prisons
plcincs de détenuspour cause religicuse; mépl'i–
snnt la poliLique révolutionnnire quiavait suscité·
Inguerre partout, il élait enguerreavec.l'Europe
pour placer ses frcres sur la plupart des trones
ele J'Occidcnt ; cnfin, aynnt poursuivi de ses
sarcasmes les prineipes administratiís de i795,
tcls que le maximum, et les rigucurs commer–
ciales :\ l'égnrel de l'Amérique,
il
venail, par sa
législation sur les denrées coloniales , de créer
dnns l'Europc cnticre le systcme de commerce
le plus étrange et le plus violen! qui se pút ima–
Giner. Sous ce dernier rapport au moins, sa
guerre nu commerce anglais, suivie d'elTets trcs–
sérieux, pouvait lui servir d'excuse. Mais,
h
l'égnrd des céréales, prcssé de ne plus entendre
les murmures populaircs, de décharger sa poli–
tique de toute connexion nvec In cherlé des
vivrcs, ele ílntler, en un mol, les masses qu'il
faisnit sou!Trir par tnnt d'cndroits, il avnit formé
un eonseildes subsistances compasé du ministre
de l'intéricur, du directeur générnl des vil'l'es,
des eonscillcrs cl'État Rénlet Dubois, des préícts
de la Seinc et de policc, cnfin ele l'archichance–
lier, et il
y
soulennit des doctrines indignes de
sa hnutc raison, nepnrlait de ricn moins que de
tarifcr les grains, et d'cn dét.crminer le prix au
gré des ndministralions locnlcs. 11 se fondait sur
ce fait que les propriélnires, les fcrmiers, abu–
snient de la détresse du peuplc pour élever les
prix hors de toute mesure, ce qui était vrai et
déplornblc, mnis ce qui ne pouvait etre ni
cmpCché ni répnré ptlr un
tnrir
nrbitrairc, car
les posscsseurs de cérénles, ne se trouvnnt pas
assez pnyés , cesscraient d'approvisionner les
mnrchés , gurdernient chez eux les grains qu'ils
vendraicnt
il
des prixencareplusélevés, fcrnient
nnitre chez le peuple In tentntion du.pillnge,. et
provoqueraicnt ninsi eles désordres bien plus
graves que lous ccux auxquels on cherchnit ;\
pourvoil·.
Le princc archichancclicr Cnmbncércs avnit
résisté aux fausscs théories ele Napoléon , et
l'avait délourné jusqu'ici de suivre sa premiére
impulsion. Mais il ne dcvait pas ré11ssir long-