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LIVHE QUAllANTE-TROISIEME.
norablcrncnt possiblc il voulaiL la conserver, et
ne pns In cornpromell1·c pa1· une initiative im–
prudente. Deson colé M. de llomanzofT, dont la
polilique avaiL été íondécsur l'allianec
fran~aisc,
et quiallail pcrdr0 pnr la guerre la base de son
systemc et le l'l'ai moLif de sa présence dans les
conscils de l'empire, se ílaltait encorc que lors–
quc Napoléon serait sur la Vistulc, Alcxandrc
sur leNiérncn, on pourrait cntnmcr une sorlcde
négociationarméc, et qu'Ula vcillc de s'cngngcr
dans des voics cffrayanles, on serait peut-étre
plus accommodant des dcuxparls;queNapoléon
lui-rneme,ayantvu de pluspres les diJlicultésde
ccue
gucrrc
Joinlainc,
sc1·ait
moins cxigcant, et
c¡u'on finiraiLpar
s'cntcndre
au dcrnier inslant,
au mayen d°Lrn compromis qui sauvcrait I'hon–
ncur de lous : faiblc cspéranec sans doute, mais
o
laquclle M. de llomanzoff et Alexandre ne pou–
vaicnt pus se clécidcr
i1
rcnonccr.
Dans ces vucs, Alcxandrc, nvcc son ministre
el quclqucs générnux investís de sa confiancc,
arrcta le systcmc de gucrre qu'il conrenait d'a–
dopler. 11 ful décidé qu'on aurait dcux armécs
considérables,donL lous lesélémcnlsétnient déji1
réunis,
runc
sur In Dwina, J'autrc sur le Dnié–
per, dcux fleures qui, naissant
a
quelques licues
l'un de l'autre, courcnt le prcmier ''crs Riga et
la Baltiquc, le sccoml vcrs Odcssa et la mcr
Noire
1
et décrivcnt ainsi une vnstc Jigne trans–
vcrsale du nord-oucst au sud-csl, constituanl
pour ninsi dirc la fronlicrc inléricure du grand
cmpircrussc.Ces dcux armécs, ayant leurspostes
avancés sur le Niémcn, se rctircraicnt conccn–
triqucmcnt
a
l'approche de l'ennemi, lui préscn–
lcrnicnt une massc compacte quiscrait au moins
de
250
mille hommes, et
ii
laquelle on cspérait
pouvoir ajoulcr bientóL des réser1'es au nombre
de cent mille. Une troisicmc armée, d'unc qua–
rantaine de mille hommes, se tiendraiL en ob–
scrvalion vcrs l'Autl'iche, se licrait avcc celle du
Danube qui était de soixante mille, et ces dcux
armécs
cllcs~mémcs ,
suivant les événemcnls de
Turquie, se rcndraicnL sur le théaLrc de la
gucrre, et porteraicnt
a
quatre cent cinquantc
mille hommes la sommc lotale des forces russes.
Ces moycns, indépcndamment du climat, des
distanccs, et des ravagcs projctés, avaient une
valcur considernlJlc, et soutenaicnt la confiance
des llusscs. illais d'autres molifs contribuaicnt
cneore
a
la fortifie1" Les llusses pcusaicnt que
dans eclLClullc l'opinion jouerait un role impor–
tant, et que ceuxqui scraienl parvenus
a
la met–
tre de leur eótéauraient un grand avantage. lis
savaienl que la Franceellc-mcmc, quoique con–
damnéc
a
se tairc, n'approuvait pns ces gucrrcs
inccssantcs, dans lcsquclles on \
1
crsail son sang
par torrenls pour des objcts qu'cllc ne compre..
nait plus, depuisqueses íronticrcs avaient non–
seulcment alleint, mais dépassé ks Alpes, le
llhin et les Pyrénécs. lis savaicnt qu'aprcs un
immcnse enthousiasmc pour la pcrsonnc de Na–
poléon, une sourde hninc
commcn~nit
a
naitre
conlrc lui, et pouvait éclalcr au prcmicr rcrcrs;
qu'cn Allcnrngne ccllc haine était, non pas
sourdcet. cachée, mais ardenlcel publique, plus
violente mcmc qu'cn Es1rngnc, oú l'épuisemcnt
l'avait un peu amortie; que dans les Étals alliés,
commc la Bavicrc, leWurtemberg, Ja Saxc, les
peuplcs en voulaient cruellcment11 leurs princcs
de les sacrificr
:1
un mailrc étranger, dans un
pm· intérct d'ngrandisscmcnt tcJ'l'itorial, et que
la conscription étaiL devenue chez cux la plus
odieuse des institulions; qu'en Prusse, outrc
tous les maux résultant de gucrres continuclles,
on était inconsolable ele sa grancleur perduc ;
qu'cn Autrichc, ou l'on élait un peu calmé dc–
puis la paix et le nrnriagc, la cour nourrissait
plus d'aversion que jamais conlre la Frnncc ,
qu'on regrellait arnercmcnt l'ltalie et surtout
l'lllyrie; qu'cnfin dans leNord,cnPologncmcme,
il y avait des souffrances qui diminunicnt bcau–
coup l'cnthousiasme pour Nnpoléon, et rendaient
des pnrlisans
¡,
l'opinion de
qucl~ues
grands sei–
gncurs polonais, qui pensaient qu'il fallait re–
constitucr la Pologne non par la France, mais
'par la llussie, en
pla~ant
la couronne des Jagcl–
lons sur la tele d'Alcxandre, ou sur cellc d'un
princc de sa famillc. EL il élait vrai que la mal–
heureusc Polognc, n'ayanL d'autre richcsse que
ses blés, ses bois, ses chanvrcs, qui ne pouvaient
plus franchir le porl de Dantzig dcpuis le blocus
continental, $OUITrait horriblcmcnt; que chcz
elle la noblessc était ruinéc, le peuplcécrasé par
les impóts, et la ville de Danlzig, de riche cité
cou1mcrcialc convc1·tie en cité guerriCrc, réduite
a
la dcrnicrc miscrc. Le général llapp, fin cour–
lisan, mais creur cxccllent, nvait été si touché du
spectacle de ces maux, qu'il avail osé les fairc
connailrc au rnaréchal Davoust, en disaut quesi
l'arméc
fran~aisc
avait un scul revcrs, ce ne sc–
rait bienlót1¡u'unc insurrcctiongénéralcdu llhin
au Niémen. Le froid et sévereDaroust lui-mcme,
regardant pcu
a
des souífranccs qu'il parlagcait
tout le premicr avec
~es
soldats, obscrvant sur
les afl'aircs publiques le silcnce qu'il imposait
aux aulres, avait cepcndant transmis
a
Napoléon