DRESDE ET VJTTORJA. -
Ju1
i8H5.
77
olfusqué de la présenee de M. de Caulaincourt,
s'était haté de peindre
a
sa cour, en l'exagérant
beaucoup, le danger d'un arrangement direct
entre la France et la Russie. Ne comptant meme
pas assez sur l'influence des paroles écrites, on
aV.-~t
expédié,
comm~
nous l'avons dit, M. de
Nesselrode, le meme qui pendant quarante ans
n'a cessé de conseiller
a
ses divers maitres une
·politique profonde par sa patience, mais pas
toujours d'accord avec leur tempérament irrita–
ble. Jeune alors, simple, modeste, moins dog–
matique que M. de Metternich, moins entrepre–
nant, mais doué d'autant de finesse, et fait pour
gagner la confiance d'un prince éclairé comme
Alexandre,
il
avait déja obtenu sur lui un ascen–
dant tres-marqué. Le czar, q·uoiqu'il cut laissé a
M. de Romanzoff le vain titre de chancelier, en
mémoire de la Fínlandc et de
Ja
Bessarabie
conquises sous son.ministere, avait amené M. de
Nesselrode
a
son qua!tier général, et ne dirigeait
plus les affaires qu'avec lui et par son conseil. 11
l'avait expédié des le 1
er
juin pour Víenne, avec
la mission de prier, de supplier, de menacer au
besoin Ja cour d'Autriche, en montrant la tete de
Méduse, e'est-a-dire Napoléon s'abouchant avec
Alexandre, et renouvelant sur l'Oder l'entrevue du
Niémen, et pcut-etre a Breslau l'alliance de Tilsit.
l\f.
deNesselrode s'était mis en route sur-le-champ,
se dirigeant sur Vienne a travers la Boheme.
Il n'en fallait pas tant pour donner a deux
esprits aussi clairvoyants que l'empereur Fran<;ois
et M. de Metternich une commotion décisive.
L'Autriche, en effet, replacée par la fortune dans
une grande situation, dont elle avait été préci–
pitée depuis vingt ans par l'épée de Napoléon,
eourait cependant un grave danger. Tout le
monde la carcssait en ce moment, tout le monde
se présentait a elle les mains pleines des dons les
plus magnifiques. Alexandre luí offrait non-seu–
Jement l'Illyrie et une part de la Pologne, mais
l'Italie, mais le Tyrol, mais la couronne impériale
d'Allemagne, que Napoléon avait fait tomber de
sa tete, et, plus que tout cela, l'indépendance.
La France lui offra·it avec l'Illyrie et une part de
la Pologne, non pas l'Italie, non pas Je Tyrol,
non pas la couronne impériale, mais ce qui l'eut
charmée un siecle auparavant, la Silésie, sans
l'indépendance
il
est vrai,
a
Iaquelle elle tenait
plus qu'a tout Je reste. Elle n'avait done qu'a
choisir; mais si, voulant jouir trop longtemps
de ce role de'puissance universellement courti–
sée, elle ne se décidait pas
a
propos,
il
était
possible qu'apres avoir été flattée, caressée par
tous, elle finít par etre honnie par tous aussi,
et écrasée sous leur commun ressentiment, car
si Napoléon et Alexandre s'entendaient, il devait
en résulter une .Paix cxclusivement russe; l'Au–
tricbe n'aurait ríen de Ja Pologne, ríen de
l'Jlly,
rie, rien de l'llalie; on ne céderait poin:t a s"'n
désir de reconstituer l'Allemagne, sauf quelques
dédommagements qu'on accorderait peut-etre
a
la Prusse, et, loin de recouvrer son indépen–
dauce, elle retomberait sous la domination de
Napoléon devenue plus dure que jamais. 11 suf–
fisait pour cela d'un instant, et, dans les con–
jonctures présentes, les choses se décidant
a
coups d'épée, et quels coups d'épée
!
c'était assez
de quarante-huit heures pour changer la face du
monde.
Plein de ces préoccupations, l\L de l\fotternich
avait déja songé
a
conduire son maitre a Prague,
afin d'etre tout pres du théatre des batailles et
des négoeiations, et de pouvoir, du haut de Ja
Boheme comme d'un observatoire élcvé et voi–
sin, suivre le torrent si rapide des choses, et s'y
jeter au besoin. La nouvellc du choix de M. de
Caulaincourt pour négocier l'armistice l'avait
affecté au point de rendre son émotian visible
aux yeux pénétrant.s de
l.VI.de Narhonne. Les
Jettres de M. de Stadion ne lui avaient plus laissé
un seul do1:1te, et en vingt-quatre heures l'em–
pereur et son ministre avaieqt formé la résolu–
tion de quitter Vienne pour Prague, au grand
étonnement du public, surpris non d'une telle
résolution, mais de la promptitudf:! avec laquelle
elle avait été prise. Dans les rapports
ou
l'on
était avec la France, on avait en quelque sorte
l'obligation de lui tout expliquer, et M. de Metter–
nich s'était haté de dire
a
M. de Narbonne que,
les négociations étant a la vcille de commencer
par l'intermédiaire de l'Autriche,
il
fallait que le
médiateur se rapprochat des parties soumises
a
sa médiation; qu'a Prague on gagnerait six jours
au mains sur chaque communication , ce qui
importait fort, la paix du monde devant se con–
dure en six semaines. Cette raison justifiait le
voyage
a
Prague, mais non pas le départ en
vingt-quatre heures. Des renseignements secrets
et l'air contraint de M. de l\fetterniéh avaient
achevé de tout révéler a la vigilance de la léga–
tion frarn;aise.
l.VI.Narhonne avait su, par des
informations sures, que Ja cour de Vienne accé–
lérait son départ par la crainte d'un arrangement
direct ·de Ja France avec Ja Russie, et ces infor–
mations lui expliquaient en outre les nouveaux
sentiments qu'il avait cru découvrir chez M.
d~