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LIVllE
QUAHANTE-HUITIE~IE .
c'était asscz, résolut de terminer la les peines de
ccttejournée, etordonna qu'on drcssat sa lente sur
le terrain qu'on occupait.
n
descendait de chcval,
lorsque l'on entendit tout
a
coup pousser un cri:
Kirgenerest mort!-En cntendantces mots Na po–
léon s'écria: La fortune nous en vcut bien aujour–
d'hui
!-
Mais au premier cri en succéda bientót
un second : Duroc est mor·t
! -
Ce n'est pas pos–
sible, répondit Napoléon, je viens de lui parler.
- C'était non-seulement possible, c'était vrai.
Un boulct qui vcnait de frapper un arbre pres de
Napoléon, avait en ricochant tué successivement
le général Kirgener, exccllen·t officier du génie,
puis Duroc lui-meme , le grand maréchal du
palais. - Duroc, quelques minutes auparavant,
atteint d'une tristesse singuliere, tristesse d'hon–
nete homme, qui lui était assez ordinairc, mais
plus marquée ce jour-la, avait dit a M. de Cau–
laincourt: l\fon ami, observez-vous l'Empercur?...
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vient d'avoir des victoircs apres des revers, et
ce serait le cas de profiter de la le<¡oll du mal–
hcur... l\fais, vous le voyez, il n'est paschangé...
il
est insatiable de combats... La fin de lout ccci
ne saurait elre heurcuse
!-
A peine
1\1.
de Cau–
laincourt avait-il par un signe de tete approbalif
exprimé la communauté de ses scntiments avec
Dm•oc, que
ce
dernicr avait rencontré cctte fin
malheurcuse qu'il prévoyait. La blessure de
Duroc était des plus douloureuscs . Le boulct ava it
déchiré ses enlraillcs, et on les avait enveloppées
dans des comprcsses imLibécs d'opium, pour ren–
d re ses derniers momcnls moins cru cis, car on ne
conservait aucune espérnnce de le sauver. -
Napoléon nccourut, lui prit les mains, l'appcla
son ami, luí parla d'une aulre vic, ou ils trou–
veraient le tcrme de lcurs travaux, et pronon<¡a
ces paroles avec une sorlc de remords qu'il n'a–
voua it pas, mais qu'il senlait nu fond de son
creur. - Duroc, avec émotion, le r emercia de
ces térnoignages, lui coofia le sort de sa filie uni–
que, lui souhaita de vivre, de vaincre les ennemis
de la Francc, et de se repo'ser ensuite dans u11e
paix néccssaire. - Quant
a
tnoi' lui <lit-il' j'ai
vécu en honnete homme, je mcurs en soldnt, je
ne me reproche .rien ... Je vous recommande
encore une fois m::i filie. - Puis, Napoléon r estant
aupres de son lit, lui tenant les mains, etdemeu–
ran t comme plongé da ns des r éflexions profondes,
Duroc njouta: Partez, sire, partez ... Ce spectacle
est lrop pénible pour vous. - Napoléon sortit
en luí disant: Adieu, mon ami; nous nous r ever–
rons... peut·etre Lientót
!. .. -
On a prélcndu que ces mots de Duroc :
J e 11c
me reproche rien}
faisaient allusion a quelques
injustes r eproches de Napoléon, qui, dans ses
mouvemcnts de vivacité' n'épargnait pas meme
¡¿s hommes qu'il estimnit le plus. Mais
il
ren- -
dait pleine justiee
a
son grand maréehal. Duroc,
né en Auvergne, d'une famille de gentilshommes
militaires et pauvres, avait été élevé dans les
écoles de J'ancienne artillerie, et avait les
m~urs
séveres, !'esprit arrcté de eette arm.e. Triste par
nature, scnsé, discret, peu ambitieux, se défiant
des prospérités éblouissantes de l'Empire,
il
re–
greltait presque d'etre attaché
a
un char courant
au travers des précipices, mais il n'avait pu s'cm–
pecher de le suivre
~
attiré par le géuie de Na–
poléon, flatté de sa confiance, eomblé de ses bien–
fa its. Un homme sa,ge, meme en se défiant de
la fortune, ne sait pas toujours la repousser.
Grand maréchal du palais, ayant en quelque
sorte l'inspection de toutes choses et de tout Je
monde, Duroc ne manqua jamais d'informcr Na–
poléon de ce qu'il fallait qu'il sut' sans toutefois
desscrvir ni calomnicr personne, parce qu'il von–
lai t uniquement etre utile , et jama is satisfaire
ses antipathies ou ses préférenees.
JI
était le se–
cond ami sur et vrai ment dévoué que Napoléon
perdait da ns l'espnce de vingt jours. Aussi Nn.
poléon était-il profondément ému <le cette perle.
Sorti de la ehaumierc ou l'on avait placé Duroc
mourant, il alla s'asseoir sur des fascines, assez
pres des nvant-postes. II était la , pensif, les
mains élcnducs sur ses genoux, les yeux hu mi–
des, en ten<lant
a
peine les eoups de fusil des li–
ridllcurs, et ne scnlant pas les carcsses d'un
chien appartenant
a
un régiment de Ja garde,
qui galopait souvent
a
coté de son chcval, et -
qui, en ce moment, s'était posé devant lui pour
léchcr ses mains. Un écuyer étant venu l'nrra–
cher
a
celle rcverie' il se leva brusquement'
et cacha ses !armes, pour n'etrc pus surpris
daos cet état d'émotion. Telle est la nature hu–
maine, changeante, insaisissable cfans ses aspects
divers, et ne pouvant elre jugée avec súreté que
par Dieu seul
!
Cet homme, attendri sur le sort
d'un blessé, avait fait mutiler plus de quatre–
vingt mille hommes depuis un mois, plus de
deux millions depuis dix-huit ans, et allait en
faire déehirer encore par les boulets quelques
centaines de mille
!
Napoléon ordonna sur-le-champ une cérémo–
nie pu blique, ou seraient pr·ononcés solennelle–
ment les éloges funebres des maréchaux Bessieres
et Duroc, par MM . Villemain et Victorin-Fahre.
- Je ne veux pas de
¡m~lres,
écrivit-il le jour