LIVRE QUARAN'fE-HUITIEl\IE.
/
apres l'avoir comblé des marques de sa faveur.
Ainsi fut ouverte cette négociation, en partic
sincere, en partie simulée de la part de Napo–
léon , mais en1rcprise avec une complete bonne
foi et un grand zele par le représentant de l'Au–
tricbe, qui se flattait d'avoir rapproché par son
savoir-faire les plus redoulables puissances de
l'univers pretes
a
s'entre-choquer de nouveau.
lmmédiatementapresavoir expédié
M.
deBubna,
Napoléon
fit
lui-meme ses prépara tifs de départ,
mais avant de quitter Drcsde il vouh1t tirer de
ces négociations entamées le principal résullat
qu'il en espérait, et qui consistait a s'aboucher
directement avec Alexandre pour échapper
a
l'influence de l'Autriche. Sous le prétexte de
1'armistice qui devait se négocier tout de suite
et
a
la vue des deux al'mées si on tenait
a
vré–
vcnir une nouvelle et sanglantc bataille, il ima–
gina d'envoycr aux avant-posles
l\L
de Caulain–
court, l'homme désigné entre tous pour un
semblable rapprochement, car
il
avait joui
non-seulement de !'estime, rnais de toute la
faveur d'Alexandre, de sa familiarité la plus
intime et la plus journaliere. M. de Caulaincourt
était meme désigné
a
ce point qu'on pouvait
dire qu'íl l'était trop, et qu'a son aspcct l'in–
tention de Napoléon éclnterait d'une maniere
frappante, alarmerait la Prusse, mettrait l'Au–
triche en éveil, peut-etre précipiterait les réso–
lutions les plus fatales. Calculant peu quand il
désirait, Napoléon était si pressé d'essayer un
rapprochement direct avec la Russie, qu'il ne
tint aucun compte des inconvénients que nous
venons de signaler, et qu'en partant de Dresde
il
fit
partir
1\1.
de Caulaincourt avec une lettre
pour M. de Nesselrode, datée du !8 mai, comme
celle de M. de Bubna pour
l\L
de
Sta~lion.
Il était
<lit dans cette Iettre qu'en conséquence de ce
qui avait été convcnu avec
l.
de Bubna, l'em–
pereur Napoléon se hatait d'cnvoyer un com–
missaire aux avant-postes pour négocier un
armisticc, ce qui luí semblait urgent, vu le voi–
sirn1ge des armées, et qu'il avait choisi pnrmi ses
grands officiers le personnage jugé le plus agréa–
blc a l'empereur Alexandre.
Cela fait, tous les ordres nécessaires ayant été
donnés au général Durosnel pour que les tetes
de pont de l'Elbe fussent .bien armées, pour
que les hópitaux fussent prets
a
recevoir beau–
coup de blessés, pour que les vivres abondassent
en cas de retr11itc, pour que la population füt
fortement contenue pendant les redoutables
scenes auxquelles il fallait s'altendre, pour que
le faible et bon roi de Saxe, resté tremblant
dans son palais,
ftlt
rassuré tous les jours contre
les faux bruits, Napoléon partil le
18,
et s'ache–
mina vcrs Bautzen , confiant, screin, ple'in d'es–
pérance, vivant au milieu des périls et du sang,
des souffrances d'autrui et des siennes, comme
d'autres vivent au milieu des distractions et des
plaisirs.
Sur sa route il trouva ruinée, brulant encore,
et veuve de ses habitanls presque tous réfugiés
dans les bois, la pauvre ville de Bischoffswerda.
Le désastre de cette petite cité, bien étrangere
aux querelles des potentats qui l'avaicnt aifsi
traitée, toucha la vive et impressionnable nature
de Napoléon. Elle le toucha cornme vous touche
un pauvre animal qu'on a blessé sans le vóuloir,
et qu'on voit gémissant a ses pieds. ll prescrivit
qu'une somme
fUt
prise sur son trésorparticulier
pour contribuer
a
la reconstruire, disposition
tres-sérieusement ordonnée, et qui, privée plus
tard d'exécution, ne le fut point par la faule de
Napoléon.
11
continua ensuite son voyage, et
a1Ia coucher a mi-chemin de Dresde
a
.Baut:1Jen.
Le lendemain
i9
mai, il
fut
rendu de t.res–
bonnc heure devant Bautzen, ou sa garde venait
d'arriver, et ou ses troupes l'attendaient avec
irnpatience, comptant sur U:n nouveau triomphe.
11
monta aussitót
a
cheval pour faire, suivnnt
sa coutume, la reconnaissance des lieux ou il
s'appretait
a
livrer bataille. Voici quelle
é~ait-
la
position sur laquelle nous allions nous rencon–
trer encore une fois avec l'Europe co111isée, afin·
de rétablir le prestige de nos armes. (Voir la
carte n° ñ9 . )
Ainsi que nous I'avons déja dit, cctte position
était adossée aux plu.s hautes mont11gnes de la
Boheme, au
Riesen- Gebirge,
tcrrain neutre,
contre lequcl les uns et les autres pouvaient
s'appuyer
in
1
cc sécurité, car aucun des belligé–
rants ne devait etre tenté de s'aliéner l'Autriche
en violant son territoire.
A
notre droite, on
voyait done s'élever ces montagnes couvertes de
noirs sapins, puis la Sprée sortir de lcur flanc,
couler dans un lit profondément cncaissé, et
passer autour de la petite ville de Bautzen, sous
un pont de pierre fortemerit barricadé. Tout
a
fait devant soi on découvrait la ville de Bautzen,
qu'entourait un vieux mur crénelé, flanqué de
tours et armé de canons, pui.s
a
gauche la Sprée,
qui apres avoir circulé
a
travcrs des hautei.Jrs
boisécs, fort inférieures aux montagnes de droite,
allait tout
a
coup se répandre dans un lit ou–
ver·t, au milieu de prairies verdoyantes, entre-