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LIVRE CINQUANTE-'I ROISIEME.
L'Autriche s'était batée de la lui offrir, moins
pour former des liens avec la Fl'ancc, que pour
rompre les Jiens de la France avec la Russie, et
il
l'avait acceptée, parce qu'on luí avait fait at·
tcndre la princesse
russ~,
parce que la princessc
autrichienne était de plus noble extraction ,
parce qu'elle lui procurait un mariage commc
les Bourhons en eontractaient jadis. A partir de
ce jour, l'alliancc avec la Russie, alliance fausse,
mensongerQ, mais spécieuse, et par cela momen–
tanément uti1e, était brisée. Napoléon était seul
dans le monde avec son orgueil et son ªrmée,
armée admirable, mais éparpillée de Cadix
a
Kowno.
Ainsi le résultat de ses vues pacifiques ala suite
de Wagram était celui-ci : Réunion
a
l'Empirc
de la Hollande, des villes hanséatiques,du duché.
d'Oldenb_Qurg, de la Toscane, de Romc; capti–
vité du Pape ; rigucurs intolérables et infractions
inexplicables dans l'exécution clu blocus conti–
ncn tal; prclongation indéfinic de la guerrc d'Es–
pagne; rupture de l'alliance russc, saos avoir
acquis l'allianee de la cour d'Autriche, avec
laquellc on avait contracté un mariage de va–
nité
!
Telle élait la situation de Napoléon en 181
t,
apres
d~ze
années d'une rcgne absolu, soit
commc Premier Consul, soit comme Empereur.
11 fallait une solution. Se lassant de la chercher
dans la Péninsule, depuis que l\fosséna avait été
arreté devant les lignes de Torres-Védras, Napo–
léon s'occupa de la trouver ailleurs. L'Autriche ,
la Prusse, profondémcnt soumises en apparence,
le creur ulcéré mais la tete basse, ne proféraient
pas une parole qui ne fUt une parole de défé–
rcnce, et faisaient entendrc tout au plus une
priere si elles avaient quelque intéret trop souf–
frant
a
défendre. La Russic, un peu moins hum–
ble, osait scule discutcr avec le mailre du conti–
nent, muis du ton le plus doux. On voyait
qu'ellc n'avait pas ccssé de compler sur son éloi–
gnement géographique, bien qu'a Fricdland elle
cut sentí qu'a la distance de la Scine au Niémen
les coups de Napoléon étaient encore
bien
rudes.
Elle se plaignait modérémcnt de ce qu'on avail
dépouillé son parcnt le duc d'Oldcnbourg. Elle
demandait que par une convention secrole on Ja
rassurat sur !'avenir réscrvé au grand.duché de
Varsovie, que Napoléon avait agrandi aprcs
Wagram, et qui n'était ríen,
ou
devait étre la
Pologne. Enfin, cl ic résistait
a
Ja nouvelle forme
donnée au blocus continental. EUe <lisait que
chacun dcvait ctre libre d'établir cbcz soi les lois
•
•
commercialcs qu'il jugeait les meilleures; qu'cllc
avait promis de fermer les rivages russes au
commerce britannique, et qu'elle tenait parole;
qu'il enlrait sans doute quelques batimcnts an–
glais sous
le
pavillon américain , mais qu'ils
étaient infiniment peu nombreux, et qu'elle ne
pouvait l'empécber sans révolter ses peuples.
Tout cela, on s'en souvient, était dit avec une
modération infinie, et appuyé de raisonnements
tres-solides. Quant
a
l'outrage fait
a
la princesse
russe, Ja Russic se taisait, mais de maniere
a
prouver qu'elle l'avait viYement senti.
Ces objections indignerent Napoléon. Lui avoir
résisté, méme sans bruit, meme sans que le
monde en sut rien, c'était
a
ses yeux avoir donné
le signa} de la révolte. De ce que qnelqu'un ,
quelquc part, opposait une objcction
a
ses vo–
lontés arbitraires,
il
se tenait pour bravé..A la
colere de l'orgucil se joignit chez luí un calcul.
Achevcr In guerre d'Espagnc en Espagne sem–
blant difficilc, et surtout long, les effets du blo–
cus continental se faisant altcndre, l'expédition
deBonlogne étant depuis longtemps abandonnée,
il
crut qu'il fallait allcr lout lermincr sur les
bords de la Dwina et du Dniépcr. 11 se figura
que lorsque de Cadix a 1U0scou
il
n'y
aurait plus
une ombrc de résistance, et que la Russie serait
réduitc
a
l'état de la Prusse ou de l'Aulrichc, il
aurait résolu la question europécnne, que l'An–
gleterre
a
boul de conslance se rcndrait, que
l'Empire franc;ais s'étcndant de Rome
a
Amster–
dam, d'Amstcrdam
a
Lubeck, serait foodé, avec
les royaumcs d'Espagne, de Naples, d'Italic, de
Westphalic, pour royaumes vassaux
!
Ainsi co–
lere d'orgueil, calcul de finir au Nord ce qui ne
finissait pas au Midi, tclles furent les véritables
et seules causes de la guerre de Russic.
Cctte funcstc entreprise fut tentée avcc des
moyens formidables, et commenc;a
a
Dresde par
un spectaclc inoul de puissancc d'un coté, de
dépendance de l'autre, donné par Napoléon et
les souverains du contincnt pendant un mois
lout entier. Ccux-ci, plus ulcérés et plus hum–
blcs que jamais, se présenlercnt devant leur
ma.itres l'humililé sur le front, la haine daos Je
creur. Bien que Napoléon, Join d'avoir perdu de
ses facultésr?omme capitaine, possédat au con–
traire ce que la plus grande expérience pouvait
ajouter au plus grand génie, ccpendant l'art de
Ja guerrc Jui·meme avait pcrdu quel<JUC . chosc
sous l'influence de l'immensité et de la précipi–
lation des cntrepriscs. Daos lous les arls en cífet,
il
arriye souvent qu'on fait mal en faisant trop .