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LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.

la Pologne, songea a la

relc~er,

sans se demander

si on peut ressusciter les Etats plus facilemcnt

que les individus. Il était animé contre les

Russes, et ne songcait qu'a leur causer les plus

grands déplaisirs et les plus grands dommages.

I1 livra a Czarnowo,

i:i

Pultusk, de sanglantes

batailles,

fit

a

Eylau une premiere expériencc

de ce climat du Nord et de ce désespoir des peu–

ples, devant lesquels

il

devait succomber plus

tard, et , pcndant un hiver passé sur la neige,

opéra des prodiges d'habilelé et d'énergie. Enfin

le printcmps venu, il livra et gagna la bataillc

de Fricdland, la plus belle peut-etre de tous les

siecles par la promptitude et la profondeur des

combinaisons, par la grandeur des conséquences.

Alexandre tomba a ses pieds comme avaient

fait

Fran~ois

II et Frédéric-Guillaume, et le grand

conquér ant des tcmps modernes s'arreta, car il

avait senti

a

cctte dislance la terrc manquer sous

ses pas. Scul aux extrémités du conti nen t, en–

touré d'États détruits, éprouvant pourtant le

besoin de s'appuyer sur un allié quel qu'il fUt ,

Napoléon imagina de s'appuyer sur son jeune

enncmi vaincu. En effct l'alliance autrichiennc ,

toujours irnpossible

a

cette époque, l'était deve–

nue davantage depuis les rigueurs qui avaient

suivi AusterliLz; l'alliance prussienne avait été

manquéc, et il ne restait plus que l'alliance russe.

Mobile par défaut de príncipes arretés, en pré–

sence d'un prince mobile par naturc, Napoléon

passa brusquement o'une politique a l'autre' en

cntrainant son jcune émule a sa suite. 11

con~ut

alors le systemc de deux grands empircs , un

d'Occident qui scrait le sien, un d'Orient qui

serait celui d'Alcxandrc, le sien bien enfendu

devant dominer l'autre, lcsquels décideraicnt de

tout dans le monde. ll cut une entrevuc sur le

radeau de Tilsit avec le czar, le releva de sa

chu te, le flatta, I'cnivra , et sorlit de ce célebre

radcau avcc l'alliance russc. Pourtant il cut fallu

s'cxpliquer , et l'alliance devant reposer sur des

complaisanccs réciproques, détermincr l'étcnduc

de ces complaisanccs. Napoléoo était pressé,

Alcxandre séduit, on s'ctnbrassa , on se pr omit

tout, mais on ne s'cxpliqua sur ríen. Alexandrc

laissa voir le dcssein de prcndre Ja Finlande , a

quoi Napoléon conscntit, ayant de nomhreuses

raisons d'en vouloir

a

la SuCdc. De plus Alexan–

dre laissa percer tous les désirs d'un jeune hommc

a

I'égard de l'Orient. Au mot de Constantinople

Napoléon hondit, puis se contint , et permita

son nouvel allié tous les reves qu'il lui plut de

concevoir. C'est sur de telles bases que dut repo-

ser l'union des deux empires. On signa le traité

de Tilsit. Napoléon enleva

a

la Prusse une moitié

de ses États , et lui rendit l'autre moitié

a

la

priere d'AlexandTe. D'une partic des États prus–

siens et de quelques sacrifices demandés

a

Alexandre, Napoléon composa le grand-duché

de Varsov1e, fantome agitateur pour les Polonais,

alarmant pour les anciens copartageants, lequel

fut donné au roi de Saxe. Avee le surplus des

dépouilles prussiennes , et avec l'électorat de

Hesse, Napoléon composa le royaume de West–

phalie, destiné

a

son frere Jérome. La Saxe,

agrandic du grand-duché, et Je nouveau royaume

de Westphalie, durent faire partie de la Confé–

dération du Rhin, qui s'étendit ainsi jusqu'a la

Vístule. On ne pouvait certes accumuler plus de

contre-sens. Une Allemagne sous un empereur

frarn;ais, comprenant un royaume fran«;ais, celui

de Westphalie, un duché fran<;ais, celui de Berg

(conféré a Murat) , comprenant la Saxe agr:rndic

sans l'avoir voulu, et Ja Pol ogne a moitié i·es–

taurée, ne comprenant ni la Prusse

a

demi dé–

truite , ni l'Autriche, que l'extension promise

a

la Russie sur le Danube achevait de désoler;

aux deux exlrémités de cette Allcmagne, si pcu

allemande, deux empercurs, l'un de Russie ,

l'autre de France, se promettant une amitié in–

violable pourvu que chacun des deux Iaissat faire

a

l'autre ce qui lui plairait, et se gardant bien

de s'cxpliquer de peur de n'etrc pas d'accord,

l'un notamment revant d'aller

a

Constantinople

ou son allié ne voulait pas le laisser aller, l'autre

ayant commencé une Pologne que son allié ne

voulait pas lui laisser achevcr; enfin, en dehors

de ce chaos, l'Angletcrre se promcnant autour

des dcux empires alliés avec cent vaisseaux et

deux cents frégates, l'Angleterre implacable, réso–

lue de

ha

ter la ruine de cet extravagant édifice, tcl

fut le systeme dit de 1'ilsit, imaginé au lendemain

de l'immortclle victoire de Friedland. Quel fruit

politique d'un si beau triomphe militaire

!

Assurément, si au milieu du torrent qui l'en–

trainait, Napoléon avait été capnble de s'arreter

et de r éfléchir, il aurait pu apres Frieland , encore

micux qu'apres Austerlitz, revenir d'un seul coup

a

la bellc politique du Consulat, complétée, con–

solidéc, et n ayant qu'un inconvénient, celui

d'etre trop agrandie. Le continent, qu'on pou–

vait regarder déja comme vaincu

a

Austerlitz,

l'était définitivcment et sans appel apres Fricd–

land. L'armée du grand Frédéric, toujours citée

pour piquer l'orgueil du vainqueur de Marengo

et d'Austcl'litz, n'était plus. Les distances qui