?>78
LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.
la Pologne, songea a la
relc~er,
sans se demander
si on peut ressusciter les Etats plus facilemcnt
que les individus. Il était animé contre les
Russes, et ne songcait qu'a leur causer les plus
grands déplaisirs et les plus grands dommages.
I1 livra a Czarnowo,
i:i
Pultusk, de sanglantes
batailles,
fit
a
Eylau une premiere expériencc
de ce climat du Nord et de ce désespoir des peu–
ples, devant lesquels
il
devait succomber plus
tard, et , pcndant un hiver passé sur la neige,
opéra des prodiges d'habilelé et d'énergie. Enfin
le printcmps venu, il livra et gagna la bataillc
de Fricdland, la plus belle peut-etre de tous les
siecles par la promptitude et la profondeur des
combinaisons, par la grandeur des conséquences.
Alexandre tomba a ses pieds comme avaient
fait
Fran~ois
II et Frédéric-Guillaume, et le grand
conquér ant des tcmps modernes s'arreta, car il
avait senti
a
cctte dislance la terrc manquer sous
ses pas. Scul aux extrémités du conti nen t, en–
touré d'États détruits, éprouvant pourtant le
besoin de s'appuyer sur un allié quel qu'il fUt ,
Napoléon imagina de s'appuyer sur son jeune
enncmi vaincu. En effct l'alliance autrichiennc ,
toujours irnpossible
a
cette époque, l'était deve–
nue davantage depuis les rigueurs qui avaient
suivi AusterliLz; l'alliance prussienne avait été
manquéc, et il ne restait plus que l'alliance russe.
Mobile par défaut de príncipes arretés, en pré–
sence d'un prince mobile par naturc, Napoléon
passa brusquement o'une politique a l'autre' en
cntrainant son jcune émule a sa suite. 11
con~ut
alors le systemc de deux grands empircs , un
d'Occident qui scrait le sien, un d'Orient qui
serait celui d'Alcxandrc, le sien bien enfendu
devant dominer l'autre, lcsquels décideraicnt de
tout dans le monde. ll cut une entrevuc sur le
radeau de Tilsit avec le czar, le releva de sa
chu te, le flatta, I'cnivra , et sorlit de ce célebre
radcau avcc l'alliance russc. Pourtant il cut fallu
s'cxpliquer , et l'alliance devant reposer sur des
complaisanccs réciproques, détermincr l'étcnduc
de ces complaisanccs. Napoléoo était pressé,
Alcxandre séduit, on s'ctnbrassa , on se pr omit
tout, mais on ne s'cxpliqua sur ríen. Alexandrc
laissa voir le dcssein de prcndre Ja Finlande , a
quoi Napoléon conscntit, ayant de nomhreuses
raisons d'en vouloir
a
la SuCdc. De plus Alexan–
dre laissa percer tous les désirs d'un jeune hommc
a
I'égard de l'Orient. Au mot de Constantinople
Napoléon hondit, puis se contint , et permita
son nouvel allié tous les reves qu'il lui plut de
concevoir. C'est sur de telles bases que dut repo-
ser l'union des deux empires. On signa le traité
de Tilsit. Napoléon enleva
a
la Prusse une moitié
de ses États , et lui rendit l'autre moitié
a
la
priere d'AlexandTe. D'une partic des États prus–
siens et de quelques sacrifices demandés
a
Alexandre, Napoléon composa le grand-duché
de Varsov1e, fantome agitateur pour les Polonais,
alarmant pour les anciens copartageants, lequel
fut donné au roi de Saxe. Avee le surplus des
dépouilles prussiennes , et avec l'électorat de
Hesse, Napoléon composa le royaume de West–
phalie, destiné
a
son frere Jérome. La Saxe,
agrandic du grand-duché, et Je nouveau royaume
de Westphalie, durent faire partie de la Confé–
dération du Rhin, qui s'étendit ainsi jusqu'a la
Vístule. On ne pouvait certes accumuler plus de
contre-sens. Une Allemagne sous un empereur
frarn;ais, comprenant un royaume fran«;ais, celui
de Westphalie, un duché fran<;ais, celui de Berg
(conféré a Murat) , comprenant la Saxe agr:rndic
sans l'avoir voulu, et Ja Pol ogne a moitié i·es–
taurée, ne comprenant ni la Prusse
a
demi dé–
truite , ni l'Autriche, que l'extension promise
a
la Russie sur le Danube achevait de désoler;
aux deux exlrémités de cette Allcmagne, si pcu
allemande, deux empercurs, l'un de Russie ,
l'autre de France, se promettant une amitié in–
violable pourvu que chacun des deux Iaissat faire
a
l'autre ce qui lui plairait, et se gardant bien
de s'cxpliquer de peur de n'etrc pas d'accord,
l'un notamment revant d'aller
a
Constantinople
ou son allié ne voulait pas le laisser aller, l'autre
ayant commencé une Pologne que son allié ne
voulait pas lui laisser achevcr; enfin, en dehors
de ce chaos, l'Angletcrre se promcnant autour
des dcux empires alliés avec cent vaisseaux et
deux cents frégates, l'Angleterre implacable, réso–
lue de
ha
ter la ruine de cet extravagant édifice, tcl
fut le systeme dit de 1'ilsit, imaginé au lendemain
de l'immortclle victoire de Friedland. Quel fruit
politique d'un si beau triomphe militaire
!
Assurément, si au milieu du torrent qui l'en–
trainait, Napoléon avait été capnble de s'arreter
et de r éfléchir, il aurait pu apres Frieland , encore
micux qu'apres Austerlitz, revenir d'un seul coup
a
la bellc politique du Consulat, complétée, con–
solidéc, et n ayant qu'un inconvénient, celui
d'etre trop agrandie. Le continent, qu'on pou–
vait regarder déja comme vaincu
a
Austerlitz,
l'était définitivcment et sans appel apres Fricd–
land. L'armée du grand Frédéric, toujours citée
pour piquer l'orgueil du vainqueur de Marengo
et d'Austcl'litz, n'était plus. Les distances qui