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LIVRE
CIN~UANTE-TROISIEME .
ennemi bondit sur un' autre, courut en q1uel'ques
jours de Boulogne
a
Ulm, d'Ulm
a
Ansferlitiz,
accabla l'Autri'che et
fa
Russie, puis·vi·t la Prusse,
qui allait se joindre
a
l'Europe,. tcnn;ber trem–
blante
a
ses pieds, et <lemander· grace au vain–
queur de la coafüion
!
A partir de ce moment,
fa
guerre
al'
Angleterre
s'était convertie en guerre au continent, et ce
n'était certainement pas un malheur, si on savait
se conduire politiquement aussi bien que mili–
tairement. Les 1missances du contioént, en pre–
nan
t
les a·rmes pour
l'
Angleterre, nous fournis–
saient un champ de bataille qui nous manquait,
un champ de bataille ou nous trouvions Ulm et
Austerlitz au lieu de Trafalgar. Il n'y avait done
pas
¡l
se plaindre. Mais apres les avoir biea bat–
tues et convaincues de l'inanité de leurs efforts,
il follait se comporter a leur égard de maniere
qu'elles ne fussent pas tentées de recommencer;
il
fallait punir l'Autriche sans la désespérer, la
consoler meme de ses grands ma1heurs, si on
pouvait lui procurer un dédommagement; i1l
follait laisser la Russie a sa confusion,
a
l'im–
puissance résultant des distances, sans luí rien
demandcr ni lui rien accorder, et quant
a
la
Prusse enfin, il fallait ne pas trop abuser de ses
fautes, ne pas trop se raillcr de sa médiation
manquée;
il
fallait lui montrer le dangcr de cé–
der aux passions des coteries, se l'attacher dé–
finitivement en luí donnant quelques-unes des
dépouilles opimes de la victoirc, et puis revenir
avec nos forces victorieuses vcrs l'Angleterre,
privée désormais d'alliés, effrayée de son isole–
ment, assaillie de nos corsaires, menacée d'une
expédition formidable. La raison dit, et les faits
prouvent qu'elle n'eut pas attendu qu'on eut
traité avec ses alliés battus, pour traiter elle–
meme. On aurait eu la paix d'A:miens, agrandie.
Apres Ulm et Austerlitz, Napoléon se trouvait
daos une position unique pour réaliser en Eu–
rope cette sage et profonde politique qui aurait
eonsisté a séparer le continent de l'Angleterre,
et
a
foreer ainsi cette derniere
a
la paix. L'Au–
triche, habituée
a
lutter einq ans, trois ans au
moins contre nous, se voyant en dcux mois en–
valiie jusqu'a Vienne et jusqu'a Brunn, perdant
en un jour des armées entieres, réduites a poser
les armes comme celle de Mack, n'avait plus au–
cune idée de nous résister, a rnoins toutefois
qu'on ne la poussat au dernier degré du déses–
poir. Le jeune cmpereur de Russie qui, a la tete
des soldats de Souvarof, avait cru pouvoir jouer
un role important et n'en avait joué qu'un fort
humiliaint, était tombé dans un ába,fltement ex–
t11eme. La Prusse qui, avec les
200
mille solda
1
ts
du grand Frédéríc, était venúe
a
Vienne pour
di·cter la loi, et n0us trouvait en mesure de la
dicter a tout le mon'de, était a la fois tremblante
et presq\Je ridicule. Qu'il eut été facile, séant,
habile, d'etve généreux envers de tels ennemis
!
Sans doute on ne pouvait pas faire une amie
de l'Aut11iche, et nous a-v.ons dit pourquoi; mais
en renorn;ant
a
en faire
ª'
cette époque l'alliée
de la France,
il
ne fallait pas ajouter inutilement
a ses ehagrins, et les conveutir en haine impla..
cable. En dédommagement des Pays-Bas, de la
Souabe, du Milanais, dre la clientele des États
ecclésiastiques qu'elle avait perdus, on luí avait
donné les États vénitiens. Les lui retirer était
dur. Pourtant comme la guerre ne peut ctre un
jeu qui ne coute rien
a
ccux qui la suseitent, on
con<;oit qu'on lui reprit les États vénitiens, bien
que le m:otif d'affranchir l'Italie ne pút etre lil–
légué décemment, depuis que nous avions pris
le Piémont, et converti la Lombardie en apa–
nage de la famiU'e Bonaparte. Mais en ótant Ve–
nise
a
l'
Autriche, lui óter encore Trieste, lui
óter l'IUyFie, comme le
fit
alors Napoléon, l'ui
enlever tout débouché vers lamer, la réduire
ainsi
a
étouff~r
au sein de son territ0ire conti–
nental, était une rigueur saos profit véritable
pour nous, et qu1i ne pouvait que la désespérer.
Ne pas meme s'cn teni,r la, lui ravir de plus le
Tyrol, le Vorarlberg, les restes de la Souabé,
pour enrichir la Baviere, le Wurtemberg, Ba–
dea, petits et faux alliés qlUi devaient nous ex–
ploiter pour nous trahir, c'était la rendre impla–
cable. A traiter les gens ai.nsi, il faut les tuer, et
quand on ne peut pas les tuer, c'est se préparer
des ennemis, qui', a· la· premicre occasion, vous
égorgent par derrie1•e, et qui en ont le droit.
Oter a l'Autriche les Etats vénitiens, seule
consolation de toutes ses pcrtes, était dur, d1i–
soris-nous, et cependant résultait présque inévi–
tablement de Ja t11oisiemc coalition. La bonne
politique eut eonsisté a lui trouver un dédom–
magement de cette inévitiable rigueur.
11
y
en
avait un facile alors,
a
la maniere dont on trai–
tait le monde, c'était de la pousser a l'orient et'
de Jui donner le,s..provinces du Danube. Le sort
de l'Europe dans cecas eut été changé, car l'Au–
triche assise sur le Danube, son véritable siége,
eut acquis plus qu
1
elle n'avait perdu, eut
a
ja–
mais couvert Constantinople, ellt a jamais été
brouillée avec la Russie. Le procédé eut été
die~
tatorial sans doute, mais puisqu'on devait un peu