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LIVRE

CINQUANTE~TROISIE1\1E.

bien déchue a cette époque, l'Espagne, demeurée

sous le sceptre des Bourbons, mais tombée dans

un tel état de décomposition, et, dans cet état,

tellement proste11née aux pieds du Premier Con–

sul, qu'il n'y avait, pour la gouverner de París,

qu'un mot

a

dire au pauvre Charles IV, ou au

misérable Godoy. En laissant memela décomposi–

tion s'achever, on devait Ja voir bientót demandcr

au Premier Consul, non-seulement une politique,

ce qu'elle faisait déja, mais un gouvernement, un

roí peut-etre

!

Qu'avait-il done a désirer, pour lui, pour la

France, l'heurcux mortel qui en était devenu le

chef? Rien, que d'etre fidelea cette politique, qui

était celle de la force rendue supportable par la

modération. Le vainqueur de Ri voli, des Pyra–

mides, de Marengo, auteur aussi du Concordat,

des traités de Lunéville eLd'Amiens, de l'acte de

la médiation suisse, du recez de la diete de 1803,

du Code civil, du rappel des émigrés, avait plus

de gloires diverses qu'aucun mortel n'en ajamais

cu. Si un mérite pouvait manquer au faisceau de

tous ses mérites, c'était peut-etre de n'avoir pas

donné la liberté

a

la France. Mais alors la peur

de la liberté, loin d'etre un prétexte de la servi–

Jité, était un sentiment insurmontable. Pour la

génération de 1800, la liberté, c'était l'échafaud,

le schisme, la guerre de la Vendée,

la

banque–

route, la confiscation. La seule liberté qu'il fallait

alors

a

la Franée, c'était la modération d'un grand

homme. l\'Iais, hélas

!

la rnodération d'un grand

homme, doté de tous les pouvoirs, füt-il, en

outre, dot.é de tous les génies, n'est-elle pas de

toutes les chimeres r évolutionnaires la plus

chimérique?

La liberté, meme lorsqu'clle cst hors de saison,

n'en fait pas moins faute la ou elle n'est point.

Cet homme si admirable alors, par cela meme

qu'il pouvait tout, était au bord d'un abime.

A peine, en effet, la paix d'Amiens était-elle

signée depuis quelques mois, et la joie de la paix

un peu refroidie chez les Anglais, qu'il resta sous

leurs yeux, éclatante comme une lamiere impor–

tune, la graodeur de la France, malheureusement

trop peu dissimulée dans la personne du Premier

Consul. Quelques caresses a M. Fox, en visite

a

Paris, n'cmpecherent pas que le Premier Consul

n'eut l'attitude du maitre, non-seulement des

a.tfaircs de la France, mais des a.tfaires de l'Eu–

ropc. Son langage plein de génie et d'ambition

o:ffusquait l'orgueil des Anglais, son activité dé–

vorante inquiétait leur repos . 11 expédiait une

armée

a

Saint-Domingue, e qui était fort permis

assurément, mais il envoyait publiquement le

colonel Sébastiani en Turquie, le colonel Savary

en Égypte, le général Decaen daos l'lnde,

chargés de missions d'observation qui pouvaient

difficilement etre prises pour des missions scien–

tifiques, C'était plus qu'il n'en fallait pour éveiller

les ombrages britanniques. A cette époque, des

émigrés, obstinément restés en Angleterre, mal–

gré la gloire et la clémence du Premicr Consul,

publiaient contre lui et sa famille des écrits que

la réprobation universelle de

l'

Angleterre eut

étouffés un an auparavant, qu'aujourd'huí sa

jalousie imprudemment excitée accueillait ·avec

complaisance, que

ses

lois ne permettaient pas

d'interdire. C'était bien le cas du dédain, car

quel sommet plus élevé que celui ou était placé

le Preruier Consul, pour regarder de haut en

has les indignités de la calomnie ? Hélas !

il

des–

cendit de ce faite glorieux pour écouter des

pamphlétaires, et se livra a des emportements

aussi violents qu'indignes de lui. L'outrager lui,

le sage, le victorieux, quel crime irrémissible

!

Comme si dans tous les temps, dans tous les pays,

libres ou non, on n'outrageait pas le génie, la

vertu, la bienfaisance

!

Non, il fallait que des

torrents de sang coulassent, parce que des

pamphlétaircs injuriant tous les jours leur gou–

vernement, avaient insulté un étrangcr, grand

homme saos doute, mais homme apres tout,- et

de plus chef d'une nation rivale

!

Des cct instant, le défi fut jeté entre le guer–

rier en qui s'était résumée la Révolution fran–

<;aise, et le pcuple anglais dont

la

jalousie avait

_été trop peu ménagée. Il suffisait de quelques

jours pour que Malte füt évacuée, et, par une

fatalité singuJiere,

il

fallut que, daos ce moment

ou toutcs les passions britanniqucs étaient ex–

citées, le Prcmier Consul, exer<¡ant en Suisse

sa bienfaisante dictature, envoyat une armée

a

Berne. Un ministere faible, humble ser–

viteur des passions britanniques, y chercha un

prétexte de suspendre l'évacuation de !\falte. Si

le Premier Consul cut pris patience, s'il eut

insisté avec fermeté mais douceur, la frivolité

du motif n'eu t pas permis de dif!érer longtemps

l'évacuation solérlnellement promise de la grande

forteresse méditcrranéenne. Mais le Premier

Consul éprouvant outre le sentiment de l'orgueil

of!ensé, celui de la j ustice blessée, demanda

qu'on exécutat les traités, car

il

n'était, disait-·il,

aucune puissance qui put manquer impunément

de parole

a

la France et

a

luí. Tout le monde se

souvient de la sccne tristement héroi'que avec