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LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.

daos les motifs de chacun, serrait affectueuse–

ment

la

main des partants, car il savait que

c'étafon.t des adieux définitifs qu'.il rece:vaH, et

leur Jaissait dire, sans le croire, qu'ils allaient

revenir. Peu

a

peu le palais de Fontainebleau

était de:ven:u désert. Dans ses cours silencieuses

on avait .q-uelq.uefois encore l'oreille frappée par

des bruits de voitures, on écoutait, et c'étaient

des voitures qui s'en allaient. Napoléon assistait

ainsi tout vivant

a

sa propre fin. Qui n'a vu sou–

vent,

a

l'entrée de l'hiver, au milieu des campa–

gnes déja ravagées, un chene puissant, étalant

au loin ses rameaux sans verdure, et ayant a ses

pieds les débris desséchés de sa riche végétation

!

Tout autour regnent le f.roid

e.t

le silence, et par

intervalles on entend

.a

peine le bruit léger d'une

feuilleq.ui

tombe. L'arbre immobile et fier n'a plus

que quelques feuilles jaunies

pret.cs

a

se déta..–

cher comme les autres, mais il n'en domine pas

m@ios la plaine de sa tete sublime et dép.ouillée.

Ainsi Napoléon voyait disparaitre une

a

une les

fidélités qui l'avaient suivi

a

travers les innom–

brables vicissitudes de sa vie. 11

y

en avalt qui

tennient un jour, deux jours de plus, et qui ex–

piraient au troisicme. To utes fi.nissaient par arri–

vcr au terme. 11 en était

quelques-un.es

pourtant

que

ríen

n'avait pu ébranler. Drouot, l'improba–

tion dans le creur, la tristesse sur le front, le

respect

a

la bouche, était demeuré aupres de son

maitre malhcureux. Le général Bertrand avait

suivi ce géuéreux exemple. Les ducs de Vicence

et de Bassano étaient restés aussi. Le duc de Vi–

cenee n'était pas plusflatteurqu'autrefois, le duc

de Bassano l'élait presque davantage, et donnait

ainsi de sa Jqngue soumission une honorable

excuse, en prouvant qu'elle tenait

a

une admira–

tion deNapoléon, sincere, absolue, io<l.épendante

du temps et des événements. Napoléon, touehé

de son dévouement, lui adrcssa plus d'une fois

ces paroles consolatrices : -Bassano, ils préten–

dent que c'est vous qui m'avez empeché de fairc

la paix

!...

qu'en <lites-vous?... Cett.e aceusation

doit vous faire sourire , comme toutes celles

qu'on me prodigue aujourd'hui...-Et Na.poléon

luí avait autaot de fois serré la main, avouant

ainsi de la maniere la plus noble qu'il était le

seul coupable.

Celte longue agonie devait finir. Les eommis–

saires des puissances étaient arrivés, et Napoléon

les avait parfaitement accueillis, excepté le com–

missaire prussien, qui luí rappelait deux souve–

nirs pénibles : ses anciens torts envers la Prusse,

et

la conduite odieuse e l'armée prussienne

envers nos provinccs ravagées. 11 l!avait traité

avec politesse et froideur. Tout étant pret des

le 18, Napoléon, mieux informé de ce qui s'était

passé a Rambouillet entre sa femme et son beau–

pere, comprit

q.ue

cette entrevue, de laquelle

il

avait espéré quelque cbose, moins pour Iui que

pour Marie-Louise et le roi de Rome, n'abouti–

rait qu'a le priver de ICur présence, et que ces

etres chéris, considérés non cornme une famille ,

mais comme une partie des grandeurs du tróne,

lui seraient probablement enlevés avec le trónc

lui-meme: Il en

con~ut

UD mouvement d'irrita·

tion fort vif, et UD instant fut pret a briser le

traité du 11 avril, et a se précipiter dans de nou–

velles aventures. Revenu bientót

a

Ja raison et

a

la résignation, il se montra résolu a partir. .Mais

les ordres pour le gouverneur de l'ile d'Elhe n'é–

tant pas assez explicites, M. de Caulaincourt

c.ourut de nouveau

a

París pour les faire préciser.

Enfin le 20 au malin, plus rien ne manquant,

Napoléon se décida

a

quitter Fontaioebleau. Le

hataillon de sa garde destiné a le suivre a l'ile

d'Elbe était déja en route. La garde elle-meme

était campée

a

Fontainebleau.

U

voulut lui

adresser ses adieux. Il Ja fit ranger en cerele au–

tour de lui, daos Ja c.our du chatean , puis, en

présence de ses vieux soldats profondément émus,

il

pronon~a

les paroles suivantes : " Soldats,

vous mes vieux compagoons d'armes, que j'ai

toujours trouvés sur le chemin de l'honneur, il

faut enfin nous quitter. J'aurais pu rester plus

longtemps au miliet¡. de vous, mais

il

aurait fallu

prolonger une lulte cruelle, ajouter peut-etre la

guerre civile

a

la

guerre étraogere, et je n'ai pu

me r.ésoudre

a

déchirer plus longtemps le sein

de la France. Jouisse.z du repos que vous avez si

justement

~cqµis,

et soyez heurcux. Quant.a moi,

ne me plaignez pas.

IJ

me reste une mission, et

c'est pour la remplir que je consens

a

vivre, c'est

de rac.oDLer

a

la postérilé les grandes choses que

nous avoni¡ faites ·ensemble. Je voudrais vous

serrer tous dans mes bras, mais laissez-moi em–

brasser ce drapea u qui vous représenle... -

Alors attirant

a

lui le gé.néral PeLit, qui portait

le drapeau de la

vieill<J~l\arde,

et qui étail le mo–

dele aeeompli de l'héroi'sme modeste, il pressa

sur sa poitrine Le

dr~·peau

et le général, au mi –

Iieu des eris et des

lar~nes

des assistants, puis

il

se jeta dans te fond de sa voiture, les yeux hu–

mides, et

ay~mt

attendri les eommissaires eux–

memes .chargés de l'accompagner.

Son voyage se

fit

d'abord lentement. Le gé–

néral Drouot ouvrait la marche dans une voiture.