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!'S60

LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.

blement ravagées. _Des cadavres d'hommcs et de

chevaux infcctaient les chemins ; les batiments

de forme étaient en cendres ; les ponts étaient

barricadés ou coupés; la population était en

fuite ou cachée, et accourait quand elle enten–

dait un roulement de voilure autre que celui des

canons. On la comblait de joie quand on lui an–

nonc:;ait la paix, et d'étonnement quand a cette

nouvelle on ajoutaitcelleduretour des Bourbons.

Elle restait froid e au nom de ces princes, car,

daos les provinces de l'Est, Napoléon éLait encore

pour les babitants le défenseur du sol, bien que

par sa politique il y cut atliré les ennemis. A

Cbalons, presque tout le monde était absent. A

Meaux, l'éveque, le préfet, les fonctionnaires,

les principaux habitants avaient quitté la ville

pour ne pas assister a l'arrivée du prince. Pour–

tant M. le comte d'Artois, des qu'il pouvait se

faire vo1r ou entendre, ne manquait jamais de

réussir. Avec peu de savoir, mais avec une rc–

marquable facilité d'expression, une bonne grace

parfaite, une noble figure a laquelle un nez

aquilin, une levrc pcndante donnaient tout

a

fait le caractere de sa famille, et qu'une grande

expression de bonté, un extreme désir de plairo

rendaient agréa ble a tous, il avait de quoi ra–

mener les cmurs a lui. A Chalons, a Meaux,

il

finit par vaincre la froideur de ceux qu'il put

joindre, et les laissa beaucoup mieux disposés

qu'il ne les avait trouvés.

En approchant de Paris, M. de Vitrolles rec:;ut

une leltre de M. de Talleyrand qui lui mandait

ce qui s'était passé, c'est-a-dire l'adoption et la

publication de la constilution du Sénat, l'obli–

gation imposée au Roi de jurer cette constitu–

tion avant d'elre mis en possession de la royauté,

par conséquent l'obligation pour M. le comte

d'Artois de prendre un engagement quclconque

avant d'etre reconnu comme lieutenant général

du royaume, enfin le désir universel des gens

raisonnables et notamment des souverains alliés,

de voir la cocarde tricolore adoptée par les

princes de Bourbon. M. de Vitrolles, en rece–

vant celte lettre, courut chez

1\L

le comte d'Ar–

tois, se récria fort contre ce qu'il appelait la non–

cbalance, la légereté de M. de Talleyrand qui ne

savait, disait-il, résister

a

aucune demande, et,

faute de fermeté dans les vues, promettait tantót

a l'un tantót a l'autre, sans jamais tenir parole

a

personne.

l\L

le eomte d'Artois avait l'ame tel–

lement rcmplie de joie qu'il était d!fficile daos le

moment d'y faire entrer un sentiment triste.

Lui et ses amis avaient bien pour la cocard e tri-

colore une répugnance instinetive, mais les sub–

tilités constitutionnelles les touchaient moins, et

le comte d'Artois, étonné du courroux de M. de

Vitrolles, lui demanda si tout ce qu'on lui an–

norn;ait était vraiment assez mauvais pour pren–

dre feu comme

il

faisait, et surtout pour en venir

a

un éclat. Le prince s'attacha done lui-meme a

calmer

M.

de Vitrolles, et

il

fut convenu que ce

dernier irait clandestinement a Paris, pour y .

lever ou éluder les principales difficultés. Pen–

dant ce temps, le prince continua son voyage, et

vint coucher au cbateau de Livry.

M. de Vitrolles s'étant transporté le

11

au

soir rue Saint-Florentin, chez

l\L

de Talley·rand,

y trouva ce qu'il y avait. laissé, c'est-a-dire une

confusion extreme, des Cosaques étendus dans

la cour sur de la paille, au premier étage l'em–

pereur Alexandre entouré de son état-major, a

!'entre-sol le gouvernement provisoire, les mem–

bres de ce gouverncment daos une pieee, quel–

ques copistes dans une autre, et M. de Talley–

rand, tantót dans celle-ci, tantót dans celle-la,

accueillant les solliciteurs avec un sourire insi–

gnifiant, les donneurs de conseils avec un mou–

vemen t de tete qui n'engageait

a

rien, concluant

le moins qu'il pouvait, et Jaissant faire le temps,

qui fait beaucoup de choses, mais qui cependant

ne les fait pas toutes. M. de Vitrolles, toujours

fort actif, mais moins condescendant

a

mesure

que son prince était plus pres de París, s'em–

porta vivement contrc la cocarde aux trois cou–

leurs, etcontre leserment exigédu roiLouisXVIII

avant l'investiture de la royauté. 11 semblait

dire que l'on refuscrait de tellcs conditions. Le

visage incolore et ironique de M. de Talleyrand

était fort déconcertant pour les gens impétueux;

il

sourit des_menaces de M. de Vitrolles, et puis _

il en vint aux explications.

Au sujet de la eocarde, il était survenu un in–

cident assez singulier, fortuit ou combiné, qui

avait beaucoup simplifié la difficulté. A peine la

Constitution avait-elle été publiée que beaucoup

de royalistes, ivres de joie, s'étaient répandus

dans les provinces, annonc:;ant le retour des

Bourbons, et portant la cocarde blanche

a

leur

chapeau, comme si ce signe 'L ºt désormais uni–

versellement·ad.opté. Deux ou trois d'entre eux

s'étant rendus a Rouen, aupres du maréchal

Jourdan, qui commandait dans cettc division

militaire, et que son aversion pour l'Empire,

ses epinions libérales et monarchiques, dispo–

saient favorablement

a

l'égard des Bourbons rap–

pelés avec de bonnes Jois, ils l'avaient trouvé