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LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.
blement ravagées. _Des cadavres d'hommcs et de
chevaux infcctaient les chemins ; les batiments
de forme étaient en cendres ; les ponts étaient
barricadés ou coupés; la population était en
fuite ou cachée, et accourait quand elle enten–
dait un roulement de voilure autre que celui des
canons. On la comblait de joie quand on lui an–
nonc:;ait la paix, et d'étonnement quand a cette
nouvelle on ajoutaitcelleduretour des Bourbons.
Elle restait froid e au nom de ces princes, car,
daos les provinces de l'Est, Napoléon éLait encore
pour les babitants le défenseur du sol, bien que
par sa politique il y cut atliré les ennemis. A
Cbalons, presque tout le monde était absent. A
Meaux, l'éveque, le préfet, les fonctionnaires,
les principaux habitants avaient quitté la ville
pour ne pas assister a l'arrivée du prince. Pour–
tant M. le comte d'Artois, des qu'il pouvait se
faire vo1r ou entendre, ne manquait jamais de
réussir. Avec peu de savoir, mais avec une rc–
marquable facilité d'expression, une bonne grace
parfaite, une noble figure a laquelle un nez
aquilin, une levrc pcndante donnaient tout
a
fait le caractere de sa famille, et qu'une grande
expression de bonté, un extreme désir de plairo
rendaient agréa ble a tous, il avait de quoi ra–
mener les cmurs a lui. A Chalons, a Meaux,
il
finit par vaincre la froideur de ceux qu'il put
joindre, et les laissa beaucoup mieux disposés
qu'il ne les avait trouvés.
En approchant de Paris, M. de Vitrolles rec:;ut
une leltre de M. de Talleyrand qui lui mandait
ce qui s'était passé, c'est-a-dire l'adoption et la
publication de la constilution du Sénat, l'obli–
gation imposée au Roi de jurer cette constitu–
tion avant d'elre mis en possession de la royauté,
par conséquent l'obligation pour M. le comte
d'Artois de prendre un engagement quclconque
avant d'etre reconnu comme lieutenant général
du royaume, enfin le désir universel des gens
raisonnables et notamment des souverains alliés,
de voir la cocarde tricolore adoptée par les
princes de Bourbon. M. de Vitrolles, en rece–
vant celte lettre, courut chez
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le comte d'Ar–
tois, se récria fort contre ce qu'il appelait la non–
cbalance, la légereté de M. de Talleyrand qui ne
savait, disait-il, résister
a
aucune demande, et,
faute de fermeté dans les vues, promettait tantót
a l'un tantót a l'autre, sans jamais tenir parole
a
personne.
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le eomte d'Artois avait l'ame tel–
lement rcmplie de joie qu'il était d!fficile daos le
moment d'y faire entrer un sentiment triste.
Lui et ses amis avaient bien pour la cocard e tri-
colore une répugnance instinetive, mais les sub–
tilités constitutionnelles les touchaient moins, et
le comte d'Artois, étonné du courroux de M. de
Vitrolles, lui demanda si tout ce qu'on lui an–
norn;ait était vraiment assez mauvais pour pren–
dre feu comme
il
faisait, et surtout pour en venir
a
un éclat. Le prince s'attacha done lui-meme a
calmer
M.
de Vitrolles, et
il
fut convenu que ce
dernier irait clandestinement a Paris, pour y .
lever ou éluder les principales difficultés. Pen–
dant ce temps, le prince continua son voyage, et
vint coucher au cbateau de Livry.
M. de Vitrolles s'étant transporté le
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au
soir rue Saint-Florentin, chez
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de Talley·rand,
y trouva ce qu'il y avait. laissé, c'est-a-dire une
confusion extreme, des Cosaques étendus dans
la cour sur de la paille, au premier étage l'em–
pereur Alexandre entouré de son état-major, a
!'entre-sol le gouvernement provisoire, les mem–
bres de ce gouverncment daos une pieee, quel–
ques copistes dans une autre, et M. de Talley–
rand, tantót dans celle-ci, tantót dans celle-la,
accueillant les solliciteurs avec un sourire insi–
gnifiant, les donneurs de conseils avec un mou–
vemen t de tete qui n'engageait
a
rien, concluant
le moins qu'il pouvait, et Jaissant faire le temps,
qui fait beaucoup de choses, mais qui cependant
ne les fait pas toutes. M. de Vitrolles, toujours
fort actif, mais moins condescendant
a
mesure
que son prince était plus pres de París, s'em–
porta vivement contrc la cocarde aux trois cou–
leurs, etcontre leserment exigédu roiLouisXVIII
avant l'investiture de la royauté. 11 semblait
dire que l'on refuscrait de tellcs conditions. Le
visage incolore et ironique de M. de Talleyrand
était fort déconcertant pour les gens impétueux;
il
sourit des_menaces de M. de Vitrolles, et puis _
il en vint aux explications.
Au sujet de la eocarde, il était survenu un in–
cident assez singulier, fortuit ou combiné, qui
avait beaucoup simplifié la difficulté. A peine la
Constitution avait-elle été publiée que beaucoup
de royalistes, ivres de joie, s'étaient répandus
dans les provinces, annonc:;ant le retour des
Bourbons, et portant la cocarde blanche
a
leur
chapeau, comme si ce signe 'L ºt désormais uni–
versellement·ad.opté. Deux ou trois d'entre eux
s'étant rendus a Rouen, aupres du maréchal
Jourdan, qui commandait dans cettc division
militaire, et que son aversion pour l'Empire,
ses epinions libérales et monarchiques, dispo–
saient favorablement
a
l'égard des Bourbons rap–
pelés avec de bonnes Jois, ils l'avaient trouvé