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LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.

favorablcment. Il vanta la probité, le savoir,

l'application au travail du duc de Gaete et du

comte Mollien. Puis il s'étendit sur l'amiral De–

cres.

JI

scmblait attachcr

a

ce ministre, qu'il ai–

mait peu, une importance proportionnée a son

esprit. - Il est dur, impitoyable dans ses pro–

pos, <lit Napoléon , il prend plaisir

a

se fairc

hai"r, mais c'cst un esprit supérieur. Les malheurs

de la marine ne sont pas sa faute, mais celle des

circonstanccs. Il avait préparé avec pcu de frais

un matériel magnifique. J'avais, Caulaincourt,

cent viogt vaisseaux de ligne ! L'Angleterre, tout

en se promenant sur les

mers~

ne dormait pas.

Elle m·a fait beaucoup de mal sans doute, mais

j'ai laissé dans ses flanes un trai t cmpoisonné.

C'est moi qui ai créé cette dette, qui pescra sur

les générations futures , et sera pour elles un

fardeau éternellement incommode, s'il n'est ac–

cablant. - Napoléon parla aussi de M. de Bas–

sano, de M. de Talleyrand, du duc d'Otrante. –

On accuse Bassa no bien

a

tort, dit-il. En tout

temps

il

faut une victime

a

l'opinion . On lui im–

plite mes plus graves résolutioos. Vous savez,

vous qui avez tout vu, ce qui en est. C'est un

honnete homme, instruit, laborieux, dévoué, et

d'une fidélité inviolable. Il n'a pas !'esprit de

Talleyrand, mais il vaut bien mieux. Talleyrand,

quoi qu'il en dise, ne m'a pas beaucoup plus ré–

sisté que Bassano dans les déterminations qu'on

· me reproche. 11 vient de trouver un role, et

il

s'en est emparé. Du reste, on doit souhaiter que

les Bourbons gouvernent dans son esprit. 11 sera

pour eux un précieux conseiller , mais ils ne sont

pas plus capables de le garder six mois , que Jui

de demeurer six mois avec eux. Fouché est un

misérable. Il va s'agiter, et tout brouiller. Il me

hait profondément, autant qu'il me craint. C'est

pour cela qu'il me voudrait voir aux extrémités

de l'Océan . -

Cetteconversatiou était interminable, et l\L de

Caulaiocourt admirait le j ugement impartial,

presque toujours indulgent, de Napoléon, ou

i1

restait a peine quelques traces des passions de Ja

terre. Dans ce moment, on annonc;a le comte

Orloff qui ap portait les ratifications du traité

du

i

1 avril , que l'empereur Alexandre avait mis

une extreme courtoisie a expédier sur-le-champ.

apoléon en parut importuné, et ne voulut pas

e séparer de M. de Caulaincourt, peu pressé

qu'il était d'apposer sa signature au has d'un tel

acte.

JI

pour ui it cet entrctien , et, apres avoir

parlé des autre arrivant

a

parler de lui-meme,

de sa situation,

i1

dit avec un accent de douleur

profond : Sans doute, je souffre, mais les souf–

frances que j'endure ne sont rien aupres d'une

qui les surpasse toutes

!

finir ma carricre en si–

gnant un traité ou je n'ai pas pu stipuler un seul

intéret général, pas meme un seul intérct moral,

comme

la

conservation de nos couleurs, ou le

maintien de la Légion d'honneur

!

signer un

traité ou l'on me donne de l'argeot!. .. Ah! Cau–

Iaincourt, s'il n'y avait la mon fils, ma femme,

mes sreurs, mes frcres, Joséphine, Eugene, Hor–

tense, je déchirerais ce traité en mille pieces

!...

Ah ! si mes généraux qui ont eu tant de courage

et si longtemps, en avaient eu deux hcures de

plus, j'aurais changé les deslinées

!. ..

Si mcme ce

misérable Sénat qui, moi écarté, n'a aucune

force personnelle pour négocier, ne s'était mis a

ma place, s'il m'eút Jaissé stipuler pour la France,

avec la force qui me restait, avec la crainle que

j'inspirais encore, j'aurais tiré un autre parti de

notre défaite. J'aurais obtenu quelque chose

pour la France, et puis je me serais plongé dans

l'oubli. .. Mais laisser la France si petite, apres

l'avoir re<;ue si grande!. .. quelle douleur

!... -

Et Napoléon semblait accablé sous le poids de

ses réflexions, qui dans les fautes d'autrui lui

montraient les siennes memes, car effectivement

si ses généraux ne l'avaient pas voulu suivre une

derniere fois , c'est qu'il les avait épuisés; si le

Sénat ne l'avait pas laissé faire, c'est qu'on sen–

tait

la

nécessité de lui arracher le pouvoir des

mains pour terminer une affreuse crise. Toutes

ces vérités

il

les apercevait distinctement sans

les exprimer, et se punissait lui-meme en se ju–

geant, car c'est ainsi que la Providence cha.tic le

génie : elle lui laisse le soin de se eondamner, de

se torturer par sa propre clairvoyance. Puis avec

un redoublement de douleur, Napoléon ajouta:

Et ces humilíations ne sont pas les dernieres

!. ..

Je vais traverser ces provinces méridionales, ou

les passions sont si violentes. Que les Bourbons

m'y fassent assassiner, je le leur pardonne ; mais

je serai peut-etre livré aux outrages de cette

abominable populace du Midi. Mourir sur le

champ de bataille ce n'est rien, mais au milieu

de la boue et sous de telles mains

l. .. -

Napoléon semblait en -ce momen

·~ntrevoir

avec horreur, non pas la mor t qu'il était trop

habi tué

a

braver pour la craindre, mais un sup–

plice infame! ... S'apercevant enfin gue cet en–

tretien avait singulierement duré, s'excusant

d'avoir r etenu si longtemps M. de Caulaincourt,

il

le renvoya avec des démonstrations encore plus

affectueuses, répétant qu'il Je ferait r appeler