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LIVRE .CINQUANTE-TROISIEME.
mouvement,
il
avait soulevé
a
lui seul une forte
opposition contre les conditions promises
a
l'em–
pereur déchu. L'Autriche, de son coté, r épugnait
a
concéder une principauté en Italie
a
l\iarie–
Louise, laissait douter de son consentement pour
Parme et Plaisance, et le refusait absolument
pour la Toscane. Enfin le gouvernement provi–
soire lui-meme avait ses objections. 11 ne voulait
pas laisser
a
Napoléon l'honneur de stipuler cer–
tains avantages pour l'armée, comme la conser–
vation de
~a
cocarde tricolore et de la Légion
d'honneur, prétendant que les intérets de cette
nature ne le regardaient plus, et il contestait
mcme les conditions pécuniaires, moins a cause
de ce qu'il en cotiterait au Trésor, qu'a cause de
l'cspece de reconnaissance du regne impérial qui
semblerait en résulter. l\fais Alexandre s'était
prononcé avec une sorte d'irritation, et avait fait
sentir Ir-ses alliés qu'on lui avait assez d'obliga–
tion pour ne pas l'exposer
a
manquer
a
sa pa–
role. 11 voulait done qu'on en finit sur-le-cbamp.
l\fais M. de l\'letternich, resté
a
Dijon aupres de
l'empereur d'Autriche, et ne tenant pas
a
etre
a
Paris pendant qu'on détrónait l\Iarie-Louise, lord
Castlereagh ne voulant pas etre responsable au –
pres des chambres anglaiscs du rappel des Bour–
bons qu'il _désirait cependant avcc ardcur, se
faisaíent attendre l'un et l'autre. On annorn;ait
pour le
W
avril l'árrivée de ces deux ministres,
et il était impossible de conclure sans eux.
Tout
a
eoup un incident léger faiilit interrom–
pre la négociation, et donner aux événcments un
coursentierementnouveau. Si aupres deNapoléon
certains courages faiblissaient d'heure en heure,
la plupart au contraire s'exaltaient. par le spec–
tacle <le la faiblesse générale. Ces derniers ne se
disaient pas que quelques jours auparavant ils
partageaient eux-memes la fatigue commune,
qu'ils avaient maudit cent fois l'ambition exorbi–
tante qui avait fait couler leur sang sur tant de
champs de bataille, et ils étaient tout pleins de
l'impression que leur causait la vuc du grand
homme abandonné, et resté presque seul a Fon–
tainehleau. Quelques-uns sans doute songeaient
surtout
a
leur carriére brusquement interrom–
pue, mais tous étaient sincerernent révoltés de
la défection de l\farmont et du caractere d'in–
gratitude qu'elle avait pris; íls criaient
a
la tra–
hison et étaient préts
a
se jeter sur leurs chefs
qu'on accusait d'etre les auteurs de l'abdication
forcée de l'empereur. Le bruit s'était répandu
en effet que les maréchaux avaient fait violence
a
Napoléon pour l'obliger
a
renoncer au tróne.
A un fait faux on ajoutait·des détails plus faux
encore, et bien des tetes exaltées n'étaient pas
Join de se porter
a
des violences réelles, repré–
sailles des violences imaginaires qu'on se plaisait
a
raconter. Quand Napoléon paraissait dans la
cour du palais de Fontainebleau , beaucoup
d'officiers brandissaient leurs sabres et lui of–
fraient le sacrifice de leur vie. Profondément
touché de ces témoignages, revenant au cal–
cul des forces qui restaient
a
ses lieutenants,
Soult, Suchet, Augereau, Eugene, l\faison, Da–
voust,
il
n'avait pu dans certains moments s'em–
pecher d'éprouver quelques regrets, et de les
laisscr voir. S'associant
a
ce sentiment, les
hommes jeunes, généreux, mais irréfléchis, qui
éprouvaieot pour lui un redoublement d'enthou–
siasme, s'étaicnt, dans la nuit du 7 au 8, livrés
a
plus d'agitation que de coutume. Les anciens
chasseurs et grenadiers de Ja garde notamment.,
restés a Fontainebleau, avaient parcouru les
rucs de eette petite ville aux cris de :
Vive l'em–
pereur
!
a
bas les traitres
!
Ils avaient menaeé
d'égorger ceux qu'on qualifiait ainsi, et demandé
a
se précipiter sur París en désespérés. Cepen–
dant apres un instant de condesccndance, Napo–
léon, ne prévoyant pas dans sa froide raisqn qu'on
put tirer un grand résultat d'un mouvement pa·
reil, avaii envoyé ses plus fideles serviteurs pour
ealmer une effervescence inutile, et cette émo–
tion n'avait été que le dernier éclat d'une flamme
pres de s'étcindre.
Un des officiers qui ne partageaient pas ces
regrets imprudents et en craignaient l'effet, avait
eu la Jacheté de les dénoncer aux alliés, en
ajoutant la fausse nouvelle que Napoléon s'était
échappé de
Font.~inebleau
pour aller se mettre .
a
la tete des armées d'ltalie, de Catalogne et
d'Espagne
1 •
Quand ce renseignement parvint
a
l'élat-major des souverains,
il
y causa la plus vive
agitation. Apres la désertion du 6° corps, in:vo–
lontaire de Ja part des soldats, la désertion indi–
viduelle avait commencé
a
s'introduire dans
l'arméc, et il ne restait pas plus d'une quaran–
taine de mille hommes
a
Napoléon. Ces quarante
mille hommes, conduits par lui, et pouvant etre
soutenus par le peuple párisien,
causai~nt
aux
deux cent mille coalisés qui étaient dans París
et que deux cent mille autres étaient· prets
a
rejoindre, une terreur indicible, et ne leur
laissaient pas de repos tant que durait l'état
1
ni.
de Caulaincourl, qui avait connu l'auteur de la dénon–
cÍation, n'a pas voulu le livrer au mépris
~e
la postérité, el a
refosé d'en consigncr le nom dans ses souvenirs.