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LIVRE CINQUANTE-TROISIEl'IIE.
gca l'cmpcreur, qui, pour toute réponse, lui
demanda de se conteni1', de ne pas le quitter, et
de lui laisscr achever paisiblement son ngonie.
M.
de Caulaincourt cherchait
a
s'écliappcr pour
appeler du secours. Napoléon, d'abord avcc
priere , puis avec autorité, luí prcscrivit de n'cn
ríen faire, ne voulant aucun éclat, ni surtout
aucun reil étranger· sur sa figúre expiran te.
l\L de Caulaincourt, paralysé en quelque sortc,
était auprcs du lit oú semblait pres de s'éteindrc
cette exisleRce prodigieuse, quand le visage de
Napoléon se contracta tout
a
coup. Il soufl'rait
cruellement, et
s'effor~ait
de se roidir contre la
douleur. Bientót des spasmes violents indique–
rent des vomissements prochains. Apres avoir
résisté
a
ce mouvement de la nature, Napoléon
fut
contraint.decéder. Une partie de la polion
qú'il avait prise fut rejetée dans un bassin d'ar•
gent que tenait l\L de Caulaincourt. Celui•ci
pro ~
fila de l'occasion pour s'éloigner un instant, et
appeler du secours. Le docteur Yvan accourut.
Devant lui tout s'expliqua. Napoléon réclama de
sa part un dcrnier service, c'était de rcnouvcler
la <lose d'opium, craign sint que celle qui restait
dans son estomac ne suffit pas. Le docteur Yvan
se montra r évolté d'unc semblable proposition.
11 avait pu rendre un ·service de ce genre
a
son
maitre, en Russie, pour l'aider
a
se soustraire
a
une situation affreuse, mais
il
regrettait amere–
ment de l'avoir fait, et, NapoJéon insistant, il
s'enfuit de sa chambre ou
il
ne r eparut plus. En
ce moment survinrent le génél'al Bertrand et
M. de Bassano. Napoléon rccommanda qu'on
divulguat le moins possible ce triste épisode de
sa vie, espérant encore que ce serait le dernier.
On avait lieu de le penser en effet, car il semblait
aceablé, et presque éteint. 11 tomba dans un
assoupissement qui dura plusieurs heures.
Ses fideles serviteurs resterent immobiles et
consternés autour de lui . De tcmps en temps, il
éprouvait des douleurs d'estomac cruelles, et
i1
<lit plusieurs fois: Qu'il est difficile de mourir,
quand sur le champ de bataille c'est si facile !
Ah! que ne suis-je mor t
a
Arcis-sur-Aube ! -
La nuit s'acheva sans amener <le nouveaux
accidents. 11 commen9ait
a
croire qu'il ne verrait
pas cette fo is le terme de'sa vie, et les person–
nagesdévoués qui l'entouraientl'espéraient aussi,
bien heureux qu'il ne fU t pas mort, sans étre
tres-satisfa its pour lui qu'il vécut. Sur ces entre –
faite , on
annon~a
le maréchal l\lacdonald qui,
avan t de quitter Fontaineblcau , désirait présen–
tcr ses hommages
a
l'empereur sans couronue.
- Je recevrai bien ce digne homme, dit Napo–
léon, mais qu'il allende. Je ne vcux pas qu'il me
voie dans l'état ou je stiis. -Le comte Orloff, de
son coté, attendait les ratifications qu'il était
ven u chercher. On était au matin du
12;
a
cette
heure
M.
le comte d'Artois allait cntrer dans
Paris, et heaucoup de personnages étaient pres–
sés de quitter Fontainebleau. NapoJéon voulut
etre tm peu remis avant de laisser qui que ce fllt
approcher de sa personne.
Apres un assez long assoupissernent, M. de
Caulaincourt et l'un des trois personnages initiés
au secrct de cet empoisonnement, prirent Napo–
léon dans leurs bras, et
le
transporterent pres
d'une fenetre qu'on avait ouverte. L'air le
ranima sensibJement. - - Le destin en a décidé,
dit·il
a
l\L de CauJaincourt,
i1
faut vivre, et
attendre ce que yeut demoi laProvidence.-Puis
il consentit
a
rccevoir le maréchal l\facdonaJd.
Celui-ci fut introduit, sans etre informé du
secret qu'on tcnait caché pour tout le monde.
JI
trouva Napoléon étendu sur une chaise longue,
fut effrayé de l'état d'abattemcnt ou
il
Je vit, et
lui en exprima respcctueusement son chagrín
1 •
Napoléon feignit d'attribuer
a
des souffranccs
d'estomac dont
il
était quelquefois alteint, et qui
anuon~aient
déja la maladie dont il cst morL,
l'état dans lequel
il
se rnontrait. Il serra aífec–
tueusement Ja main du maréchal. - Vous eles,
lui dit-il, un hrave homme, dont j'apprécie la
généreuse conduite
a
mon égard, et je V<?Udrais
pouvoir vous témoigncr ma gratitude autrement
qu'en paroJes. Mais les honneurs, je n'en dispose
plus; de !'argent, je n'en ai point, et <l:ameurs, il
n'est pas digne de vous. l\fais je puis vous offrir
un témoignage auquel vous serez, je !'espere,
plus sensible. - Alors, demandant un sabre
placé pres de son chevet, et le présentant au
maréchal. Voici, lui dit-il, le sabre de Mourad–
Bey, qui fut un des trophées de la bataille
d'Aboukir, et que j'ai souvent porté. Vous le
garderez en mémoire de nos dernieres relations,
et vous le transmettrez
a
VOS
enfants. - Le ma–
réchal accepta avec une "vive émotion ce noble
témoignage, et cmbrassa l'Empereur avec eífu–
sion. Ils se
quitti~renf
pour ne plus se revoir,
bien que leur carriere
a
l'un et
a
J'autre ne fUt
pas finie. Le maréchal partil immédiatement pour
Paris. Berthier était partí aus_si en promettant de
revenir, mais d'une maniere qui n'avait pas per-
1
C'est Je propre récit du maréchal dans ses Mémoircs en–
core manuscrils.
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