PRE!\IIERE ABDICATION. -
AVRIL
i8i4.
parut pénétré de gratitude, quoique n'en éprou–
vant aucune surprise.
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répéta que le lra-ité était
suffisant pour sa famille, plus que suffisant pour
Jui-memc qui n'avait besoin de rien,, mais
ex–
prima encorc
une
fois ses rcgrcts quant a la Tos–
cane. - C'est une belle principauté, dit-il, qui
aurait convenu
a
mon fils. Sur cc· lróne, ou les
Jumiercs sont restées héréditaires, mon fils cut
été heu1•eux, plus heureux que sur Je trór.e de
France toujours exposé aux oragcs, et ou ma
race n'a pour se soutenir qu'un Litre,
la
victoire.
Ce tróne,
en
outre, eut été nécessaire
a
rna
fcmme.
J e la connais, elle est bonne, mais faible
et
frivoJe ... - l\1on cher CauJaincourt, ajouta–
t-il, César peut redevenir citoyen, mais sa femme
peut difficiJcment se passer d'ctrc l'épouse de
César.
l\faric-J~ouise
aurait cncore trouvé
a
Flo –
rcnce un reste de Ja splendeur dont elle élait
entourée
a
Paris. Elle n'aurait
eu
que le canal
de Piombino
a
travcrser pour me rendre visile;
ma prison aurait été comme enclavée dans ses
États;
a
ces
conditions j'aurais pu espérer de la
voir, j'aurais meme pu allcr la visiter, et quand
011
aurait reconnu que j 'avais renoncé au monde,
que, nouvcau
Sancho , je ne songcais plus qu'au
bonheur de mon ile,
on m'aurait permis ces petits
voyagcs; j'aurais rctrouvé le bonheur dont je
n'ai guere joui, meme au milieu de tout l'éclat
de ma gloire. Mais, mainlenant, quand il faudra
que ma fer.orne viennc de Pa1·me, traverse plu–
sieurs principautés étrangeres pour se transpor–
ter aup1·cs de moi ... Dieu sait
!. ..
Mais laissons ce
sujet, vous avez fait ce que vous nvez pu ... je vous
en remercie; l'Aut:·ichc cst sans entrailles!. .. -
U serra de nouveau la main aM. deCaulaincourt,
et parla de sa vie tout cntiere avec une rarc
impartialité et une incomparable graotleur.
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convint qu'il s'était trompé, qu'épris de la
France, du rang qu'dle avait dans le monde, de
celui qu'elle pouvait
y
avoir, il avait voulu élc–
ver avec elle et pour-elle un empire immense, un
empire régulatcur, duquel tous les autrcs au–
raient dépendu, et
il
reconnut qu'apres avoir
réalisé prcsque en cntier ce bcau r eve, il n'avait
pas su s'aeretcr a la limite tracée par
la
nature
des choses. Puis
il
parla de ses généraux, de ses
ministres, don11a un rnurenir a Masséoa, affirma
que c'était celui de ses lieutenants qui avait fait
les plus grandes· cLoses, ne reparla plus de cette
earnpagne de Portugal, trop justifiée, hélas
!
par
nos malheurs dans Ja Péniosule, mais répéta ce
qu'il avait dit plus d'uoe fois, qu'a Ja belle dé–
fense de Genes, en 1800,iln'avait manqué qu'une
chose, vingt-quatre heures de plus dans la résis–
tance.
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parla de Suchet, de sa profonde sagesse
a
la guerre et dans l'administration, dit quel–
ques mots du maréchal Soult et de son ambi–
tion, ne prononva pas une parole sur Davoust,
qui dcpuis dcux ans avait échappé
a
ses regards,
et faisait en ce momenta Hambourg des prodigcs
d'énergic ignorés en France; il s'entretint enfin
de Berthier, de son sens si juste, de son honne–
tcté, de ses rares talcnts com·mc chef
d'état-ma~
jor. - Je l'aimais, dit-il , et il vicnt de me causer
un vrai chagrin. Je l'ai prié de passer quelquc
tcmps avec moi
a
l'ile d'Elbe, il n'a pas paru y
consentir... pourtant, je ne l'aurais pas reten u
longtemps. Croyez-vous que je veuillc prolonger
indéfiniment une vie oisive et inutile? CeLte
prcuve de dévouement lui cut peu couté; mais
son ame est brisée,
il
est pere, il songe
a
ses cn–
fants ; il se figure qu'il pourra conserver la prin–
cipauté de Neufchatel;
il
se trompe, mais c'csL
bien excusable. J'aime Berlhicr... je ne ccsserai
pas de l'aimer... Ah! Caulaincourt, sans indul–
gence il est impossible de juger les hommcs, et
surtout de les gouverner ! - Puis Napoléon
parla de ses nutres généraux, cita Géra1·d et
Clausel cornme l'espoir de l'armée franvaise, et
fit
quelqucs réflexions non pas ameres mais
tristes sur l'crnpressemcnt de certains officiers a
le quitter. - Que ne le font-ils franchement?
dit-il. Je vois leur désir, leur embarras, je
cherche
a
les mettre
a
l'aise, je leur dis qu'ils
n'ont plus qu'a servir les Bourbons,
el
au lieu de
profiter de l'issue que je leur ouvrc, ils m'adres–
sent de vaincs protestations de fidélité , pour
envoyer cnsuite sous main lcur adhésion
a
Pa–
ris, et prcndre un faux prétexte de s'en aller. Je
ne hais que la dissimulation.
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est si naturel qu e
d'anciens mililaires, couverts deblessures, ch er–
chent
a
conscrver sous le nouveau gouverncment
le prix des serviccs qu'ils ont rendus
a
la Fr:rnce
!
Pourquoi se cacher? Mais les hommes ne savent
jamais voir nettement ce qu'ils doivent, ce qui
leur est du, parler, agir en conséquence. Mon
brave Drouot est bien autre. Il n'est pas con–
tent, je
le
sens bien, non
a
cause de Jui, mais de
notre pauvre France. ll ne m'approuve point; il
restera cep<mdant, moins par affection pour ma
personne , que par
re~
pect de lui-meme...
Drouot... Drouot, c'est la vertu
!
Napoléon s'entretint en uile de ses ministres.
Il parut aliecté de ce qu'aucun d'eux n'était ven u
de Blois lui faire ses adicux. Il parla du duc tic
Feltre, comme il en avait loujours pensé, peu
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