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PREl\'IIERE ABDICATION. - -

AVRIL

t8i4.

?S45

Paris, et prescrivant de détruire les munitions de

Grenelle pour en prive'r l'ennemi , était consi–

déré comme la résolution de faire sauter la capi–

tale. Un officier, chercbant

a

flatter les passions

du jour, prétendait s'etre refusé

a

l'exécution de

cet·ordre épouvantable. Le monstre, disait-on,

avait voulu

d~truiré

Paris, comme un corsaire

qui fait sauter son vaisseau, avec cette différence

qu'il n'était pas sur le vaisseau. Du reste, ajou–

tait-on, il n'était pas Fran<;ais, et on devait s'en

féliciter pour l'honneur de la Francc.

11

avait

changé son nom de

Buonaparte,

il en avait fait

Bonaparte,

et c'était

Buonaparle

qu'il le fallait

appeler. Le nom de Napoléon meme ne tui était

pas

du.

Napoléon était un saint imaginaire ;

c'est Nicolas qu'il fallait joindre

a

son nom de

famille. Ce monstre , disait-on encore, cet cn–

nemi des hommes, était un impie. Tandis qu'en

public

il

allait entendre la messe

a

sa chapelle

ou

a

Notre-Dame,

·il

faisait, dans son intimité,

avec Monge, Volncy et autres, profession d'a–

théisme. Il éta,it dur, brutal, batlait ses géné–

raux, outrageait les femmes, et, comme soldat,

n'était qu'un 13.che. Et la Francc, s'écriait-on,

avait pu se soumettre

a

un tel homme

!

On ne

pouvait expliquer cette aberration que par l'aveu-

.glement qui suit les révolutions

!

A ce déborde–

ment de paroles

s'étaie~t

ajoutés des actes du

meme caractere. La stalue de Napoléon,

a

la–

quelle on avait vainementattaché une corde pour

la renverser le jour de l'entrée des coalisés, atta–

quée quelques jours plus tard avec les moyens

de l'art, avait été descendue de la colonne

d'Austerlitz dans un obscur magasin de l'État, et,

en conlemplant le monurnent, la haine publique

avait

la

satisfaction de n'apercevoir que le vide

sur son sommet dépouillé.

Telle était l'explosion de colere

a

laquelle, par

un terrible retour des choses d'ici-bas, l'homme

le plus adulé pendant vingt années, l'homme

qui avait le plus joui de l'admiration stupéfaite

de l'univers, devait assister tout vivant. Au sur–

plus,

il

était assez grand pour se placer au-dessus

de telles indignités, et assez coupable aussi pour

savoir qu'il s'était attiré par ses acles ce cruel

revirement d'opinion. l\fais il y avait quelque

chose de plus triste encore dans ce

spect~cle,

c'étaient les flatteries prodiguées en meme temps

aux souverains alliés. Sans d0ute Alexandre,

par la conduite qu'il tenait et dont

il

donnait

l'exemple

a

ses alliés, méritait les remercimeots

de la Francc. Mais si l'ingratitude n'est jamais

permise, la reconnaissance doit etre discrete

CONSULAT.

5.

quand elle s'adresse aux vainqueurs de son pays.

Il n'en était pas ainsi, et on s'évertuait

a

redire

qu'il était bien magnanime

a

des souverains qui

avaient tant souífert par les mains des Fran<;ais,

de se venger d'eux aussi doucement. Les flammes

de l\foscou étaient rappelées tous les jours, non

par des écrivains russes, mais par des écrivains

fran <;ais. On ne se contentait pas de louer le

maréchal Blucher, le général Sacken , braves–

gens dont l'éloge était naturel et mérité daos les

bouches prussiennes et russes, on allait chercher

un émigré fran<;ais, le général Langeron, qui

scrvait dans les armées du czar, pour raconter

avec complaisance combien

il

s'était distingué

dans l'attaque de Montr.:iartre, et combien de

justes récompenses il avait re<;ues de l'empereur

Alexandre. Ainsi, dans les nombreuses péripé–

ties de notre grande et terrible révolution , le

patriotisme devait, comme la liberté, avoir ses

revers, et, de meme que la liberté, idole des

creurs en

1789,

était devenue en

1795

l'objet

<le lcur aversion, de meme le patriotisme devait

etre foulé aux pieds jusqu'a faire honorcr l'acte,

coupable en tout temps, de porter les armes

contre son pays . T11istes jours que ceux de réac–

tion, ou I'esprit pub!ic', profondément troublé,

pcrd les notions les plus élémentaires des

choses, bafoue ce qu'il avait adoré, adore ce qu'il

avait bafoué, et prend les plus honteuses con–

tradictions pour un heureux retour a

la

vé–

rité

!

Naturellement si Napoléon , était un monstre

auquel

il

fallait arracher Ja France, les Bourbons

étaien t des princesaccomplis auxquels

il

fallaitla

rendre le plus tót possible, comme un bien légi time

qui leurappartcnait. LaFr ance ne les avait pas pré–

cisément oubliés, car vingt ans ne suffisent .pas

pourqu'on oublie une illustre.famillequi a

grande~

ment régné pendant des siecles; mais la généra–

tion présente ignorait absolument comment et a

quel <legré ils étaieut les parents de l'infortuné

roi mor Lsur l'échafaud, et de l'enfant, non moins

infortuné, mort entre les mains d'un cordonnier.

On se demandait si c'étaient des fils, des freres,

des cousins de ces p1·inces malheureux, car,

excepté quelques gens agés , la masse n'en savait

rien . La flatterie, prompte

a

courir de celui

qu'on appelait le tyran déchu,

a

ceux qu'on ap–

pelait des anges sauveurs, attribuait

a

ces der–

niers toutes les vertus, et ils en avaient assuré–

ment qui auraient mérité d'etre célébrées dans

un Jangage plus noble et plus sérieux. On disait

que Louis

XVI

avait laissé un frere, Louis-Sta-

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