B44
LIVRE CINQUANTE-'fROISlE!\IE.
au ,bcsoin le défensenr <les intérets de la famille
Bonapartc, qu'on cut
a
s'adrcsser
a
ce ministre
pour les détails, saufa rccourir
a
lui, Alexandrc,
en cas <le difficulté. En congédiant les négocia–
teurs, l'empereur de Russie retint
l\f.
de Cau–
laincourt, s'expliqua plus franchement encore
avec ce noble pcrsonnage qu'il traitait toujours
en ami, et lui avoua que les nouvelles qu'il ve–
nait de recevoir du soulevement des paysans
fran<;ais, saos l'alarmer, l'inquiétaien t cepen–
dant, car ces paysans avaient égorgé un gros dé–
tachement russe dans les Vosges.
11
s'apitoya
ensuite sur les abandons qui allaient se multi–
plier autour de Napoléon, recommanda de ne
pas perdre de temps pour régler ce qui le concer–
nait, car deux choses faisaient, disait-il, de gramls
progresen ce moment, la bassesse des scrviteurs
de l'Empire, et l'cnivrement des serviteurs de
l'ancienne royauté. A ce sujet
il
parla des Bour–
bons et de leurs amis avec une liberté singuliere,
inontra
a
la fois de la surprisc, du dégout, de
l'humeur de ce qu'il voyait de toutes parts, et
dit qu'apres avoir eu tant de peine a se sauvcu
<les folies guerriercs de NHpoléon, on aurait bien
de la peine aussi
a
se gara ntir des folies r éac–
tionnaires des royalistes.
11
congédia M. de Cau–
laincourt en lui promcttant toute son amitié
pour lui -memc, et son appui pour l'infortune de
Napoléon.
Meme apres la déchéance prononcéc par le
Sénat, la crainte que Na¡iloléon
a.
Fontaincblcau
ne cessait d'inspirer, avait contenu cncorc les
royalisles, et les avait ernpcchés de se livrcr
a
toutes leurs passions. La défcction du 6° corps,
qui réduisait Napoléon a une complete impuis–
sa nce, les avait cléja f'ort rassurés; mais en ap–
prenant son abdication pure et simple, c'est-a–
dire la rcmisc failc par lui-mcme de sa terrible
épéc, ils n'avaicnt plus gardé de mesure dans
l'explosion de leurs scntiments. Qu'ils fu sscnt ,
apres tant de souífranccs, de s.ang versé , de
désastres publics et pri vés , qu'ils fussent joyeux
de rcvoir les princcs sous lesquels ils avaient été
jcunes, riches, puissants, heureux, rien n'élait
plus natm;el et plus légilimc
!
Qu'tt la joic ils
ajoutassent toutcs les fureurs de la haine triom–
phante, hélas
!
rien n'était plus naturel aussi,
mais plus déplorable pour la dignité de la Frunce!
Jamais en cffet on n'a surpassé, dans aucun
temps, dans aucun pays, l'explosion de colere
qui siguala la déchéancc conslatée de Napoléon,
et
il
faut r cconnaitrc que les partisans de l'an–
cicnne royauté, qualifiés spécialement du titre
de royalistes, n'étaient pas les seuls
i1
vociférer
les plus violentes injures. Les pcrcs et meres de
famille, réduits jusqu'ici a maudirc en sec11et
cette guerre qui dévorait lcurs enfaots, libres
désormais de faire éclater leurs sentiments ,
n'appelaient Napoléon que des noms les plus
atroces. Oo n'avait pas plus maudit Néroo dans
l'antiquité , Robespierre dans les temps mo–
dcrnes. On ne le désignait plus que par le litre
de
l'Ogre de Corse.
On le représentait comme
un monstre, occupé a dévorer des générations
cntieres, pour assouvir une rage de guerre in–
sensée. Un écrit, sccretement préparé par M. de
Chateaubriand daos les dernieres heures de
l'Empirc, mais publié seulement
a
l'abri des
ba'ionnettcs étrangeres, était l'expression exacte
de ce dél>ordcment de haines sans pareilles.
Daos un style ou il semblait que la passion cut
surexcilé le mauvais gout trop fréquent de l'écri–
vain, 1\1. de Chateaubriand attribuait
a
Napoléon
tous les vices , toutcs les basscsses, tous les erimcs.
Cet écrit était Ju avec une avidité incroyablc
a
París, et de Paris il passait dans les provinces,
excepté toutefois daos celles ou l'ennemi avsit
pénétré. Contraste singulier
!
les provinces qui
souffraient le plus des fautcs de Napoléon, luí en
voulaient moins que les autres , parce qu'elles
s'obslinaient
a
voir en lui l'intrépide défenseur
du sol. Partout ailleurs la colere allait croissant,
et commc un homme irrité s'irritc cncore da–
vantage en criant, l'espri·t
publ.icparaissait s'eni–
vrer lui-meme de sa propre fureur. Le meurtre
du duc d'Enghien sur lequel on s'était tu si
longtemps, le perfide rcndcz-veus de Bayonne
ou avaient succombé les princcs espagnols ,
étaient le sujet des récits les plus noirs, comme
si
a
la véríté déja si grave on avait cu besoin
d'ajouter la calomnic. Le retour d'Égyptc, le
r elour ele Russic ,, étaient qualifiés de luches
abandons de l'armée fraU¡c;aisc compromise. Na–
poléon, disait-on, n'avait pas fait une seulc cam–
pagne qui
füt
véritablement bclle.
11
n'avait cu,
dans sa longuc carricre, que quelqucs événe–
men ts heurcux, obtenus
a
coups d'hommes. L'art
militairc, corrornpu en ses mains, était devcnu
une vraic houcherie. Son administration, j,usque–
Ja
si admirée, n'avait été qu'unc horrible fiscalité
dcstinée
a
enlever au pays son dcrnier écu et son
<lernier bollime. L,'irnmortellc cnmpagne <le 1814
n'était qu'unc suite d'cxtravaganccs inspirées
par le désespoir. Enfin, un ordre donné par
l'artilleric dans la bataille du 50 mars,
a
l'insu
de Napoléon qui était
a
quatre-v ingts lieues <le
;
.