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LIVHE CINQUANTE-TROISIEME.
épée, ayant encore tant de moyens de m'en ser–
vir, n'ai-je pas le droit de prétendre a quelquc.
compensation? Ne pourrait-on pas arnéliorer la
frontiere franc;aise, puisque la force qui en résul–
tcra pour la France ne sera pas dans mes mains,
mais dans celles des Bourbons? Ne pourrait-on
pas stipuler pour l'armée le maintien de ses
avantages, tels que grades, titres, dotations? ne
pourrait-on pas, ce qui lui serait si sensible,
conserver ces trois couleurs qu'elle a portées
avec tant de gloire dans toutes les parties du
monde? Puisque, enfin; nous nous rendons sans
combattre, lorsqu'il nous serait si facile de verser
tant de sang eneore, ne nous doit-on pas quclque.
chose, moi, moi seul, l'objet de toutes les haines
et de toutes les craintes, n'en devant pas profi–
ter?... - Et s'étendant fonguement sur ce
theme qui luí tenait
a
creur, Napoléon voulait
qu'on stipulat quelque chose pour la France et
pour l'armée.
1'1.
de Caulaincourt essaya de le
désabuscr a cet égard, en lui montrant que ces
intérets si grands, si respectables, il ne luí serait
plus donné de les traiter; que d'apres Je prin–
cipe posé, celui de sa déchéance, la facullé de
représenter la France , de négocicr pour elle,
avait passé au gouvernement provisoire, et qu'on ·
n'écouterait ricn de ce qui serait <lit par luí sur
ce sujet. - Mais, repartit Napoléon, ce gouver–
nement provisoire, quelle force a-t-il autrc que
la micnne, autre que celle que je lui prete en me
tenant ici
a
.Fontainebleau avec les débris de
l'armée? Lorsque je me serai soumis, e.t l'.armée
avec moi, il sera réduit a la plus complete im–
puissance; on l'écoutera encore moins que nous,
et il sera contraint de se rendre
a
discrétion.
Telle était en effet la situation, et on ne pou–
vait mieux la décrire, mais celui qui la déplorait
ainsi en était le principal auteur, et
il
devait s'y
résigner comme a tout le reste.
l\f.
de Caulain–
court s'appliqua de son mieux a le luí faire com–
prendre, et ce grave personnage mettant une
sorte d'insistance
a
ramener Napoléon au seul
sujet qui le regardat désormais, c'est-a-dire a sa
personne et a sa famille, l'ancicn maitre du
monde impatienté s'écria : On veut done me r é–
duire
a
discuter de misérables intérets d'ar–
gcnt
!...
C'est indigne de moi
!. ..
Occupez-vous
de ma famille, vous, Caulaincourt
!..•
Quant
a
moi,je n'ai besoin de rien!. .. Qu'on me donnela
pension d'un invalide, et ce sera bien assez
!
Apres ces cn tretiens qui remplirent la nuit et
la matinée du 6 avril, apres la r édaction de J'acte
qui contenait son abdication définitive,
a
laquelle
il apporta beaucoup de soin, Napoléon rappela
les maréchaux pour leur faire connaitre ses der–
nieres 1·ésolutions. Admis aupres de lui, et ne
sachant pas ce qu'il avait décidé, ils renouve–
Ierent leurs doléanccs; ils recommcncerent
a
dire que l'armée était épuisée, qu'elle n'avait
plus de sang a répandre, tant elle en avait ré–
pandu, et ils étaient si pressés d'obtcnir lf\,
fa–
culté de courir aupres du nouvcau gouvernement.,
qu'ils en seraient venus peut-etre, s'ils avaient
trouvé de la résistance,
a
manquer pour la pre–
miere fois de respect a Napoléon. Mais apres
avoir mis une sorte de malice
a
les laisser quel–
ques instants dans cette anxiété, Napoléon leur
dit : .Messieurs, tranquillisez-vous. Ni vous, ni
l'armée, n'a:urez plus de sang
a
verser. Je con–
sens a abdiquerpuremeot et simplement. J'aurais
voulu pour vous, autant que pour ma famille,
assurer la succession du tróne
a
mon fils. Je
crois que ce dénoument vous eut été encore
plus profilable qu'a moi, car vous auriez vécu
sous un gouvernement conforme a votre origine,
a
vos sentiments,
a
vos intérets. C'était possible,
mais un indigne abandon vous a privés d'une
sitíí'ation que j'espérais vous ménager. Sans la
défection d u
6e
corps, nous aurions pu cela et
autre chose, nous aurions pu relcver la France
!...
JI
en a été autremen
t. ..
Je me soumets a mon
sort, soumettez-vous au vótre... Résignez-vous
a vivre sous les Bourbons, et
a
les servir fidele–
ment. Vous avez souhaité du repos, vous en au -
rez. l\'Iais, hélas
!
Dieu veuille que mes presscnti–
ments me trompent !... Nous n'étions pas une
génération faite pour le repos. La paix que vous
désirez moissonnera plus d'entre vous sur vos
lits de duvet, que n'eut fait la gucrre dans nos
bivacs. -Apres ces paroles prononcées d'un ton
triste et solennel, Napoléon leur lut l'acte de son
abdication, con<;u dans les termes suivants :
e<
Les puissances alliées ayant proclamé que
" l'Empereur Napoléon était le seul obstacle au
ce
r établissement de la paix en Europe, l'Empe–
" reur Napoléon, fidele a ses serments, déclare
te
qu'il renonce, pour luí et ses béritiers, aux
ce
trónes de France et d'
Ital.ie, parce quºil n'est
«
aucun sacrifice personnel, meme cclui de la
(( vic, qu'il ne soit pret a faire
a
l'intéret de
la
1c
France. ,,
En entendaot cette lecture, les lientenants de
Napoléon se précipiterent sur ses mains pour le
remercier du sacrifice qu'il faisait , et lui répé-