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LIVRE' CJNQUANTE-TH.OISI
EME.
metlre Je comble a sa belle conduite en sauvant
Ja France par la détermination qu'il avait prise,
r1u'il n'était aucun prix trop grand pour un te!
service, et que les Bourbons se hatcraient d'ac–
quitter ce prix, que! qu'il put e tre. L'infortuné
~farmont
était pret d'abord
a
protester contrc
les faux mérites qu'on luí attribuait. Mais, as–
snilli de félicitations, il n'eut pas la force de re–
pousser tant d'honneur, tan t d'espérances bril–
lan tes, et saos s'en douter, saos le vouloir,
accep tant les compliments,
il
accepta la réproba–
tion qui depuis est restée si cruellement attachée
a sa mémoire.
Dans les révolu tions, les péripéties sont promp–
tes et brusques. Tandis que les allants et venants
de l'hótel Talleyrand, ravis d'apprendre la dé–
fcction du
Ge
corps et la r-ésolution définitive des
alliés, comblaient Marmont de compliments,
cherchaient ainsi
a
I'associer
a
leur joie et
a
leurs
espérances , une nouvelle soudaine vint altérer
un instant leur félicité. Tout
a
coup, on répandit
le bruit qu'une sédition militaire avait éclaté
a
Versaillcs parmi les soldats du 6° corps; que ces
soldats, se disant Í.rompés par leurs généraux,
voulaient les fusiller, et qu'on n'était pas bien
sur des conséquences de eet accident imprévu .
Av.ecplus de calme qu'on n'en conserve en pa–
reille circonstance, on aurait compris qu'un corps
de
15
mille hommes, séparé du gros de l'armée
fran<;ais e, complétement entouré par les troupes
alliées, serait anéanti ou désarmé s'il essayait de
revenir sur ce qu'il avait fait. Mais on ne rai–
sonne pas aussí juste dans le tumulte des jour–
nées de révolution. On craignit que ce co1·ps,
revenant en arriere par un coup de désespoir
héro'ique, ne rallumat les passions des troupes
restées
a
Fontainebleau ainsi que l'ardeur belli–
queuse de Napoléon, ne donnat meme une forte
émotion au peuple de Paris, tranquille en appa–
r ence, mais frémissant
a
la vue des étrangers, et
ne fót en quelque sorte la cause d'un changement
complet de scene. On fut ému et profondément
troublé.
Un homme seul pouvait empecher que I'heu–
r eux événement de la nuit ne devint si promp–
tement malheureux, et cet homme, c'était le
maréchal 1\1armont. Ce maréchal e.ffectivement
devait avoir sur les troupes du 6• corps une
grande inlluence , et plus qu e personne il était
capable ele les maioteoir dans
la
voie ou elles
avaieot été engagées. On l'entoura done , et on
Je up plia d'aller achever l'reuvre commcocée.
On lui répéta pour la centieme fois que le réta-
blissement de Napoléon contre l'Europe entiere
était impossible; que l'Europe, fút-elle vaincue
sous les murs de París, ne se tiendraít point
pour battue, recommencerait la guerre avec un
nouvel acharnement; que la France serait ainsi
exposée
a
une a.ffreuse prolongation de maux ;
que la pJix avec les frontieres de ·1790, que les
Bourbons avec des garanties légales , étaient bien
préférabks
a
des chances pareilles' qu'au sur–
plus, lui :Marmont, était entré daos cette voie,
qu'il y avait poussé son corps d'armée, que re–
culer maintenant serait hors de son pouvoir,
r esterait inexplicable, et que, déja perdu avec
Napoléon,
il
le serait
a
jamais avec les Bourbons.
-1\Iarmont qui ne voulait pas etre ainsi perdu
avec tout le monde, et qui, d'ailleurs, apres
avoir eu la faiblesse d'accepter des félicitations
imméritées, désirait acquérir des titres incontes–
tables
a
Ja faveur royale, se décida
a
partir pOUl'
Versailles, afin de ramener
a
l'obéissance les
troupes mutinées du 6° corps. Il s'y rendit sur–
le-champ, et, arrivé sur les lieux, trouva ses
soldats en pleine insurrection, réunis hors de Ja
ville,
~t
refusant de r eprendre leurs rangs mal–
gré les efforts du général Bordessoulle auquel ils
reprochaient vivement la conduite qu'on leur
avait fait tenir. L'arrivée imprévue du maréchal
l\farmont leur causa une véritable satisfaction.
Comme
il
était absent au moment ou la défec–
tion s'était accomplie, ils supposaient qu'il l'avait
ignorée, et en le voyant accourir, ils furent per–
suadés qu'il venait les tirer du mauvaís pas ou on
les avait engagés. En outre, Marmont s'était
acquis leurs sympathies par sa brilllante bra–
voure dans la derniere campagne. 11 se présenta
done
a
eux,
fit
appel
a
leurs souvenirs, retra<;a les
circonstances pé1·illeuses ou il les avait comman–
dés, et ou il avait toujours été le premier au.dan·
ger, réussit ainsi
a
leur arracher desacclamations,
et, apres avoir établi ses droits
a
leur confiance,
leur dit que les ayant toujours conduits dans le
chcmin de l'honneur, il ne les en ferait pas sortir
maintenant, qu'il les y conduirait encore lorsque
ce chemin s'ouvrirait devant eux; mais que (ians
l'état de trouble ou il les voyait, ils ne pouvaient
elre que des instruments de désordre, destinés
a
etre vaincus par le premier enncmi qu'ils ren–
contre1·aient sur leurs pas, qu'il les suppliait
done de rentrer dans le devoir, de se replacer
sous leurs chefs, promettant, des qu'ils seraient
redevenus une véritable armée, de revenir parmi
eux, et d'y demeurer jusqu'a ce que Ja France
füt sortie de la crise affreuse ou eJle se trouvait.