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LIVRE
CINQUANTE-'fROISJEME.
qu'on Ieur faisait commettre, les unes supposant
que e'était la suite de l'abdication dont la nou–
velle s'était répandue dans la soirée, les autres
que c'était un mouvement concerté pour sur- .
prcndre l'enncmi. Pourtant en voyant les soldats
alliés border paisiblement les routes, et les lais–
ser passer sans faire feu, eJles commence1·ent
a
conccvoir des soupvons. Bientót meme elles mur–
murerent. Quelqucs officiers complices de la dé .
fection chercherent
a
les apaiscr, en alléguant
divers prétextes, et firent eontinuer la marche
sur Versailles. l\'Iais les murmures allaient crois–
sant a chaque pas, et tout présageait un soule–
vement en arrivant
a
Ve1
1
sailles meme. Ainsi
passa
a
l'ennemi le 6° corps,
i1
une scule division
pres, celle du général Lucottc,
a
qui l'ordre pa–
rut suspect et qui rufll sa de l'exécuter. La ligne
de l'Essonne res la done découverte, et le 6° corps,
si nécessaire
a
l'exécution des ,projets de Napo–
léou,
fut
complétement pcrdu pour luí.
Le bravc colonel Fabvier, n'ayant aucun moycn
d'empecber cette triste résolution, 11'avait vu
d'auLrc rcssourcc, pour en prévenir les cfl'els,
que de se transporter en toute bate
a
París au–
pres du maréchal Marmont. l\'Iais dépourvu
d'autorisation,
il
eut bcaucoup de peine
a
fran–
chir les avant-postes cnnemis, n'y réu ssit qu'a
force deS-ollicitations et de faux prétextes, arriva
en.fin
a
1')1ótel Talleyrand, n'y rcncontra plus le
chef qu'il cherchait, courut chcz le maréchal Ney,
y trouva les Lrois maréchaux asrnmblés, et fit a
Marmont le récit qu'on vient delire.
En apprcnant celle terrible nouvelle, Marmont
éprouva u ne violente én10tion. - Je suis perdu,
s'écria-t-il, déshonoré a jamais
! -
Le malheu–
rcux, hélas
!
ne crut pas assez ce qu'il disait, car
il aurait fait les dernicrs eíforts pour écarter de
lui toute µart de responsabilité daos cctte dé–
fection . .Mais il se con tenta <le gémir, de se
plaindrc, et de denrnud cr des consolations
a
ses
collcgues (forL peu <lisposés
a
lui en offrir), au
lic~
d'aller lui-meme
a
Vcrsailles afin de ramener ses
troupes a leur poste
a
lravers tous les périls.
Tandis qu'il consumaiL le temps en doléances
inutiles, un message de l'cmpereur de Russic
vint annoncer aux représenlants de Napoléon
qu'ils étaient attendus rue Saint-Florcntin. lis
partirent, suivis de :Marmont qui ne ccssaí·t de
se lamcnter sans agir, et dépourvus d'cspérancc
<lepuis la fatale nouvellc qui étaít venue les sur–
pl'endrc.
Pendant que cette scene se passait sur la route
de Versailles, les auteurs de la restauration des
Bourbons s'étaient donné eux aussi beaucoup de
mouvemenL. L'empereur Alexandre avait pam si
ému du langage tenu par les maréchaux, et ses
alliés cux-memes, bien que naturellcment por–
tés pour les Bourbons, avaient paru si touchés
de l'arnnLage de terminer immédiatement la
guerre par un accord avcc Napoléon, que les
royalistes réunis chez l\'I. de Talleyrand
con~u
rent de véritables alarmes. lis redirent
a
l'em–
pereur Alexandre tout ce qu'ils lui avaicnt déja
<lit bien des fois depuis cinq jours; ils dépeche–
rent le géuéral Beurnonville aupres du roi de
Prusse, pour luí répétcr les memes choses; ils
n'avaient rien
a
faire pour persuader le p"rincc
de Schwarzenberg, mais ils le suppliercnt de ne
pas faiblir. En un mot ils ne négligerent aucun
soin pour prévenir un retour de fortunc qui
dépendait surtout de la mobilc volonté d'A–
lexandre. Ces efforts du reste étaient
a
peu pres
superflus, car on n'avait rien
a
dire aux cours
alliées pour lcur
dé~outrer
que les Bourbons
valaient mieux ·que Na\poléon caché derriere la
régence de sa femmc,\mais elles craignaient de
pousser Napoléon au désespoir, et ce motif était
le seul qui put les faire hésiter. Pourtant, apres
s'ctre réunis
a
l'hótel Saint-Florentin, et avoir
délibéré, les représcntants de la coalition furent
d'avis de persévércr, prernierement parce qu'ils
s'étaient déja fort nvancés en faisant prononcer
la d·échéance de Napoléon et de ses héritiers, se–
condcment parce que les Ilourbons étaient bien
nutrement rassurants pour eux qu'une régence
qui laisserait
a
Napoléon la tentation et le moyen
de reprendre le sceptre, avec le sceptre l'épée;
enfin parce que l'reuvre de se débarrasser de
l'oppresseur commun étant si avancée, il valait
mieux la pousser
a
terme, meme a.u prix d'une der–
nicre effusion de sang, que de l'abandonner pres–
que accomplie. Ils avaient done chargé Alcxandre
de déolarer qu'on persistait dans ce qui avait été
primitivement décidé, mais sans lui communi–
quer une résolution énergique qu'ils n'avaicnt
pas eux-memes, et sans lui do.nncr pour les
Bourbons une ardeur de zele qui leur manquait.
Alexandrc, entol!lré du roi de Prusse et des
ministres de la coalition,
:ce~ut
les maréchaux
prósentés par
1\1.
<le Caulaincourt, avec la memc
bienveillance que la vcillc.
11
exprima encore une
fois
cette idéc, reproduite depuis quelques jours
jusqu'a satiété, que les souverains alliés étaient
venus a París pour
y.
cherchcr Ja paix, et nulle–
ment pour humilier la Francc on Iui imposcr un
gouvernement; puis il répéta , d'une maniere