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LIVRE CINQUANEE-TROISIEME.
face d'eux, ire, et vous ver rez si leur bassesse
pourra élever la voix en notre présencc.
Ému par ces paroles , Alexandre parut prét
a
consentir a une conférence des maréchaux avec
les principaux sénateurs. Le général Dessoles,
voyant combien on perdait de tcrrain,
es~aya
d'intervenir daos cette discussion.
JI
le
fil
avec
véhémence, et meme avec une ccrtaine rudesse.
On l'interrompit plusieurs fois, et le débat devint
confus et violent. Ne trouvant. gucre d'appui au–
tour de
ltli ,
le général Dessoles
fit
alors une
sorle d'appeÍ
a
la loyauté d'Alexandre, et luí re–
présenta qu'on s'était bien engagé dans la voic
du rétablissement des Bourbons pour rcculer,
qu'une foule d'honnetes gens s'étaient compro–
mis sur la foi des souverains alliés, et qu'il ne
serait pas loyal de les abandonner. Cet argument
vrai , mais un peu égoi'ste , et déja allégué par
.M.
de Talleyrand, n'allait guere au noble carac–
lcre du général Desso-les, qui n'était conduit en
ceci que par des convictions désintéressées; il
finit aussi par blesser l'empereur Alexandre. Ce
prince répondit fierement que personne n'aurait
jamais
a
regretter de s'etre fié
a
luí et
a
ses alliés ,
qu'ils ne s'agissait pas ici d'intérets personncls,
mais d'intérets généraux, embrassant la France,
l'Europe et le monde, et que c'était par des vues
plus élevées qu'il fallait se guider. Rompant l'en–
tretien qui avait duré presque toute la nuit , et
faisant remarquer qu'il était seul préscnt parmi
les souverains, car le roi de Prusse lui-meme
était absent, Alexandre congédia gracieusement
les maréchaux en leur donnant rendez-vous pour
le milieu de la matinée, afio de leur communi–
quer ce qu'apres de mures réflexions auraient
décidé les monarques alliés .
Bien qu'on eUt fait trop de pas sur le chcmin
qui menait
a
la rcstauration des Bourbons pour
revenir ai ément en arriere, la cause du roi de
Rome et de Marie-Louisc ne semblait pas tout a
fait perduc , et les maréchaux, se faisant illusion,
sortirent de cette premiere entrevue avec plus
d'espérance qu'il n'était raisonnable d'cn co nce–
voir . Écoutés par Alexandre avec complaisance,
traités avec des égards qui étaient presquc du
re pect, échau.ffés par la discussion, ils se reti–
rerent de chez lui fort animés, et en apercevant
daos l'antichambre de l'empereur de Russie les
hommes qui naguere faisaient foule dans les
anticbambres de Napoléon, ils ne surent pas se
contenir, quoiqu'ils dussent bientót donner eux–
memes le spectacle qu i les blessait si fort en cet
instant. La discussion reprit sur-Ie-champ avec
les membres du gouvernement provisoire et avec
plusieurs de ses ministres. Elle fut moins mesu–
r ée que devant l'cmpereur Alexandre. Le géné–
ral Beurnonville ayant voulu s'adresser au ma.–
r écbal Maedonald: Retirez-vous, lui dit celui-ci;
votrc conduite a eífacé en moi une amitié de
vingt années. - Puis rencontrant sur ses pa le
général Dupont: Général, luí dit-il, on avait élé
injuste, cruel peut-etre
a
votre égard, mais vous
avez bien mal choisi l'occasion et la maniere de
vous venger. - Le maréchal Ney ne fut pas plus
réservé, et cette scene allait prendre un carac–
tere facheux, lorsque M. de Talleyrand
fit
re–
marquer aux interlocuteur·s que le lieu n'était
pas convenable pour discuter de la. sorte, car on
était chez l'empereur de Russie auquel on man–
quait ainsi de respect, et il les invita
a
descendrc
chez lui, ou ils se trouveraient daos les appar–
temcnts du gouvernement provisoire. - Nous
ne reconnaissons pas votre gouvernemcnt provi–
soire, et nous·n'avons ríen
a
lui dire, répondit le
maréchal Macdonald; puis
il
sortit brusquement,
emmenant avec lui ses collegues.
Les négociateurs de Napoléon se rendirent
chcz le maréchal Ney pour y passer le reste de
la nuit, et attendre la réponse des sauverains al–
liés, qui devait leur ctre remise dans le courant
de la matinée.
Pendant que cette grave qQestion se discutait
avec des chances diverses dans l'hotel de la rue
Saint-Florentin, cqe se résolvait ailleurs, non
par des arguments vrais ou faux, mais par le
plus mauvais de tbus, par une défection. Napo–
Iéon, comme on ]'a vu,
n'attacha~t
pas grande
importancc
a
la démarche tentée par les maré –
chaux , et ne songeait qu'au projet de passcr
l'Essonne avec les 70 mille hommes qui lui rcs–
taicnt, pour accabler les coalisés, ou s' nsevelir
avec eux sous les ruines de Paris.
Ay-.mtbesoin
de Marmont qui commandait le corps établi sur
l'Essonnc, il l'avait mandé
a
Fontainebleau aftn
de lui donner ses dernieres instructions. Pré–
voyant toutefois que Marmont aurait pu suivre
les maréchaux
a
París,
il
avait prescrit qu'on lui
envoyat
a
son défaut le général chargé de le
remplacer.
JI
avait confié cette commission au colonel
Gourgaud. Cet officier, hrave-et dévoué, mais ne
transmettant pas toujours les ordres de l'empe–
reur avec la mesure convenable, se montra sur–
pr is de n e pas trouvcr le maréchal Marmont
a
son poste, et demanda d'un ton presque mena–
~ant
l'officier qui commandait
a
sa place. A le