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LIVRE CJNQUANTE-TROISIEME.
de ne ríen signer . Je n'aurais pas souscrit aux
conditions qu'on vous aurait imposées. Les
Bourbons pcuvcn t les accepter honorablemen t;
la Francc qu'on leur offre est ccllc qu'ils ont
fa ite. l\Ioi, je ne le puis pas . Nous sommes sol–
dats, Caulaincourt , qu'importc de mourir, si
c'est pour une tellc cause? D'ai\leurs, ne croyez
pas que la for tune ait pronon cé définilivement.
Si j'ava ís mon armée, j'aurais déja attaqué, et
tout aurai t été fini dans deux heures, car l'ennemi
est dans une pos1:tion
á
tout perdre.
Quclle gloirc
si nous
les
chassions, quelle gloire pour les Pa–
r isiens d'expulser les Cosaqucs de chcz eux, et de
les livrer aux paysans de la Bourgognc et de la
Lorraine qui les achever aient
!
l\'lais ce n'est
qu'un retard. Apres-demain , j'aurai les corps de
Macdonald, d'Oudinot, de Gérard , et si on me
suit je changeraí la face des choses. Les chefs de
l'armée s ont fa tigués, mais la rnasse marchera.
.Mes vieilles moustaches de la garde
donneront
l'cxemplc, et il n'y aura pas un soldat qui hésite
a
les suivrc. En qu elques heurcs, mon cher Cau–
laincourt, loul peut changer
!.••
Quelle satisfac–
tion
!...
quelle gloirc
!...
Apresces paroles prononcécsavec un mélange
de cal me et d'entrainement communicatif, Napo–
léon envoya M. de Caulaincourt se reposer, et
lomba hli-mcme dans un profond sommeil.
Le lendemain, 5 avril,
il
passa la journée en
r evues et en préparatifs , et tanlót plongé dans
ses r éflexions , tanlót le visage animé et la
flamme du génie dans les yeux ,
il
semhlait plein
d'un vaste projet dont
il
était impatient de
commencer l'exécution. Les troupes en ce mo–
ment supr cmc ne résistaient pas
a
l'effet de sa
présence, et quoiquc épuisées en arrívant,
criaient
a
son aspect :
Vive l'Empereur
!
avec
une sortc de frénésic . Les vieux soldats de la
gardc en lcur r acontant, avec la crédulité des
camps, qu'une indigne tra hison avait livré
Paris, les r emplissaien t de colcre, et elles ne
manifcstaien t d'autre clésfr que d'arracher la
capilale de la main des traitres. A la vérité, ces
sentiments, particuliers aux soldats et aux offi–
ciers des régiments, n'étaicnt plus, comme nous
vcnons de le dire, les mcmes dans les états-ma–
jors. Les émissaires venus de París s'élaient
glissés parmi ces derniers, et avaient prétendu
que Napoléon étaut légalcmen t déchu, ceux qui
continuaient de le servir ne servaicnt plus
qu'un rebelle, et n'étaient eux-memes que des
rebelles ; qu'il était tcmps de qui tler un homme
qui avait perdL1 la France, qui les perdrai t eux-
memes s'ils ne se séparaíent de lui, et de se
rallier au gouvernement paternel des Bourbons
tout disposé
a
leur ouvrÜ' 'les bras ' qu'avec ce
gouvernement seul on aurait la paix, car l'Eu–
rope élait résolue
a
en finir avec Napoléon et
ses adhérents; que l'armée, en quittant un camp
qui désormais n'était plus que celui de la rébel–
lion, conserverait ses grades, pensions et digni–
tés, et jouirait cnfin,
a
l'ombrc d'un trónc
tutélafrc, de la gloirc qu'clle avait acquisc et
qu'on ne lui contcstait point; qu'autrcmcnt clic
allait etre enveloppée par qualre cent mille
ennemis, et détruite jusqu'au dcrnier homme.
Ce langage avait facilement pénét.I!é- dans ·l'amc
fa tiguéc et soucieuse des principaux chefs, et
amené de leur part un síngul ier déchainement
non-seulcment contre les fautes politiques de
Napoléon, fautes trop réelles et trop désas–
treuses, mais contre ses prétendues fautes mili–
taircs. Il n'était plus,
a
les entendrc, qu'un
aventurier, qui avait rencontré une vcine hcu–
r euse, et en avait abusé Jusqu
a
f e
qu'il l'eut
éµ uisée . En
181 5,
il n'avait commis que des
bévucs, en
1814
également, et fout récemmcnt
encore il s'était trompé, en allant cherchcr
a
Saint-Dizicr un cnncmi qu'il fallait venir cher–
cher
a
París. Maintenant rendu plus extravagant
que jamais par le malheur, il voulait livrcr une
derniere bataillc, et faire égorger les malhcu–
reux restes de son armée. - Une dcrniere
bataille, soit, disaient-ils, si c'était pour relever
l'honneur des armes, et surlout pour sauvcr la
France
!
Mais, dans sa colere contre les Pari–
siens, Napoléon avait résolu de la livrer au sein
meme de París, apparemment pour tuer autant
<le Parisiens que d'Autrichiens, de Prussiens ou
de Russes
! -
C'était surtout cette allégation
d'une bataille dans Paris qu'on répandait pm·fi–
demen t, pour rendre plus odieusc encorc la
supreme tentative qui se préparait, et en admcl–
tan t qu'on ne pouvait se refuser
a
un dernicr
effort, s'il y avait chance de le rendre utile
a
la
France, on demandait avec une épouvante quel–
quefois feinte, quelquefois sincere, s'il ne fallaít
pas Ctre fou ou barbare pour vouloir convertir
París en un champ de hataille, et fournir aínsi
aux souverains le prétexte légitimc de faire
de la capítale de la France une nouvellc l\fos–
cou
!
Ces propos avaient porté l'agilation des états–
majors au comble, et, tandis qu'une Yéritable
furcur patriotiquc animait la garde, et de la
garde passait dans les rangs inférieurs de l'armée,