516
LlVRE CINQUANTE-TROISIEME.
et aux écrits; que si des cpnscriptions sans cesse
répétées avaicnt permis des guerres folles, il ne
pouvait s'en prendre qu'a lui-mcme, car
il
les
avait votées sans mot dirc, de 1804
a
1814 ; que
si dans la levée des hommes et des impots les
formes avaient été violées, la faute était égale–
ment a lui, car le vote des hommes et de !'ar–
gent avait été transféré du Corps législatif au
Sénat, du consentement de ce dernier et en
violation des constitutions impériales; qu'enfin
si tout récemment la chose jugée n'avait pas él.é
respectée,
il
devait encore s'en attribuer le tort,
puisqu'il avait consenti
a
casser la décision du
jury d'Anvers; l'honnete l\f. Lambrechts, disons–
nous, avait tellement paru oublier ces faits, pré–
sents cepcndant a toutes les mémoircs, que le
Sénat s'était presque trouvé a l'aise, comme s'il
eut été devant un public aussi oublicux que Iui–
meme. Du reste, les considérants avaient ren–
contré la meme adhésion silencieuse que l'acte,
et on était si pressé de proclamer le risullat
que, pour ne pas pcrdre de temps, on avait pla–
eardé dans París la déclaration de déchéance,
en laissant les anciens opposants la motiver
comme ils voudraient.
Des ce moment l'acte cssen liel était accompli,
et en pronorn;ant la déchéance, on avait dégagé
les Fran<;nis de leur scrment cnvers Napoléon et
cnvers sa famille. Pourtant ce n'était pas tout
que de briser les liens légaux qui altachaient
cncore la Frunce a la dynastie impériale,
il
fal–
Jait enlever a Napoléon lui-meme les moycns de
reprendre le sceptre arraché de ses mains, et
bien qu'on fltt abrité derriere200mille hommcs,
un sentimcnt d'effroi se répandait de tcmps en
temps parmi les autcurs de la révolution qui
s'accomplissait actuellement, surtout quand ils
songeaient a l'hommc qui était
a
Fontainehleau,
a
ce qu'il y fa isait, a ce qu'il pouvait y faire. 11
lui restait l'armée qui avait combattu sous ses
ordres, .renforcée de ce qu'il avait ramassé en
route, et des troupes qui avaicnt combattu sous
Paris; il lui
rest~it
l'armée de Lyon , mal com–
mandée par Augereau mais excellente, les ar–
mécs incomparables des maréchaux Soult et
Suchet, éloignées sans doute mais fociles
a
rap–
proeher en les attirant a soi ou en allant
a
elles;
il lui r cstait enfin l'armée d'Italie
!
Que ne pou–
vait-il pas entreprendre avec de tels moyens·,
exaspéré qu'il étaH, et jouissant de ses facultés
autant que jamais, comme les deux derniers
mois en avaient donné de terribles preuves?
Et,
en cct instant m_eme, ne pouvait-il pas tout
de suite, seulement avec ce qu'il avait sous la
main, fondre sur Paris, et s'il ne triomphait pas,
signaler au moins sa fin par quelque catastro–
phe tragique, par quelque vengeance éelatante,
qui couronneraient dignement sa formidable
carriere? On tremblait ríen qu'a penser
lt
ces
chances diverses, et parmi cette foule d'allants
et venants qui remplissaient l'hotel Talleyrand ,
les uns royalistes d'ancienne date, les aulres
royalistes du jour ou tout au plus de la veille,
on était loin d'etre rassuré : on colportait, on
commentait, on affirmait ou niait les nouvelles
arrivées de Fontainebleau et des environs.
JI
y avait un moyen de conjurer le danger,
c'était de provoquer dans l'armée quelque mou–
vcment comme celui qui venait de se produire
dans le Sénat. La fatigue certes n'existait pas
seulement parmi les serviteurs civils de l'Em–
pire, et elle était aussi grande au moins parmi
ses scrvitcurs militaires. Les infortunés qui, a Ja
suite de Napoléon , avaient promené lcur corps
souvent mutilé de Milan a Rome, de Rome aux
Pyramides, des Pyramides a Vienne, de Vienne
a Madrid, de l\ladrid a Berlín, de Berlín
a
l\foscou, saos jamais entrcvoir le terme de leurs
peines, rarcs survivants de deux millions de
guerriers, devaient ctre bien
l!
trement épuisés
,et dégoutés que ceux qui dans le s éña1-s'étaient
fatigués de la fatigue d'autrui. Tant qu'ils avaient
cu la gloire et les richcs dotations pour prix des
périls incessants qui mena<;aient leur tete, ils
avaient, non sans murmurer, suivi leur heureux
capitaine. l\'lais aujourd'hui que l'édifice des
dotations, qui s'étendait comme l'édifice colos–
sal de l'Empire de Romc
a
Lubeck, venait de
s'écrouler, aujourd'hui que la gloire n'était plus
cette gloire éclatante qu'on recueille
a
la suite de
la victoire, mais cettc gloire vertueuse et amere
qu'on recueille a la suite de défaites héro'ique–
ment supportées, il n'était pas impossible par
d'adroites menées de convertir les murmures en
clameurs, les clameurs en sédition militaire.
D'ailleurs on avait de fort bonnes raisons
a
donner aux gens de guerre, déja persuadés par
lcurs souffranccs, pour les engagcr a quitter le
plus exigeant des rnaitres. Il ne s'agissait pasen
effet d'abandonner Napoléon pour l'étranger,
ou meme pour les Bourhons , ce qui aurait
inspiré aux uns d'honnetes scrupulcs, aux autres
de profondes rép ugnances, mais de l'abandon–
ner pour se rallier au gouvernemenl provisoire
qui venait de surgir des malheurs memcs que
Napoléon avait attirés sur la Francc. Ce gouver-