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LlVRE CINQUANTE-TROISIEME.

et aux écrits; que si des cpnscriptions sans cesse

répétées avaicnt permis des guerres folles, il ne

pouvait s'en prendre qu'a lui-mcme, car

il

les

avait votées sans mot dirc, de 1804

a

1814 ; que

si dans la levée des hommes et des impots les

formes avaient été violées, la faute était égale–

ment a lui, car le vote des hommes et de !'ar–

gent avait été transféré du Corps législatif au

Sénat, du consentement de ce dernier et en

violation des constitutions impériales; qu'enfin

si tout récemment la chose jugée n'avait pas él.é

respectée,

il

devait encore s'en attribuer le tort,

puisqu'il avait consenti

a

casser la décision du

jury d'Anvers; l'honnete l\f. Lambrechts, disons–

nous, avait tellement paru oublier ces faits, pré–

sents cepcndant a toutes les mémoircs, que le

Sénat s'était presque trouvé a l'aise, comme s'il

eut été devant un public aussi oublicux que Iui–

meme. Du reste, les considérants avaient ren–

contré la meme adhésion silencieuse que l'acte,

et on était si pressé de proclamer le risullat

que, pour ne pas pcrdre de temps, on avait pla–

eardé dans París la déclaration de déchéance,

en laissant les anciens opposants la motiver

comme ils voudraient.

Des ce moment l'acte cssen liel était accompli,

et en pronorn;ant la déchéance, on avait dégagé

les Fran<;nis de leur scrment cnvers Napoléon et

cnvers sa famille. Pourtant ce n'était pas tout

que de briser les liens légaux qui altachaient

cncore la Frunce a la dynastie impériale,

il

fal–

Jait enlever a Napoléon lui-meme les moycns de

reprendre le sceptre arraché de ses mains, et

bien qu'on fltt abrité derriere200mille hommcs,

un sentimcnt d'effroi se répandait de tcmps en

temps parmi les autcurs de la révolution qui

s'accomplissait actuellement, surtout quand ils

songeaient a l'hommc qui était

a

Fontainehleau,

a

ce qu'il y fa isait, a ce qu'il pouvait y faire. 11

lui restait l'armée qui avait combattu sous ses

ordres, .renforcée de ce qu'il avait ramassé en

route, et des troupes qui avaicnt combattu sous

Paris; il lui

rest~it

l'armée de Lyon , mal com–

mandée par Augereau mais excellente, les ar–

mécs incomparables des maréchaux Soult et

Suchet, éloignées sans doute mais fociles

a

rap–

proeher en les attirant a soi ou en allant

a

elles;

il lui r cstait enfin l'armée d'Italie

!

Que ne pou–

vait-il pas entreprendre avec de tels moyens·,

exaspéré qu'il étaH, et jouissant de ses facultés

autant que jamais, comme les deux derniers

mois en avaient donné de terribles preuves?

Et,

en cct instant m_eme, ne pouvait-il pas tout

de suite, seulement avec ce qu'il avait sous la

main, fondre sur Paris, et s'il ne triomphait pas,

signaler au moins sa fin par quelque catastro–

phe tragique, par quelque vengeance éelatante,

qui couronneraient dignement sa formidable

carriere? On tremblait ríen qu'a penser

lt

ces

chances diverses, et parmi cette foule d'allants

et venants qui remplissaient l'hotel Talleyrand ,

les uns royalistes d'ancienne date, les aulres

royalistes du jour ou tout au plus de la veille,

on était loin d'etre rassuré : on colportait, on

commentait, on affirmait ou niait les nouvelles

arrivées de Fontainebleau et des environs.

JI

y avait un moyen de conjurer le danger,

c'était de provoquer dans l'armée quelque mou–

vcment comme celui qui venait de se produire

dans le Sénat. La fatigue certes n'existait pas

seulement parmi les serviteurs civils de l'Em–

pire, et elle était aussi grande au moins parmi

ses scrvitcurs militaires. Les infortunés qui, a Ja

suite de Napoléon , avaient promené lcur corps

souvent mutilé de Milan a Rome, de Rome aux

Pyramides, des Pyramides a Vienne, de Vienne

a Madrid, de l\ladrid a Berlín, de Berlín

a

l\foscou, saos jamais entrcvoir le terme de leurs

peines, rarcs survivants de deux millions de

guerriers, devaient ctre bien

l!

trement épuisés

,et dégoutés que ceux qui dans le s éña1-s'étaient

fatigués de la fatigue d'autrui. Tant qu'ils avaient

cu la gloire et les richcs dotations pour prix des

périls incessants qui mena<;aient leur tete, ils

avaient, non sans murmurer, suivi leur heureux

capitaine. l\'lais aujourd'hui que l'édifice des

dotations, qui s'étendait comme l'édifice colos–

sal de l'Empire de Romc

a

Lubeck, venait de

s'écrouler, aujourd'hui que la gloire n'était plus

cette gloire éclatante qu'on recueille

a

la suite de

la victoire, mais cettc gloire vertueuse et amere

qu'on recueille a la suite de défaites héro'ique–

ment supportées, il n'était pas impossible par

d'adroites menées de convertir les murmures en

clameurs, les clameurs en sédition militaire.

D'ailleurs on avait de fort bonnes raisons

a

donner aux gens de guerre, déja persuadés par

lcurs souffranccs, pour les engagcr a quitter le

plus exigeant des rnaitres. Il ne s'agissait pasen

effet d'abandonner Napoléon pour l'étranger,

ou meme pour les Bourhons , ce qui aurait

inspiré aux uns d'honnetes scrupulcs, aux autres

de profondes rép ugnances, mais de l'abandon–

ner pour se rallier au gouvernemenl provisoire

qui venait de surgir des malheurs memcs que

Napoléon avait attirés sur la Francc. Ce gouver-