PREl\fJERE ABDICATION. -
AVRIL
t8t4.
opposants, qui ordinairement se réunissaicnt
l1
Passy, ou, sous l'in·spiration de M. Sicycs, ils
déversaient lcur blame, hélas
!
trop justifié, sur
tous les actes de l'Empereur.
A
pres douze annécs
d'oppression, leur creur était plein et sentait le
besoin de s'épancher. M. de Talleyrand, qui
dans les derniel•s temps avait raillé l'Empire
pour son compte, sans aucun concert avec les
opposants de Passy, fut d'avis de donner ear–
riere
a
leur ressentiment, et de leur laisser pro–
poser et rédiger l'acte de déchéance. On en
chargea 1\1. Lambrechts, homme honnete, simple
et eourageux, qui ne songeait qu'i1 etre utile,
sans s'inquiéter de savoir s'il servait les calculs
de gens plus avisés que luí. La soirée du 2 avril
fut consacrée
a
préparer la déchéancc, en pro–
mettant
a
ceux qui s'en faisaicnt les instrumenls
de s'occuper sur-le-cliamp de la eonstitution,
condítion formclle et rcconnue du retour a l'an–
cienne dynastie.
Le jour meme ou l'on devait procéder a eet
acte, M. de Talleyrand préscnta le Sénat
a
l'em–
pcrcur Alexandrc. Ce monarque, uniquemcnt
occupé
d~
plairc aux Parisicns, s'était déja pro–
mcné
a
pied au ínilieu d'eux, les carcssant du
regard, leur arrachant des saluts par sa bonne
mine et une affabilité séduisante, prodiguant
\!ª
et la les mots heureux, disant a tout vcnant qu'il
admirait les
Fran~ais,
qu'il les aimail, qu'il ne
lcur imputait aucuncment les malhcurs de la
Russic, qu'il ne voulait pas se vcngcr d'eux,
mais au conlraire lcur faire lout le bien possiblc,
qu'il ne se rcgardait pas commc lcur vainqucur
mais comme leur libératcur, et qu'il savait bien
que s'il avait triomphé de leur résistance, c'est
parce qu'ils sentaient et pcnsaient comme lui , et
avaient horreur du joug qu'on était ven u briser.
Ces idées, rcproduitcs en cent manieres, fines,
délicates, gracicuscs, avaicnt produit lcur cffet,
et l'orgueil national désintércssé devant un vain–
qucur si pressé de plairc aux vaincus
1
on s'était
preté
a
ses carcsscs, on les lúi avait renducs, et
íL
est vrai qu'Alcxandrc était devcnu tout 3 coup
le pcrsonnage le plus populairc de Paris. Seul
regardé, scu l compté, seul recherehé par ces
Parisiens, dispensatcurs de Ja gloire dáns les
(
temps modcrnes,
il
était enivré de son succes,
et disposé·a le paycr en rendant
a
la France tous
les scrviccs compatibles avcc l'ambition russc.
On lui présenta done le Sénat dans Ja soirée
du 2 avril.
11
l'accucillit avec la plus parfaile
co~rtoisie,
lui répéta qu'il s'était armé non pas
eontrc la Francc, mais contrc un hommc, qu'il
avait admiré comment les
Fran~ais
se battaient
meme a contrc-cmur, qu'il voyait avcc bonheur
celte horrible lutte finic, et qu'en preuve de la
satisfaetion dont il était rempli, et de l'espérance
qu'il avait de ne pas la voir rcnaitre, il -Vcnait
d'ordonncr la délivrancc immédiate des prison–
niers
fran~ais
détenus dans la vasle étenduc de
son cmpire. Le Sénat, charmé de tout ce qui
pouvait cxcuscr sa soumission, rcmercia vivc–
ment Alexandrc de cet acte magnanimc, et lui
prornit de son cóté de concourir de son micux
a
mettre fin aux malhcurs de la France et du
monde.
Dans ccttc memc journéc le Sénat
pronon~a
_
définitivcment Ja déchéancc de Napoléon. La
résolution, formulée en deux articles csscnticls,
portait que la souveraineté héréditairc établie
dans la personne de Napoléon et de ses desccn–
dants était abolie , et que tous les
Fran~ais
étaicnt déliés du sermcn t qu'ils lui av::ticnt preté.
La proposilion, unefois préscntéc, ncpouvait etre
adoptée qu'a l'unanimité. Elle le fut sans aucunc
résistancc, dans une sorte de silence grave et
Lristc, comme un arret du dcstiu déja rcndu
ailleurs, et plus haut que le Sénat, plus baut que
la terre.
11
11'y avait de satisfaits, et osant le
montrcr, que les ancicns opposants. Aussi fu–
rent-ils chargés de rédigcr les considérants de
cct acle capital. M. Lambrecbts acccpta ccttc
mission , et parlant pour le Sénat commc il l'cut
fait pour Jui-memc, il proposa les considéranls
qui suivcnt : Napoléon avait violé to utcs les lois
en ve1'tu desquclles
il
avait été appclé
a
régncr;
il
avait opprirné
la
liberté privée et publique,
enfermé arbitrairemcnt les citoycns, imposé si–
lcncc
a
la prcssc, levé les hommes et les impóts
en violation des formes ordinaircs, versé le sang
de la Francc dans des gucrres folles et inutiles,
couvcrt l'Europe de cadavres, jonché les routcs
de blessés
fran~ais
abandonnés , enfin porté l'au–
dacc jusqu'a ne plus rcspcctcr le principc du
vote de l'impót par la nation, en lcvant les con–
tributions dans le mois de janvicr dcrnier sans
le concours du Corps législalif, jusqu'a ne pas
mcmc 1'especter la
chose jugée
en faisant casser
l'année précédente la décision du jury d'Anvcrs.
Napoléon, par ces motifs, devait etre déclaré
déchu du trónc, et ses dcscendants avcc luí.
1\1.
Lambrechts avait tellcmcnt paru oublier
que si la liberté individuelle et la liberté de Ja
prcsse avaicnt été sacrifiées, c'était au Sénat
h
l'empecher, puisqu'il était chargé de !'examen
des acles extraordinaircs relatifs aux pcrsonnes
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