PREMIERE
ADDICATION . -
AVRIL
1814 .
ts09
prcmiere visite se dirigea vers l'hótel de Ja rue
Saint-Florentin, et la son sentiment ne fut point
cclui de la surprise, car
il
n'ignorait pas les
justes gricfs de M. de Talleyrand, et tr._ouvait sa
conduite toule naturelle. Sculement
il
aurait
voulu pouvoir Je décider
a
en tenir une autre.
- II est trop tard , lui dit le gra nd acteur de Ja
scene du jour ; il n'y a plus
a
s'occupcr de
Napoléon que pour lui ménager une r etrai te
éloignée. C'cst un insensé, qui a tout perdu, qui
devait tout perdrc, et dont il ne faut plus nous
parler. Prenez-en votre parti, et songez
a
vous.
Votre honorable renommée, l'amitiP, de l'empe–
reur Alexandre, vous assurent une place sous
tous les gouvernements. Occupez-vous de vous,
et oubliez un maitre auquel votre droiture était
devenue importune. - M. de Caulaincourt,
s'attcndant
a
ce Jangage dans la bouche de
l\L
de
Talleyrand, éearta ce qui le eonccrnait, et usant
du privilége d'une ancienne amitié, s'e/Torc;a de
réveiller le penchant qu'on avait supposé
u
M. de
Talleyran<l pour Ja régcnce de l\larie-Louise,
sous Jaquelle
il
aurait pu ctre Je premicr person–
nage de l'État. - 11 est trop tard, répéta le
prince de Bénévent. J'ai vou1u sauver Marie–
Louise et son fils , en les retenant
a
Paris, mais
une lettre de <;et homme, destiné
a
tout perdre,
est venue décider le départ pour Blois, et pro–
duire le vide que nous cherchons
a
remplir.
Renoncez, vous dis-je ,
a
vos regrets : tout est fioi
pour Napoléon et les siens; songez
a
vos enfants,
et laissez-nous sauver la Fraoce par les seuls
moyens qu'il soit possible aujourd'hui d'cmployer.
- M. de Caulaincourt, lrouvant M. de Talleyrand
irrévocablement engngé dans la cause des Bour–
bons, avait désespér é des lors d'exercer sur lui
aucune iofluence. Quiltant M. de Talleyrand, et
traversant, au sortir de son cabinet, un groupe
tout composé de fonctionna ires de l'Empire, ou
l'abbé de Pradt faisait, selon sa cou tume,
entendre les paroles les moins réservées,
1\'I.
de
Caulai'ncourt qui se rappelait les longues adula–
tions de I'archeveque de l\falines, ne put se
<léfendre d'un mouvement d'indignation, marcha
droit
a
luí , et ne luí laissa d'autre asile que
l'escalier de l'hótel Saint-Florentin. On entoura,
on essaya de calmer
l\I.
de Caulaincourt, en lui
disant que son honorable fidélité l'égarait, qu'il
se trompait, et qu'il fallait enfin ouvrir les yeux
a
Ja vérité. - Mais pourquoi ne pas les ouvrir
plus tót, s'étai t écrié M. de Caulaincourt en
s'adressant
a
tous ces hommes naguere chauds
partisans de l'Empire, pourquoi ne pas les ouvrir
plus tót? Car en m'aidant un peu, il
y
a six mois,
nous nurions pu arrctcr sur le bord de l'abime
celui que vous appelez :rnjourd'hui un fou , un
extravagant, un despote intraitable
! -
A cela on
n'avait répliqué qu'en détouroant la tete, et en
répétant que Napoléon ava it tout perdu. Tou –
jours désolé,
l\I.
de Caulaincourl avait ensuite
eouru chez quelques sénateurs. 11
avait vu
bien peu de portes ne pas rester ferrnécs, meme
devant son nom autrefois si honoré, si accueilli.
Ceux-ci étaient absents, ceux-la fci gr;iaient de
l'etre. Quelques-uns cependant, pris au dé–
pourvu, étaient demeurés acccssibles. Parmi
ces dernicrs, les uns paraissaient embarrassés,
conslernés, et cherch1:1.ient
a
caeher sous de pro–
fond s gé rnissements la résolution visible de faire
tout ce qu'on leur demanderait. Les autres, plus
osés, élevant tout
a
coup la voix, disaient qu'il
était temps de penser
a
la France, trop oubliée,
trop sacrifiée
a
un homme qui l'avait gravemcnt
compromise, et qui allait achcver de Ja perdre
si on ne se hatait de l'arracher de ses mains . -
Sacrifiée par qui, disait
l\L
de Cau laincourt avec
emportement, sinon par ceux qui aujourd'hui
s'aperc;oivent pour la premiere fois que le héros,
le dieu de la veille, est un insensé, un despote,
qu'il faut précipiter du tróne pour le salut de Ja
France? - Mais les réflexions de l'honnele duc
de Vicence, quelque justes qu'elles fussent, ne
r éparaient rien, et il voyait bien que la cause de
Napoléon était désormais perdue; que tout au
plus, en abandonnant le pere, on sauverait peut–
etre le fils, mais qu'on en aurait
a
peine le
temps, car la rapidi té des événements était
effrayanle. Au surplus, quoique indigné du spec–
tacle qu'il avait sous les yeux, il sentait si bien
que ce qu'on disa it , déplacé dans les bouclies
qui le faisa ient enlendre, était vrai néanmoins,
que souvcnt, pret
a
se révolter, il finissait par
haisser Ja tele et par s'éloigner en sileoce,
comme s'i l cut été le coupable auquel s'adres–
saient les
juste~
reproches qui retentissaient de
toute part. Désespérant done d'arreler le Sénat,
il
s'était promis de se rejeter sur Alexandre et
sur le prince de Scllwarzenberg, pour sauver
quelque chose de ce grand naufrage.
Mais le succes que 1\1. de Caulaiocourt n'obtc–
nait pas aupres des sénateurs,
1\1.
de Talleyrand
l'obtenait sans difficulté. Quelques-uns feignant
l'indignation, Je plus grand nombre gémissant,
tous cherchant
a
se bien placer dans !'esprit de
l'homme qui allait disposer de l'avenir,
s~m
blaient décidés
a
donner un assentiment complet
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