504
LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.
sureté personnelle, mais pour la suite de leurs
dcsseins. lis se rendirent sans s'arreter aux
Champs-Élysées, pour y passcr la revue de leurs
soldats. C'était une maniere de remplir, par un
grand spectacle militaire, les heures de ·cettc
journée, tandis que leurs ministres vaqueraient
a
des soins plus sérieux et plus pressants. Il
était urgent, e:ffectivement, de parler
a
cette
ville de París, si redoutée meme dans sa défaite ,
de luí dire qu'on ne venait ni conquérir, ni op–
primer, ni humilier la France, qu'on lui appor–
tait seulement la paix, dont n'avait pas voulu un
chef intraitable, et que, quant
a
la forme de son
gouvernement, on la laisserait libre de choisir
celle qui lui conviendrai
t.
Mais pour concerter ce
langage, pour savoir mcmc
a
qui l'adresser'
il
fallait s'aboucher avec des personnages accrédi–
tés, et pendant
la
revue des Champs-Élysées ,
M. de Nesselrode s'était rendu aupres de celui
q1.1'indiquait une sortededésignation univcrselle,
c'esl-a-dire aupres de M. de Talleyrand . IlTuvait
lrouvé dans son célebre hotel de Ja rue Saint–
Florentin, altendant cette démarche si facile
a
prévoir, et lui avait demandé, au nom des mo–
narques alliés, que! était le gouvernement qu'il
fallait constituer, en lui déclarant qu'on s'en
fierait
a
ses lumieres plus volontiers qu'a celles
d'aucun homme de Frunce.
l\J.
de Talleyrand,
qui connaissait et appréciait depuis longtcmps
l'habile diplúmate dépeché. aupres de Jui, l'ac–
cueilli t avec empressement, et lui dit., ce qui
était vrai , que le gouvernemcnt impérfol était
complétement r uiné dans les esprits, que le ré–
gime de la guerre perpétuelle inspirait en
1814
autant d'horrcur que celui de la guillotine en
1800,
et que ricn ne serait plusfocile que d'opé–
rer une révolution, si l'on traitait la France avec
les égards dont ce grand pays élait digne, si on
Iui prouvait surtout par les faits aussi bien que
par les paroles, que les souverains alliés vou–
Jaient clre non pas ses conquérants, mais ses
libérateurs. Dans ces termes généraux
il
élait
aisé de s'enlendre. 1\f. de Nesselrode répéta les
assurances qu'il était chargé de prodiguer, et les
- deux diplomates commern;aient
a
disculer les
graves sujcts que comportait la eirconstance,
lorsque M. de Ncsselrode re<;ut ele l'cmper eur
Alexandreun messagesingulier, dont l'objct était
le suivant. Par une modestie pleine de <léliea–
tcssc, Alexandre avait voulu loget· non aux Tui–
Jories, mais
a
l'Élysée, et pendant la revue on
luí avait rcmis un billet dans lequcl on préten–
dait que l'Élysée était miné. 11 avait envoyé ce
billet
a
M. de Nesselrode pour que celui-ci s'in–
format si un tel avis avait le moindrefóndement.
J\j ·
de Nesselrode communiqua ce message
a
M. de Talleyrand, qui sourit d'un avis aussi pué–
ril, et qui cependant o:ffrit courtoisement de
meUre
a
la disposition de l'empcreur Alexandre
son hotel, ou aucun dangcr n'était
a
craindre, et
ou depuis longtemps régnaient des habitudes
tout
a
fait princieres.
l\f.
de Nesselrode saisit
cette offre avec empressement, car c'était donner
un haut témoignage de considération
a
un per–
sonnage dont on avait grand besoin, c'était aug–
menter son influence, et se ménager meme bien
des commodités pour l'oouvre qu'on allait e'ntre–
prendre.
Les hommes qui depuis quelque temps étaient
ou les eonfidents ou les visiteurs assidus de
M. de Talleyrand,
le
duc de Dalberg, l'abbé de
Pradt, le baron Louis, le général Dessoles, et
une infinité d'autrcs, étaient accourus chez lui
pour s'entretenir des prodigieux événements qui
étaient en voie de s'accomí)lir. 11 avait done sa
cour toutc formée pour recevoir l'empcreur
Alexandre lorsque celui-ci, apres avoir passé ses
troupes en revue, -se transportcrait
a
l'hótel de la
rue Saint-Florentin. L'empereur Alexandre étant
descendu de eheval sur la place de la Concorde,
se rendit
a
picd chcz le grand digoitaíre impé–
rial, lui tendit la main avec celle courtoisie qui
séduisait tous ceux qui ne savaient pas combicn
il y avait de finesse cacbée sous Je charme de ses
manieres, traversa les appartements qui conte–
naient déja une foule empressée, se laissa pré–
senler les nouveaux royalistes, dont le nombre
augmentait
a
vue d'reil, et apres avoir prodigué
a
chacun les témoignages les plus flattcurs, s'en–
fe1-ma avec M. de Talleyrand pour le consulter
sur les importantes résolutions qu'il s'agissait
d'adopter. Leroi de Prusse, le prince de Schwar–
zenbcrg, appelés
a
cette conférence, s'y rendirent
immédiatement, et M. de Talleyrand demanda
l'autorisation d'y introduire son véritable, son
unique complice, le duc de Dalberg, qui, plus
téméraire que lui, avail osé envoyer un émis–
saire au camp des alliés. A peine assemblés, ces
éminents personnages enlreprirent de traiter le
grand sujet qui les réunissait, celui du gouver–
nemen
ta
donner
a
Ja Franee.
Alcxandre qui avait déja pris l'habitude, et
qui continua de la prendre chaque jour davan–
tage, d'ouvrir les entretiens et de les clore,
Alexandrc commen<;a _par répéter ce qu'il disait
a
tout le monde, que lui et ses alliés n'étaient