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LIVRE CI NQUANTE-TROISIEIUE .
livrcraient les barrieres aux soldats des armées
alliées, apres quoi les souverains feraient leur
entrée dans Paris.
Sur ces entrefaitcs,
l\f.
de Caulaincourt n'ayant
pas trouvé
a
l'hótel de ville les autorités pari–
siennes, s'était rcndu lui-meme au cMteau de
Bondy, avait rencon tré en route la députation
qui s'en relournait, avait cu quelque difficullé
a
se fairc admettre aupres d'Alexandre, et y avait
cnfin réussi. En le voyant, Alexandrc l'accueillit
avec la meme cordialité qu'autrefois, l'embrassa
mcme de
fa
m~niere
la plus affectucuse' lui
expliqua pourquoi il ne l'avait pas reC(U
a
Prague,
puis arrivant aux grands événements du jour,
lui dit qu'exempt de tout ressentiment, ne dé–
sirant que la paix, la venant chercher
a
París
puisqu'il n'avait pu la trouver
a
Chatillon,
il
la
voulait honorable pour la France, mais surc
pour l'Europe, et que pour ce motif ni lui ni
les alliés ne consentiraient plus
a
négocier avec
Napoléon; qu'ils n'auraient pas de peine d'ailleurs
a
trouver quelqu'un avec qui on put traiter, car
il leur· revenait de toule part que la France était
aussi fatiguée de Napoléon que l'Europe elle–
meme, et qu'elle ne demandait pas mieux que
d'etre débarrassée de son despotisme ; qu'au
surplus les alliés n'avaient pas le projet de faire
violcnce
a
cette noble France, qu'ils eutcndaient
au contrairc la respccter profondément , lui
laisser le choix de son souverain, et conclure Ja
paix avec ce souverain des qu'elle l'aurait <lési–
gné; qu'une fois entrés dans Paris ils consultc–
raieo t les gens les plus notables, qu'ils les pren–
draient dans toutes les nuances d'opinion, et
que ce que les personnages les plus accrédités du
pays auraient décidé, les alliés l'adopteraient, et
Je consacreraient par l'adhésion de l'Europe.
, Consterné de ce langagc calme, doux, mais
resolu,
M.
de Caulaincourt essaya de combattre
les idées émises par Alexandre. Il s'efforc;a de
lui faire sentir le daoger pour les alliés de se
conduire, eux, rcprésentants de l'ordre social et
monarchique en Europe, comme des fautcurs
de révolution, de détróner un prince longtemps
reconnu, adulé de loutes les cours, accepté par
elles comme allié, et par l'une d'elles comme
gendre; le danger d'en croire
a
cct égard des
mécontents, qui ne consulteraient que leurs
passions, de se tromper ainsi sur les vrais senti–
ments de la France, qui, tout en désapprouvanL
les
gu~rres
continuelles de Napoléon, restait re–
conna1ssante de la gloire et de l'ordre intérieur
dont elle avaít joui sous son regne, et était peu
disposée
a
échanger sa puissante et glorieuse
main contre la main débile et oubliée. des
Boi.ir–
bons; le danger enfin de pousser au désespoir
:fapoléon et l'arméc, de commettre
a
de nou–
veaux et affreux hasards un triomphe inespéré,
triomphe qu'on pourrait consolider
a
l'instant
memc, et rendrc définitif par une paix équitable
et modérée.
Alexandre parut pcu touché de ces raisons. 11
répondit qu'on écouterait non pas des mécon–
tents, mais des hommes sensés, n'ayant ni parti
pris, ni intéret suspect; que le gout de renverser
des trónes, les souverains alliés ne l'avaient pas
et ne pouvaient pas l'avoi1• ; que le danger de
réduire Napoléon au désespoir, ils en tenaient
compte; mais qu'ils étaientrésolus, apres etre ve–
nus si loin, et maintenant surtout qu'ils étaint si
unis, de pousser la lutte
a
bout, pour n'avoir pas
a
la reeommencer dans des conditions peut-etre
moins favorables; qu'ils s'attendaient sans doute
a
des cou ps exlraordinaircs de la part de Napo–
léon, tant qu'il lui r esterait une épée dans les
mains, mais que, fussent-ils repoussés de Paris,
ils
y
reviendraient, j11;squ'a ce qu'ils eussent
conquis une paix sure, et qu'une paix sure on
ne pouvait pas l'espérer de l'homme qui avait
ravagé l'Europe de Cadix a l\foscou.
11 était visible néanmoins que tout en affectant
de ne pas craindrc un dernier acte désespéré de
Napoléon, Alexandre en était intérieuremcnt
troublé, et que ce scrait un argument d'un
poids considérable dans les négociations qui al–
laient suivre. A propos de ces résolutions qui
paraissaient si fcrmement arretées de la part des
puissances,
M.
de Caulaincourt demanda au
czar si cependant l'Autriche n'aurait aucuue
consi<lération pour les liens de fomille, et si clic
aurait conduit si loin ses soldats pour avoir
l'honncur de détróner sa filie ; que ce ne serait
plus alors le cas de tant reprocher au peuple
franC(ais d'avoir égorgé une archiduchesse, quand
on ve nait soi-meme en détróner une autre. -
L'Autriche, reprit Alexandrc, a eu de la peine
a
se décider; mais depuis que vous avez refusé
l'armistice de Lusigny, imaginé par elle pour
ménager un aceommodement, elle est aussi con–
vaineue que nous qu'on ne peut pas traiter avec
son gcndre, et que pour obtenir une paix du–
rable il faut la signer avec un autre que lui.
A cette déclaration Alexandre ajouta <le nou–
vellcs assuranees d'amitié pour
l\'I.
de Caulain–
court, l'engagea
a
venir le revoir dans la journée,
lui promit de l'aceueillir a toute heure, mais lui