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LIVRE CINQUANTE-TROISIEl\IE.
espece y étaient accourus, cherchan t quelque part
un gouvernement, et allant aupres de l'homme
qui en ce momen.t sem!Jlait en etre un, puisqu'il
était le chef de la seule force existant dan.s la ca–
pitale. Le maréchal Mortier lui était subordonné
pour toutes les occasions importantes. Les deux
pt'éfets, une partie du corps municipal, et
be.au–coup de pcrsonnages marquants s'y étaient trans–
portés. Chacun y parlait des événements avec
émotion, et selon ses scntiments. En voyant le
maréchal dont le visage était noirci par la pou–
dre et l'ha!Jit déchiré par les bailes, on le félici–
taít sur sa courageusc défense de Paris, et puis
on s'entretenait de la situation. ll y avait une
sorte d'unanimité contre ce qu'on appelait la
Jache désertion de tous ceux que Napoléon avait
laissés daos la capitule pour la déícndre, et
contre Napoléon lui-meme dont la folle politique
avait am.e_né les soldats de l'Europe au pied de
l\fontmartre. Les royalistcs, et il n'en manquait
pas dans cette réunion , n'hésitaient plus a dire
qu'il fallait se soustraire
a
un joug insupportable,
et pronon<;aient hardiment le nom des Bour–
bons. Deux banquiers considérables, liés, l'un
par la par-coté, l'autre par l'amitié, avec le ma–
réchal duc de Raguse, MM. Perregaux et Laffitte,
attirerent l'attention par la vivacité de leur lan–
gage. LE(__second surtout, dont la fortune était
commencée, et dont l'esprit vif et bril!ant était
généralementremarqué, se pronon<;a fortement,
et allajusqu'a s'écrier, en entendant proférer le
nom des Bourbons :
u
Eh bien, soit, qu'on nous
donne les Bourbons, si l'on vcut, mais avec une
eonstitution qui nous garantisse d'un despotisme
funeste, et avec la paix dont nous sommes privés
depuis trop longtemps
!
» -
Cet accord de sen–
timents contre le despotisme impérial, poussé
jusqu'a faire considérer les Bourbons comme
tres-acceptables par des hommes de la haute
bourgeoisie qui ne les avaient jamais connus,
produisit une singuliere impression sur les assis–
tants. On disait,
Ja
aussi, qu'il fallait ne pas s'oc–
cuper seulement de l'armée, mais de la capitalc.
Le maréchal Marmont répondit qu'il n'avait pas
pouvoir de stipuler pour elle, et onjugea conve–
nable que les préfets, avec une députation d u
conseil municipal et de la garde nationale, se
rcndissent aupres des souvcrains alliés, pour
r éclamer le traitement auquel Paris avait droit
de la part de princes civilisés, qui depuis le
passage du Rhin s'annon<;aient comme les libéra–
teurs et non comme les conquérants de la France.
C'est au milieu de ces discours que survint
M. de Talleyrand. Il eut un entretien particulier
avec le maréchal Marmont. Il voulait d'abord en
obtenir quelque chose qui ressemblat a l'autori–
sa~ton
de demeurer a Paris , ce que le maréchal
pouvait lui procurer moins que personne, et du
reste il y tenait déja beaucoup moins en voyant
ce qui se passait. Il songea sur-le-chainp a faire
servir cette visite a un dénoument qu'il commen–
<;ait
a
regarder comme inévitable-, et comme
dcvant nécessairement s'accQmplir par ses ,pro,.
pres mains. Aucun homme n'étnit aussi sensible
a
la flatterie que le maréchal l\farmont, et aucun
ne savait la manier aussi bien que M. de Talley–
rand. Le maréchal avait commis dans
~ette
campagne de graves fautes, mais connues des
militaircs seuls, et il y avait déployé la bravoure
la plus brillante. Dans cette journée du 50 mars
notamment
il
avait acquis des litres durables
a
la reconnaissance du pays. Son visage, ses
mains, son habit, portaient témoignage de ce
qu'il avait fait. M. de Talleyrand voota son
courage, ses talents, son esprit surtout, bien
supérieur, affirmait-il, a celui des autres maré–
chaux. Le duc de Raguse ne se tenait pas d'aise,
quand on lui disait qu'il avait de l'esprit, et que
ses camarad_es n'en avaient pas, et
il
est vrai que
sous ce rapport,
il
avait ce qui manquait
a
presque tous les autres. Il écouta done avec un
profond sentiment de satisfaction ce que luí dit
le dangereux tentateur qui ·préparait sa chute.
l\L de Talleyrand s'effor<;a de lui inontrer la
gravité de
la
situation, la nécessilé de tirer la
France des mains qui l'avaient perdue, et lui
fit
entendre que, daos les circonstances pré–
sentes, un militaire qui venait de défendrc Paris
avec éclat, qui avait encore sous ses ordres les
soldats
a
la tete desquels
il
avait combattu,
possédait des moyens de sauver son pays qui
n'appartcnaient a personne. l\L de Talleyrand
s'en tint la, car
il
savait qu'une séduction ne
s'accomplit jamais en une fois. Mais lorsqu'il se
eelira, le malheurcux Marmont était enivré, et,
au milicu des désastrcs de Ja France,
il
revait
déja pour lui-meme les destinées les plus bril–
lantes, tandis que le soldat simple et sage qui
avait été son collegue daos cette journée du
50 rnars, qui, lui aussi, avait le visage noirci par
la poudre, Mortier, dévorait sa douleur dans
l'isolement ou
le
laissaient sa modestic et sa
droiture.
La nuit était avancée; les officiers choisis par
les maréchaux allcrent régler avec les représen–
tants du princc de Schwarzenberg les détails de