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LIVRE
CINQUANTE~TROISIEME.
Toutes les forces alliécs se trouvant portées
en Jigne, l'action recommcm;a avec plus de vio–
lence. Au nord, la division du prince Eugene de
Wurtcmberg, secondéc par les grenadicrs russes
déja venus
a
son secours , et par les troupes
prussienncs récemment arrivées, se jeta sur Pan–
tin et les Prés Saint-Gervais, mais fut chaude–
ment
re~ue
par les divisions de jcune garde
Boyer de Rebeval et Michel, que commandait le
général Compans. Un momcnt les coalisés réus–
sirent a
s~eµi parer
des deux villages, mais nos
jeunes soldats s'adossant alors au pied des hau–
teurs ou ils rencontraicnt l'appui d'unc artiJlcrie
bien postée, reprirent courage, et rentrerenl
dans les viIJages, ou le earnage devint épouvan–
table. De ce coté, l'ennemi ne réussit done point,
quelque vigoureuse que fllt son attaque.
Sur le plateau de.Romainville, la défense fut
non pas moins énergique, mais moins heureuse.
Les troupes des généraux Helfreich et Mezenzoff,
soutenues par les grenadiers de Paskew.i.tch,
quoique d'abord repoussées, avaient fini par ga–
gner du terrain. Ayant réussi notamment
a
s'emparer de Montreuil et de Bagnolet, elles
s'étaient établies sur le versant sud du plateau,
et bien sccondées par les troupes du comte Pahlen
et du prince royal de Wurtemberg qui opé–
raient ' entre Vincennes et Charonnc, elles
avaient conquis les premieres maisons de Ménil–
montant. La division de réserve ' du duc de Pa–
doue qui formait la droite de l\farmont, se trou–
van t débordée, avai t été forcée de se replicr, et
<le découvrir les divisions ILagrange et Ricard
qui occupaient le milicu du plateau . Sur la
gauche de Marmont, Ja division Ledru des Es–
sarts, vivemcnt poussée d'arbrc en arbre dans le
bois de Romainville, voyait également le bois lui
échapper peu
a
peu.
Se sentant ainsi prcssé sur ses deux flanes,
I\farmont imaginn de tcnter un cJfort au centre
contre la masse ennemie qui s'avanc;'ait bien
serrée, couverte sur son front par une artillerie
nombrcuse, ap puyée sur ses ailcs par de forts <lé–
tachements de grosse cavalerie. Le maréchal se
mit lui-merne
a
la tete de quatre bataillons for –
més en colonne d'attsque, et fon tlit sur les g1·e–
nadiers russes qui marchaient en premiere ligne.
Douzc picces de canon chargées
a
mitraille t.ire–
rent de fort pres sur nos soldats, qui soutinrent
ce feu avec une fermeté héro'iqu e, et continue–
rcnt de se porter en avant. l\fais au meme instant
ils furent abordés de front par les grcnadiers
russes, et pris en flane par les
chevaliers-garde~
que conduisait Miloradowitch. Accablés par le
nombre, les quatre bataillons de I\farmont furent
ob~gés
de plier , apres s'ctre battus corps
a
corps avec une véritable fureur. Le maréchal
les ramena sur Belleville, et
il
allait succomber
sous la masse des assaillants de toutes armes,
quand un brave officier nommé Ghesseler, em–
busqué sur la droite, dans un petit pare dit des
Bruycres, dont il ne reste plus aujourd'hui que
Je souvenir, s'élan9a
a
la tete de
200
hommes
dans le flan c de la colonnc ennemie, et parvint
en dégageant le maréchal a lui faciliter la retraite
sur Belleville. Dans le meme moment le bois de
Romainville fut définilivement abandonné; et le
plateau étant évacué de toutes pa1'Ls, la défense
se trouva reportée, au centre sur Belleville,
a
droite (revers sud), vcrs Ménilmontant que Ja
division de Padoue était venue occuper, agauche
enfin (revers nord),
a
la
co.tede Beauregard, ou
la division Ledru des Essarts avait trouvé un
asile. Au pied de celle-ci, les divisions Boyer
et l\lichel lutlaien t opiniatrément. Elles avaient
perdu Pantin, mais elles défendaicnt les Prés
Saint - Gervais avec la derniere obstinalion.
Parlout le combat étáit acharné, et les hommes
lombaient. par milliers , notamment parmi les
coalisés qui r ecevaient de tous cótés un feu plon–
geant. Dans la plaioe Saint-Denis, Kleist et Wo–
ronzoff avaient attaqué la ViJlette , défendue par
la division Curial; York attaquait la Chapelle, dé–
fendue par la division Christ iani, sous les yeux
du maréchal l\fortier . En avant de Clignancourt,
les escadrons de Blucher étaient aux prises avec
la cavalerie du général Bclliard, et avaient rare–
men t l'avantage.
Ainsi de la plaine Saint-Denis
a
la barriere du
Tróne, le combat continuait avec des chances
diverses. Notre ligue avait re'culé, mais les alliés
avaient déja perdu 10 mille hommes, et nous 5
a
'6 mille seulement. Nos soldats épuisés é·taient
soutenus par cet te idée que París éthit derriere
eux, et 24 mille hommes luttaient sans trop de
désavantage· contre
170
mille. Un moment on
annon9a l'arrivée de Napoléon (c'était la subite
apparition du général Dejean qui avait occasionné
ce faux bruit), et le cri de
Pi've l'Ernpereur!
propagé par une espcce de commotion électrique,
retentit dans nos rangs. Nos troupes, ranimées
par l'espérance, se jeterent avec fureur sur l'en–
ncmi. De part et d'autre on combattait avec une
sorte de r nge, car pour les uns il s'agissait d'at–
teindred'un seul couplcbut de l'a guerre,et pour
les autres d'arracher lcur palrie
a
un désastre.