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LIVRE CINQUANTE-TROISIEl\fE.
donnerait peut-etre pas aujourd'hui les memes
ordres.
A cette interprétation la seconde lettre, écrite
de Reims Je 16 mars, lendemain de l'heurcux
combat de Reims, et au moment ou commenc¡ait
la marche vers les places fortes, répondait pé–
remptoirement. 11 fallut done se rendre, et con–
sentir au départ pour le lendemain matin 29. 11
fut convenu toutefois que Joseph et les ministres
resteraient afin de diriger la défense de París, et
qu'ils nepa.rtiraientque lorsqu'on ne pourrait plus
disputer cettc ville
a
l'ennemi. L'archichancclier
Cambacéres, peu propre au tumulte des armes,
et d'ailleurs conseiller indispensable de la Ré–
gente, dut seul accompagner Marie-Louise. On
se sépara consterné, et dans un état d'agitation
qui n'était pas ordinaire sous ce gouvernement
jusque-la si obéi et si paisible. On s'accusait en
cffet les l!_ns les autres, et on s'imputait la ruine
prochaine de l'Empire. Quelques membres des
plus ardents reprocherent au duc de Rovigo de
n'avoir pe.s recours aux moyens qui avai(;;t
sauvé la France en
quat.re-vingt-douze, et par
exemple de ne pas chercher
a
soulevcr le
peuple;
a
quoi il répliqua qu'il était bien de cet
avis, mais que pour armer le peuple il lui fau–
drait deux choses qu'il n'avait pas, des armes
d'abord, et ensuite la permission de recourir
a
un tel moyen. En descendant l'escalier des Tui–
leries,
l\L
de Talleyrand, qui marchait comme il
parlait, c'est-a-dirc lentement, dit au duc de
Rovigo, en s'appuyant sur la canne dont il s'ai–
dait babituellement : Eh bien, Yoila done com–
ment devait finir ce regne glorieux
!. ..
Terminer
sa carriere comme un aventurier, au Jieu de la
termincr paisiblement sur le plus grand des tró–
nes, et apres avoir donné sou nom
a
son siecle...
quclle fin
!...
L'Empereur serait bien
a
plaindre,
s'il n'avait pas mérité son sort en s'entourant de
pareilles incapacités !... - Le duc de Rovigo,
qui lui aussi avait sentí sa faveur décroitre , et
ne faisait pas grand cas de ceux qui l'avaicnt
remplacé dans la confiance de l'Empereur, baissa
la tete, ne répondit rien, parut meme approuvcr
les paroles de M. de Talleyrand. Celui-ci alors,
avec un regard qui était une provocation a un
peu plus de confiance, ajouta : Pourtant il ne
peut convenir a tout le monde de se laisser écra–
ser sous de telles ruines, et c'est le cas d'y son–
ger
!. .. -
Pu is, trouvant le duc de Rovigo silen–
cieux, car, quoique mécontent, ce scrviteur était
fidele,
il
termina l'entretien par ces simples
mots : Nous verrons. - 11 se jeta ensuite dans
sa voiturc, t;!aignant presque d'en avoir trop
dit.
Apres cette séance, dont les suites furent si
graves, Joseph, le prince Cambacéres, Clarke, en
accompagoant l'lmpératrice dans ses apparte–
ments, se communiquerent ce qu'ils pensaient,
et s'avouerent entre eux que le partí adopté par
obéissance
a
Napoléon avait de bien grands
inconvénients. - Mais dites-moi , reprit alors
l\iaric-Louise, ce que je dois faire , et je le
ferai. Vous etes mes vrais conseillers, et c'est a
vous a m'apprendre comment je dois interpréter
les volontés de mon époux. -Le prince Camba–
cér es dont la sagesse était désormais sans force,
Joseph qui craignait la responsabilité, n'oserent
conseiller la désobéissance aux lettres de Napo–
léon. Cependant on décida qu'avant de s'y con–
former, on s'assur erait bien si le péril était aussi
réel qu'on l'avait cru, et si des Jors il était déja
temps de faire application d'ordres jugés si dan–
gereux. Il fut done résolu que Joseph et Clarke
feraient le lendemain matin une reconnaissance
militaire autou r de Paris, et que l'Impératrice ne
partirait qu'apres un dernier avis de leur part.
Le lendemain 29, la place du Carrousel se
remplit des voi tures de--la Cour. On y avait
chargé, outre le bagage de Ja famille impériale,
l es papiers les plus précieux de Napoléon, les
restes de son trésor particulier qui s'élevaient
a
environ
'18
millions, la plus grande partie en or,
et enfin les diamants de la Couronne. Une foule
inquiete et mécontente était accourue, car Marie–
Louise paraissait a beaucoup d'esprits une garan–
tie contre la barbarie des étrangers. On ne pille–
rait pas, se disait-on, on ne brUlerait pas, on
n'écraserait pas sous les bombes, la ville qui ren–
fermait la fille et le petit-:fils de l'empereur
d'Autriche. - Le départ de l\'larie-Louise sem–
blait une désertion, une sorte de trahison. Tou–
tefois la foule restait inactive et muette. Quel–
ques officiers de la garde nationale ayant réussi
a
pénétrer dans le palais, car dans le malheur
1'étiquette tombe devant l'émotion publique,
firent effort aupres de l\farie-Louise pour l'empe–
cher de partir, en lui disant qu'ils étaient prets
a la défend re elle et son fils jusqu'a la derniere
extrémíté. Elle répondit tout en }armes qu'elle
était une femmc, qu'elle n'avait aucune autorité,
qu'el!e devait obéie
a
l'Empereur,etles remercia
bcaucoup de leur dévouement saos pouvoir ni le
refuser ni l'accepter. L'infortunée (elle était sin–
cerement attachée alors a la cause de son :fils et
de son époux), l'infortunée allait, venait dans ses
appartements, attendant Joseph qui n'arrivait