PRE!\11ERE ABDICATION. -
DIARS
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fenseur quel qu'il füt. Le désir d'ctre débarrassé
du gouvernement de Napoléon n'était rien au–
pres de la crainte d'un assaut, et des horreurs
qui pouvaient s'ensuivre. La garde nationale,
tirée exclusivement de Ja classe moyenne, et ré–
duite
a
12 mille hommes, n'avait pas 5 mille
fusils. Une partie avait des piques qui la ren–
daient ridie\.lle. Le peuple, quoique ennemi de
la conscription et des droits réunis, frémissait a
la vue de l'étranger, et aurait volontiers pris les
armes, si on avait pu lui en donner, et si on
avait voululcs lui confier. 11 errait, oisif, inquiet,
mécontent, daos les faubourgs et sur les boulc–
vards. Aux barrieres se prcssait une foule de
campagnards poussant <levant eux Jeur bétail, et
emportant sur des charrettes ce qu'il avaient pu
sauver de leur modeste mobilier. On n'avait pas
meme songé
a
les dispenser de l'octroi , et quel–
ques-uns étaient obligés de :vendre
a
vil prix une
portion de ce qu'ils apportaient pour acheter le
droitd'abriter le reste da ns Ja capi tale. Les malheu–
reux aussitót entrés allaient encombrer les boule–
vards et les places publiques, et, apres s'etre fait
avec leurs charrettes et leur bétail une espece de
campement, couraient c;a et la, demandant des
nouvelles, les colportant, les exagérant, et gémis–
sant au bruit du canon qui annonc;ait le ravage
de leurs propriétés. Au-dessus de ce peuple si
divers, si confus, si troublé, flottait daos une
sorte de désolation le plus étrange gouverne–
ment du monde. L'Impératrice Régente vive–
ment alarmée pour elle-meme et pour son fils,
eraignant a la fois les soldats de son pere et le
peuple au milieu duquel elle était venue régner,
ne trouvant plus aupres de Cambacéres, frappé
de stupeur, les directions qu'elle était habituée
a en recevoir, se défiant
a
tort de Joseph, doux
et affectueux pour elle, mais signalé a ses yeux
comme un jaloux de l'Empereur, ne sachant des
lors ou ehercher un conseil, un appui, avait été
jetée par
le
bruit du canon daos un état de
trouble extreme. Joseph, que Je canon n'effrayait
point, mais qui, a la vue des trónes de sa famille
tombant les
UDS
apres Jes autres, COIDIDCDc;ait
a
désespérer de celui de France, Joseph, qui sous
les coups d'éperon de l'Empereur, s'était un mo–
ment melé de l'organisation des troupes' mais
sans y ríen entendre, n'avait ni le savoir, ni
l'activité, ni l'autorité nécessaires pour s'em–
parer fortoment des éléments de ré istance exis–
tant eneore dans París. Le ministre de Ja guerre,
Clarke, duc de Feltre, laboricux, mais incapahle,
faible, tres-pres d'etre infidclc, prenant le coutrc-
pied de tous les avis du duc de Rovigo qu'jl dé–
teslait, était
a
peine en état d'exécuter la moitié
des ordres de l'Empereur, lesquels du reste se
rapportaient exclusivement
a
l'armée active. Le
duc de Rovigo , iutelligent, brave, mais décrié
comme l'instrument d'une tyrannie perdue, n'é–
tait écouté de personne. Les autres ministres,
hommes puremcnt spéciaux, ne sortaient pas du
cercle de leurs fonctions, et se bornaient, dans
les circonslances présentes,
a
partager la conster–
nation générale. Enfin le seul homme eapable,
non pas de créer des ressources, car jamais il ne
s'était occupé d'administration, mnis de donner
de boos avis en fait de conduite,
l\J.
de Talley–
rand, souriait des embc.rras de tous ces person–
nages, se moquait d'eux, et leur payait en mé–
pris la défiance qu'il leur inspirait. Tel était
l'assemblage confus de princes et de ministres
qui en ce moment était chargé du salut de la
France
!
Ainsi se retrouvaient partout les tristes
conséquences de la politique de conquete : des
ou rages magnifiques, des armes, des soldats
a
Dantzig,
a
Hambourg,
a
Fléssingue,
a
Palma–
Nova,
a
Venise,
a
Alexandrie, et
a
Paris rien,
rien
!
ni une redoute, ni un soldat, ni un fu sil,
pas meme un gouvernement, et pour toute res–
sourcc, pour diriger l'énergie du plus brave
peuple de l'univers, une femme éplorée, et des
freres, non pas saos courage, mais sans autorité,
parce que tout dans l'État avait été réduit
a
un
homme, et qu e, cet homme absent, la pensée, la
volonté, l'action semblaient s'évanouir au sein
de Ja France paralysée
!
Lorsque le 28 mars on eonnut la prochaine
arrivée des maréchaux, et qu'on ne put conser–
ver aucun doute sur l'approche de l'ennemi,
Josepb, qui était dépositaire des instructions de
Napoléon, soit écrites, soit verbales, relativement
a
ce qu'il faudrait faire de l'Impératrice et du
Roi du Rome en eas d'une attaque contre Paris,
Josepb en
fit
part
a
l'Impératrice,
a
l'archichan~
celier Cambacéres, au ministre Clarke, et il
n'entra daos la pensée d'aucun d'eux de déso–
béir, bien qu'il s'élevat daos ]'esprit de Joseph et
de Cambacéres beaucoup d'objections contre la
me ure prescrite. L'Impératrice, quant
a
elle,
était prete
a
partir, a rester, selon ce qu'on lui
dirait de · volontés de son époux. 11 fut convenu
qu'on a semblerait sur-le-champ le Conseil de
régence, pour lui soumeltre la question, et pro–
voquer de sa part une résolution conforme aux
in ten tion de
N~poléon,
expressément et itérati–
vcm nt cxprimées.