PREMIERE ABDICATION. -
MARS
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léon écarté, les Bourbons que la France a oubliés,
aux lumicres desquels elle n'a pas confiance, les
Bourbons deviendront tout
a
coup possibles, de
possiblcs nécessaires. C'est politiquement, ce
n'est pas militairement qu'il faut chercher
a
finir
la
gucrre, et pour cela, des qu'il se fera
entre les armées belligérantes une ouverture
quelconque,
a
travers laquelle vous puissiez pas–
ser, hatez-vous d'en profitcr, allez toucher Paris
du doigt, du doigt seulement, et le colosse sera
renversé. Vous aurez brisé son ·épée que vous
ne pouvez pas lui arracher. - Telle est la sub–
stance des discours que le comte Pozzo adressait
saos cesse
a
l'empcreur Alexandre, et au surplus
il travailJait
SUI'
une ame facile
a
persuader.
Outre }'esprit tres-remarquable d'Alexandre, le
comte Pozzo avait pour le seconder toutes les
passions de. ce prince. Se venger, non de l'iu–
cendic de Moscou auquel il ne songeait plus
guere, mais des humiliations que Napoléon lui
avait infligécs, entrer dans París, dans la capi–
tule de la civilisation, y détróner un despote, y
tendre aux Fran9ais une main généreuse, s'en
faire applaudir, était chez lui un reve enivrant.
Ce reve l'occupait tellement, que pour le réaliser
il était capable d'une audace qui n'était ni dans
son creur ni dans son esprit.
Du reste, l'opinion que professait le comte
Pozzo di Borgo avait envahi peu
a
peu toutcs
les tetes. Née.d'abord parmi les Prussiens, chez
qui elle avait été engendrée par la haine, elle
avait fini par pénétrer chez les Russes, et meme
chez les Autrichiens. On comprenait tres-bien
chez ces derniers que frapper politiquemcnt
Napoléon était la maniere la plus su re et la plus
prompte de le détruire. L'empereur Franc;ois et
l\'I.
de Metternich, quoique regretlant en lui ,
non pas un gendre, mais un chef plus capable
qu'aucun autrc de gouverner la France, avaient
reconnu , depuis la rupture du congres de Cha–
tillon, qu'il fallait enfin prendre un parti -décisif
meme conLre sa personne. lis avaient longtcmps
répugné
a
pousser les choses
a
la derniere extré–
mité, mais le Rhin franchi, ayant admis le prín–
cipe des limites de 17!:)0, ce qui rendait vacants
les anciens Pays-Bas qu'on devait leur paycr
avec l'Italie, connaissant trop bien Napoléon
pour croire qu'il se soumettrait jamais
a
une
telle réduction de territoire, ils en étaient venus
par avidité aux memes conclusions que les
Prussiens par haine , les Russes par vanilé.
Aller chercher
a
París la solution politique qui
contienurait en meme temps la solution mili-
taire, leur semblait désormais nécessaire . Le
prince de Schwarzenberg, esprit timide rnais
sur, en était venu
a
penser'
a
cct égarcl, comrnc
~I.
de Metternich, et comme l'empereur Fran<;ois,
car en ce moment l'Autriehc présentait
le
phé–
nomcnc singulier cl'un empereur, d'un premier
ministre et d'un généralissime, identiques dans
leurs sentiments, et ne faisant qu'un homme,
étranger
a
l'amour comme
a
la haine, et conduit
uniquement par de profonds calculs. Dans cette
disposition, le prince de Schwarzenberg, voyant
la route de París ouverte, inclinait pour la prc–
miere fois
a
la preudre, de maniere que l'unani–
mité était presque acquise
a
la résolution de
marchcr sur la capitale de la France, bien que
plu ieurs officiers fort éclairés opposasscnt en–
core
a
cette marche téméraire l'autorité des
regles, ·qui enseignent qu'il ne faut ni aban–
donner le soin de ses communications, ni man–
quer le but par trop d'impaticnce d'y atteindre .
Toutefois, un événement extremcment favorable
a
l'opinion la plus hardie s'était passé dans la
journée. La cavalcrie de Wintzingerode, formant
l'avant-garde de Blucher, venait de se rencon–
trer pres de laMarne avec celle du cornte Pahlen,
appartenant au prince de Schwarzenberg. On
s'était félicité, réjoui de cette jonction, qui, du
reste, aurait. du s'opérer plus tót, car la batailJc
de Laon s'étant livrée les 9 et 10 mars, il était
étrange que Blucher n'eut pas suivi Napoléon
ou les maréchaux chargés de le remplacer sur
l'Aisne, et que le 25
il
füt encore
a
tatonner
entre l'Aisne et la Marne. Mais Blucher avait agi
comme les généraux qui ont plus de résolution
de caractere que d'esprit. 11 avait essayé de
prendre Reims, puis Soissons, avait longtemps
attendu quelques mille hommes du corps de
Bulow restés en arriere, enfin s'était décidé
a
pousser devant lui les maréchaux l\fortier et
Marmont, et avait rejoint la Marne par Chalons.
Quoi qu'il en soit, il arrivait avec 100 mille
hommes, et on en avait ainsi 200 mille pour
marcher sur París. Une tclle force faisait tomber
bien des objections tirées des regles de la guerre
étroitement entendues.
Daos cet état des choses, Je prince de Schwar–
zenberg se trouvant a,u chateau de Dampierre
avec l'empereur Alexandre pour
y
passer la
nuit, on apporta tout
a
coup des dépeches prises
sur un courrier de París, que la cavalerie légere
des alliés avait arreté. 11 y avait dans le chateau
de DampierFe le prince Wolkonski,
exer~ant
aupres d'Alexandre les fonctions de chef de son