PREl\IlERE ABDICATION. -
BIARS
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moi avoir évité un pareil éclat. Au fond ces
gens-la ne sont pas de· bonne foi. Si vous avicz
cédé, bientót ils auraient demandé davantage.
lis répandent partout qu'ils en veulent
a
moi et
non a Ja Francc. Mensonges r¡u e tout cela! lis
s'en prennent
a
moi parce qu'ils savent que seul
je puis sauver la France (ce qui était ' 'rai alors,
car cclui qui l'avait pcrdue pouvait seul Ja sau–
ver) ; mais au fond , c'est
a
fa
France et
a
sa
grandeur qu'ils en vculent. L'Angleterre con–
voite la Belgique pour la maison d'Orange; Ja
Prusse convoite Ja Meuse pour elle-meme ; l'Au–
lrichc désirerait nous óter l'Alsace et
la
Lorraine
pour en trafiquer avec Ja Bavicre et les princes
allemands. On veut nous détruire, ou nous
amoindrir jusqu'a nous réduire
a
rien. Eh bien,
rnon cher Caulaincourt,
il
vaut mieux mourirque
d'etre amoindris de Ja sorte. Nous sommes assez
·vieux soldats pour ne pas craindrc la mort. On
ne dira pas cette fois que c'est pour moa ambi–
tíon que je combats, car il me scrait aisé de
sauver le treme; mais le. tróne avec la France hu–
miliée, je n'en veux point. Voyez ces braves
paysans comme ils s'insurgent déja, et tuent des
Cosaques de toutes parts
!
Ils nous donnent
l'exemple, suivons-le. Croiriez-vous que ces mí-
.sérables du Conseil de r égence voulaient accepter
)'infame traité qu'on vous a proposé ? Ah! je lcur
ai prescrit de se taire et de se tenir trnnquill cs .
Ces pauvres paysans valcnt bien mieux que ces
gens de París. Vous aJlez assister, mon ch er Cnu–
Jaincourt, a de belles ehoses. J e vais marcher sur
les places, et raJlier 50 ou 40 mille hommes
d'ici
a
quelques jours. L'ennemi me suit évidem–
ment. On ne peut pas expJiquer autrement la
masse de cavalcric qui nous en toure. La bru sqne
npparition que j'ai faite sur ses derrieres a ra–
mené Schwarzenberg, et en apprenant qu e je
rnenace se communieations
il
n'osera pas se ri -
que1· sur Paris. J e vais avoir bientót 100 mille
hommes dans la main, je fondrai sur le plus
1·approché de moi , Blucher ou Schwarzenberg
n'importe, je l'écraserai , et les paysans de la
Bourgogoe l'ach everont. La coalition est aussi
pre de a perte que moi de la mienne, mon cher
Caulaincourt, et si je triomphc nous décb irerons
ces abominable traités. Si je me trompe, eh
bien, nous mourrons
!
nou ferons comme tant de
nos ieux compagnons d'armes font tous les
jours, mais nous mourrons apres avoir sauvé
uotre honneur. -
M. de Caulaincourt, qui au!ant que per onnc
était capablc de comprendre cet héro'ique Jan-
gage, se rappelait trop de fautes commises, trop
de refus bors de propos et que l'honneur ne com–
mandait point, pour n'etre pas mécontent et
froidement improbateur. Berthier, devant qui
se tenaient ces discours, était consterné.
11
était
frapp é comme Napoléon du tumulte qui se faisait
autour de l'armée, doutait comme lui que ce fUt
la un simple détachement, mais se demandait
d'autre part comment 200 miJle coalisés, pres–
que victorieux, pouvaient se laisser détourner de
París , cette grande proie qu'ils avaicnt sous la
main, pour suivre un e poignée d'hommes ha–
sardée sur Jeurs derriercs . 11 doutait, et, en une
si grave eirconstance, Je doute était une angoisse
douloureuse, car si l'ennemi ne suivait pas,
il
pouvait en quelqu es jours etre dans París. Ce
sentiment était général. Contenu devont Napo–
léon , il éclatait ailleurs en tres..:mauvais propos.
Quant
a
Napoléon lui-meme, sans exclure le
doute, il répétait toujours
a
M. de Caulaincourt:
Vous avez bien fait de revenir, je vous aurais
désavoué. Vous etes venu
a
temps pour assisler
a
de grandes choses. -
Toute cette énergie, admirable comme don de
Dieu , mais déplorable quand on songe que, si
mal cmployée, elle nous avait conduits au bord
d'un abime, ne se communiquait guere, et chacun
s'allendait d'un momcnt
a
l'autrc
a
un affreux
dénoument. Ce dénoumcnt approchait en effet ,
et l'heure fatale, hélas ! était ven ue. Les combi–
naisons m ilitaires de Napoléon étaient assuré–
ment bien profondes, rnais si sa situation mili–
tairc pouvait se rétablir
a
force de génic, il n'y
avait pas de génii:i qui put rétablir sa situation
politiqu e. Paris plein de terreur, plein de dégout
d'un tel r égime, régime glorieux mais sanglant,
ordonné mais despotique, Paris pouvait nu pre–
rnier eontaet d'un cnnemi qui se présentait en
libérateur, échapper
a
la
main de Napoléon, et
devenir le théatrc d'une révolution
!
Or,
il
suffi–
sait que les coalisés soupi;onnassent eette tdste
vérité, pour que négligeant les considérations de
prudence, ils songeassent
a
tenter sur París non
pas une opération miJitaire, mais une opération
politique, et aJors les plans de Napoléon de–
vaient etre déjoués, et son tróne, que sa pui -
santc main avait relevé deux ou lrois fois depui
un mois, dcvait enfin s'écroul r. On va -voir
combien les coalisés étaient pre de devi ncr Ja
redoutablc vérité, qui fai ait toute notre
fai–
blesse devaut les envabisscurs de notre patrie.
Le prince de Schwarzenberg n'avaí t pas trop
compris Je. mouvement de l'armée
fran~aise
sur