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LlVRE CINQUANTE-TROISIE!\'IE.
Arcis , et
il
faut avouer qu'a moins d'eLre dans
Je secret, il eut été difficile de le comprendrc.
Sa premiere supposition, et Ja plus naturelle,
avait été que Napoléon venait lui livrer bataille,
et ce prince s'était décidé
a
l'accepter
a
Arcis–
sur-Aube, comme Blucher a Craonne et
a
Laon.
Prévoyant une lutte sanglante de plusieursjours,
il était loin de s'en croire quitte le soir du 21.
Le 22, en voyant Napoléon s'éloigner,
il
avait
cherché a deviner quels pouvaient etre ses pro–
jets, avait passé l'Aube asa suite, et était venu
prendre position entre Ramerupt et Dampierre,
derriere un gros ruisseau qu'on appelle le Puits ,
la gauche a l'Aube, le front couvert par le Puits,
la droite daos la direction de Vitry. (Voir Ja
carte nº 62.) Il attendait la les nouvelles atla–
'lues de son adversaire, craigmrnt toujours de sa
part quelque manreuvre extraordinaire.
Mais Napoléon, ainsi qu'on vient de le voir,
ne songeait guere a l'attaquer, et lui préparait
effeetivement une manreuvre bien extraocdi–
naire, en se portant de l'Aube
a
la Marne, dans
Ja direétion de l\fetz. Le lendemain 25, pendant
que Napoléon s'arretait
a
Saiut-Dizier pour que
les corps formant sa queue eussent le temps de le
joindre par le gué de Frignicourt, la cavalerie
légere du prince de Schwarzenberg, qui suivait
ces corps
a
la piste, s'était aperc;ue de la marche
de l'armée
franc;ais~
et avait reconnu clairement
qu'elle se dirigeait sur Vitry. L'intention de Na–
poléon ne laissait des lors plus de doute, et
il
voulait évidemment manreuvrer sur les commu–
nications des alliés. Que faire en présence d'une
situation si nouvelle? Fallait-il suivre Napoléon
vers la Lorraine, ou bien tendre Ja main
a
Blu–
cher qui ne pouvait etrc éloigné, et, uni
a
ce
dernier, marcher sur París,
a
la tete de 200 mille
hommes? La question était grave, J'une des plus
graves que les chefs d'empire et les chefs d'armée
aient jamais eu
a
résoudre.
A se conduire militairement, dans le sens le
plus étroit du mot,
i1
ne fallait pas livrer ses
communications; il fallait au contraire veiller
sur elles avec d'autant plus de soin qu'on avait
affaire
a
un ennemi plus redoutable et plus au–
dacieux. Puisqu'il les menac;ait en ce moment,
on devait le suivre, le suivre en compagnie de
Blucher, et en finir avec lui avant d'aller re–
cueillir a París le prix de la guerre. Sans
doute, il y avait quelques avantages a marcher
sur Paris, et, notamment, celui d'abréger la
lutte; pourtant si on était arreté devant cette
capitale par une résistance, non-seulement mi-
Iitaire, mais populaire, et s'il arrivait qu'on füt
retenu quelques jours sous ses murs, on pouvait,
pendant qu'on serait occupé a se battre contre
la tete barricadée des faubourgs, etre assailli en
queuc par Napoléon revenu avec une armée de
100 mille hommes, et se trouver daos une posi–
tion des plus périlleuses.
Ces raisons étaient du plus grand poids, et
auraient meme été décisives, si la situation eút
été ordinaire, et si on avait été exposé
a
ren–
contrcr devant París la résistance que l'impor–
tanee de cette ville, le patriotisme et le courage
de son peuple devaient faire craindre. l\1ais la
situation, était telle qu'il n'y avait rien de plus
douleux que cette résistance. Bien qu'on n'eut
rec;u qu'une seule communication de l'intérieur,
celle qu'avait apportée
l\L
de Vitrolles, et que
jusqu'ici aucune manifestation n'eút démon–
tré la vérité de cette communication, qu'au
contraire, les paysans commenc;assent
a
pr~ndre
les armes daos les provinces envahies, on avait
pu reconnaitre a plus d'un symptóme que si
M. de Vitrolles exagérait les choses en peignant
la France comme désirant ardemment les Bour–
bons, il avait ráison toutefois quand
il
soute–
nait qu'elle ne voulait plus de la guerre, de la
conscription, des préfets impériaux, et que des .
qu'on lui fournirait l'occasion de fairé éclater
ses véritables sentimenls, elle se prononcerait
contre un gouvernement qui , apres avoir porté
la guerre jusqu'a Moscou, l'avait ramenée au–
jourd'hui jusqu'aux portes de Paris.
ll
y avait
un personnage beaucoup plus écouté que M. de
Vit.rolles, c'était le _comte Pozzo di Borgo, revenu
de Londres, lequel, ayant acquis sur les alliés
une influence proportionnée a son esprit, ne se
lassait pas de leur répéter qu'il fallait marcher
sur París. - Le but de la guerre, disait-il, est
~1
Paris. Tant que vous songez
a
livrer des ba–
tailles, vous courez la chance d'etre battus,
parce que Napoléon les livrera toujours mieux
que vous , et que son armée, meme mécontente,
mais soutenue par le sentiment de l'honneur, se
fera luer
a
coté de lui jusqu'au dernier hommc.
Tout ruiné qu'est ·son pouvoir militaire,
il
est
grand, tres-grand encore, et, son génie aidant,
plus grand que Je vótre. Mais son pouvoir poli–
tique est détruit. Les temps sont changés. Le
dcspotisme militaire accueilli comme un bienfait
au lendcmain de Ja révolution, mais condamné
depuis par le résultat,
~st
perdu dans les esprits.
Si vous donnez naissance
a
une manifestation,
elle sera prompte, générale, irrésistible, et Napo-