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LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.
Le général et le préfet, qui avaient tout au plus
1,200 hoJ1:\mes, se retirerent sur la Dordogne,
et les royalistes de Bordeaux, secondés par les
commerc;ants impatients d'obtenir l'ouverture des
mers, demanderent
a
grands cris le rétablisse–
ment des Bourbons. Le duc d'Angouleme accourut
alors, et on proclama la restauration de l'ancienne
dynastie en face des Angla is qui ne faisaient rien,
n'empechaient ríen, se contentant de répéter que
les questions de gouvernement intérieur leur
étaient étrangeres, qu'ils n'étaient chargés que
d'une seule mission, celle d'assurer l'existence de
leurs troupes el de garantir Ja sureté eles popula–
tions qui se eonfieraient
h
leur loyaulé. Le mairc
de Bordeaux, !e comteLynch, se mettant
a
Ja tele
<lu mouvement,
fit
une proclama tion da ns laquelle
il
annorn;ait le rétablissement des Bourbons, et
semblait dire que c'était pour rendre
a
la France
ses princes légitimcs que les puissances alliées
avaient pris les armes. Lord Wellington, fidele a
ses instructions comme
a
une consigne militaire,
écrivit au duc d'Angouleme pour réclamercontre
la
proclamation du maire de Bordeaux, et pour
déclarer que le renversement d'une dynastie, le
rétablissement d'une autre, n'étaient nullement
le but des puissances alliées, et qu'il serait obligé
de s'en expliquer lui -meme devant le public, si
on ne revenait pas sur l'assertion qu'on s'était
permise.
C'était pousser le scrupule des npparenccs un
peu loin, lorsque, au fond , on ne voulait que ce
qu'avait annoncé le maire de Bordeaux. Quoi
qu'il en soit, il n'en était pas moins vrai que
l'ennemi , profitant d'une fausse manreuvre du
maréchal Soult, était entré dans Bordeaux laissé
ouvert, et y avait fourni aux royalistes l'oc–
casion facile de proclamer la restauration des
Bourbons dans Je midi de la France. L'exemple
était d'une extreme gravité, et pouvait susci–
ter des imitateurs. Il semble meme, pour nous
qui raisonnons cinquante ans apres l'événement,
qu'il aurait du servir d'avertissement
a
Napo–
Iéon, et le fixer irrévocablement autour de París.
l\fais, outre que Napoléon ne savait pas au j uste
a quel point
il
s'était aliéné les creurs par son
systeme de guerre continue, il était dominé par
l'impossibilité de disputer plus longtemps París
sous París, et par la nécessité d'aller chercher a
Ja frontiere ses dernieres ressources. Au surplus,
avant meme d'exécuter ce mouvement,
il
avait
résolu, comme on vient de le voir, de porter un
eoup violent dans le flanc du prince de Schwar–
zenberg, afin de l'attirer
a
lui, ou de le retarder
au
moins
dans sa marche sur la capitule. C'était
le
motif
de Ja direction qu'il avait donuée
a
ses
troupes vers la Fcre-Champenoise. Ily étaitarrivé
le
18
au soir, et, chemin faisant, Ja cavalerie de
la garde ayant rencontré les Cosaques de Kaisa–
row, les avait taillés en pieces et rejetés sur Ja
Seine. On avait bivaqué a Ja Fere-Champenoisc
et dans la campagne environnante.
Le lendemain 19, Napoléon, apres avoir déli–
béré
s'il
marcherait sur Areis ou sur Plancy (voir
la carte nº 62),se dirigea vers ce dernier point,
parce que tous les rapports lui représentant le
prince de Schwarzenberg comme déja parvenu
a
Provins,
il
croyait, en se portant plus pres
de Provins, avoir plus de chance de tomber au
milieu des eolonnes tres-peu concentrées de
l'armée de Boheme.
Toutefois, en raisonnant ainsi, Napoléon n'é–
tait pas complétement informé des derniers
mouvements de l'ennemi. Encouragé par les
événemenls de Craonne et de Laon , le prince de
Schwarzenberg avait d'abord poussé une avan t–
garde jusqu'a Pl'Ovins, sans etre bien décidé
a
tenter quelque chose de décisif, car, outre sa
prudcnce ordinaire, il avait, pour le rctenir, un
acces de goutte.
l\f
ais aussitót qu'il avait appris
le combat de Reims, il avait redouté <J:Uelque
nouvelle entreprisc de Napoléon, et il s'était
emprcssé de revenir a Nogent. De plus, l'empe–
reur Alexandre, inquiet d'apprendre qu'il se
trouvait des troupes franvaises
a
Cbalons (on a
vu que le corps de Ney s'était dirigé sur eettc
vil!e), avait eraint que Napoléon, serabattant de
Chalons sur Areis, ne les prit tous
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revers, et
de Troyes il était alié en toute bate porter ses
craintes au prince de Schwarzenberg, dont le
quartier général était entre Nogent et Méry. Le
généralissime autrichien, ordinairement moins
hardi dans ses projets que l'empereurAlexandre,
était cependant moins facile
a
troubler; et sans
etre aussi convaineu du péril que le monarque
russe, il avait dans la journée du 18 rappelé sur
Tr oyes ses corps trop dispersés, avec l'intention
de les concentrer
a
Bar-sur-Aube, afin de ne pas
r ester exposé
a
un mouvement de ílanc de son
redoutable adversaire.
Ainsi le 19, tandis que Napoléon
a
la tete de
sa eavalerie s'avanvait au galop sur Plancy, le
maréchal de Wrede qui avait été laissé
a
Ja
garde de l'Aube et de la Seine, entre Areis,
Plancy et Anglure, était en retraile sur Arcis.
(Voir la carte nº 62.) Le corps de vVittgen–
stein (devenu corps de Rajeffsky), ceux du