462
LIVRE CINQUANTE-TROISIEME.
terre conservat Malte et la plupart·. de ses
acquisitions. Mais cette énumération précise des
concessions faites par la France impliquait na–
turellement qu'elle entendait garder le Rhin et
les Alpes, c'est-a-dire Anvers, Cologne, Mayence,
Chambéry, Nice, puisqu'elle ne déclarait pas les
abandonner.
Cette fois l\f. de Caulaincourt ne fut point in–
terrompu par les plénipotentiaires, car
il
avait
rempli la condition de présenter un contre–
projet, et
il
fut écouté avec un froid silence,
mais sans étonnement. La lecture du docu–
ment
a
peine acbevée, les plénipotentiaires se
leverent, et, apres avoir donné acte de la remise
de notre contre-projet, et annoncé qu'ils allaient
l'envoyer au quartier général des souverains,
déclarerent qu'on pouvait regarder la négocia–
tion comme définitivement rompue, et que sous
quarante-huit heures ils quitteraient Cbatillon.
Les Anglais, et notamment lord Aberdeen, qui
dans les formes avaient toujours observé les
convenances, répéterent
a
M. de Caulaincourt
qu'ils regrettaient infiniment qu'on n'cut pas
conclu
la
paix au'X. conditions par eux énoncées,
car on aurait fait cesser l'effusion du sang qui
désormais allait ctre saos terme, qu'a ces condi–
tions on aurait traité de bonne foi avec Napo–
léon, qu'on l'aurait meme reconnu comme em–
pereur, ce que l'Angleterre n'avait jamais fait .
Ces déclarations , empreintes de la plus évidente
sincérité, désolerent M. de Caulaincourt, qui
n'ayant pas pu sauver la grandeur de l'Empire,
aurait voulu sauver au moinsl'Empire lui-meme 1
Ce citoyen éminent, qui avait représenté la
France apres Iéna et Friedland, et avait été
comblé alors des caresses del'Europe tremblante,
était, dans sa douleur qu'il ne savait pas assez
cacher, un exemple frappant des vicissitudes de
la fortune, un exemple que les plénipotentiaires
n'auraient pas dtl envisager saos une vive crainte.
.iUais les diplomates ne sont pas plus philosophes
que les autres hommes, et le présent les enivre,
eux aussi, jusqu'a leur faire oublier le passé et
l'avenir
!
Le contre-projet, remis le
1
!'.)
mars, devait re–
cevoir sa réponse au plus tard sous deux jours,
c'est-a-dire le
17'
et le
congr~s
devait etre dis–
sous le
18.
l\L de Caulaincourt le manda sur-le–
champ a Napoléon a Reims.
Napoléon le prévoyait, et en avait pris son
parti. Arrivé a Reims le
15
au soir, il avait ré–
solu d'y passer le
14,
le
rn,
le 16, peut-étre
le
17,
afin de laisser reposer ses troupes, de
fondre les uns dans les autres certains corps
organisés a Paris trop a la hate, et·de bien juger
la marche des coalisés avant d'arréter définitive–
ment la sienne. Bien que son second mouve–
ment contre l'armée de Silésie n'eut pas réussi
comme le premier, bien qu'il eut été trompé
dans ses espérances par la perte de Soissons, et
par le r ésultat des hatailles de Craonne et de
Laon, néanmoins Blucher avait été fort mal–
traité, et le prince de Schwarzenberg, quoique
revenu de l'Aube sur la Seine, n'avait pas, osé
se porter au dela de Nogent. Ce prince parais–
sait attendre pour faire un pas de plus que Napo–
léon révélat mieux ses desseins. Enfin le combat
de Reims, faible dédommagement de cruelles
déceptions, avait cependant produit une forte
impression sur les coalisés. Napoléon ne se tc–
nait done pas encorc pour vaincu, et
il
atten–
dait toujours quelque faux mouvement de ses
advcrsaires pour tomber sur eux avec la promp–
titude de
la
foudre.
Le plan qu'il continuait de préférer a tout
autre, était de se rapprocher de ses places pour
en recueillir les garnisons, et pour s'établir sur
les communications des généraux ennemis. 11
était fort encouragé a suivre ce plan par l'arri–
vée a Reims du général Janssens avec
!>a
6 mille
hommes, tirés des places des Ardennes, lesquels,
réunis en un corps bien compacte, avaient traversé
heureusement les provinces envahies. Napoléon
avait déja, comme on l'a vu, ordonné au général
Maison de prcndre a Lille,
a
Valenc·iennes, a
Mons, dans les forteresses enfin de la Belgique,
tout ce qui ne serait pas indispensable pour en
garder les murailles pendant quelques jours,
d'en former une petite armée, et de le joindre
a
ce qui viendrait d'Anvers. Il avait prescrit
a
Carnot, qui tenait toujours les Anglais en échec
devant Anvers, de n'y conserver que les gens de
marine, les bataillons les plus récemmcnt orga–
nisés, et d'envoyer les meilleurs au nombre d'en–
viron 6 mille hommes au général .l\1aison. 11
avait encore prescrit au général Merle de sortir
· de Maestricht et des places de la Meuse, aux gé–
néraux Durutte et Morand de sortir de Metz et
de :Mayence (ordres qui étaient parvenus et
allaient s'exécuter), et il comptait ainsi tirer des
places , dcpuis Anvers jusqu'a l\Iayence, environ
oO
mille hommes. 11 n'avait pas besoin d'aller
a
l\1ayence ou Metz pour recueillir ces divers déta–
chements; un simple mouvement sur la haute
Marne par Chalons, Vitry, Joinville, mouve–
mcnt qui ne l'éloignait pas beaucoup du cercle