PREMIERE
ABDICATION. -
DIARS
18i4.
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Sa Majesté Impériale, qui seule avait le secret
des affaires, qui seule· pouvait p.rononcer en
connaissance de cause, inclinait a accepter les
anciennes frontieres plutot que de courir de nou–
veaux hasards, le Conseil étaít d'avis que l'hon–
neur de l'Empereur le permettait, car son hon–
neur véritable c'était l'intéret de la France, et
l'intéret de la France c'était Ja paix immédiate. -
Certcs. l'intéret de la France c'était la paix,
mais c'était son intéret unan,
deu~
ans, six ans
plus tot, et c'est alors qu'il aurait fallu le dire.
Aujourd'hui , a continuer la guerre, il n'y avait
de danger que pour la dynastie, car assurément
on ne ferait la France sous les Bourbons ni plus
petite, ni plus dénuée d'influence que ne le vou–
laient les plénipotentiaires ,de Chatillon ;
il
est
meme certain que, dans le soin qu'on apportait
a l'affaiblir, la crainte de Napoléon entrait pour
beaucoup, et qu'avec les Bourbons on cherche–
rait ii;ifiniment moins a réduirc sa puissance na–
turelle et séculaire. Les choses en étant a ce
point,
il
n'y avait pas grand péril a risquer en–
core quelques batailles, pour amener peut-etre
une transaction entre les anoiennes et les nou–
velles frontieres , pour avoir l\fayence en sacrifiant
Anvers. Un seul homme, il faut le nommer,
M. de Cessac, vota pour qu'on ne souscrivít pas
aux propositions de Chatillon. Du reste, meme
dans ce moment supreme, ce fut
d~
la part des
membres du Conseil de régence un concours de
soumission inou'i. Les plus hardis énoni;aient
d'un ton un peu plus rogue -les memes bassesses.
- La paix, la guerre, comrne l'Empereur vou–
drait l... - Tel était leur unique avis, en lais–
sant voir cependant que si par hasard l'Empereur
préférait la paix, c'était bien la ce qu'ils dési–
raient tous
1 •
Napoléon a:vait toujours manifesté un extreme
dédain pour les réunions nombreuses ou l'on
devait traiter de guerre ou de politique, parce
qu'en eífet
il
y avait trouvé les hommes lels que
les fait Je despotisme, la plupart ayant peu d'opi–
nion, quelques-uns seulement capables de s'en
faireune, et parmi ces derniers les uns cherchant
la pensée du maitre pour y conformer la leur,
les autres contredisant par mauvais caractere ou
par mécontentement. Ce Conseil , si Napoléon
avait pu y assister, aurait bien justifié son sen–
timent, et révéfé les conséquences du régime
sous lequel il avait fait succomber la France, et
1
Le proees-verbal de ce cqnseil exisle avee !'avis de cha–
cua, et si jamais
il
esL publié oa verra que aous n'exagérons
riea.
sous lequel il allait succ9m1,Jer lui-meme. Au
surplus
il
cut été fort déc;u , car c'était une ex–
plosion d'indignation patriotique qu'il avait voulu
provoquer, et on lui envoyait au contraire une
humble et tremblante supplication pour la paix,
écrite entre deux peurs : peur de luí, peur de
l'ennemi.
Mais l'humilité qu'on avait montrée devant son
épouse, devant son frere et son fidele archichan–
celier Cambacéres, on la dépouillait hors de la
présence de ces témoins redoutés, et on tenait
partout ailleurs un langage bien différent. De la
soumission on passait ,brusquement a une véri–
table fureur contre son entetcmcnt. -
Cet
homme est fou
!
était le propos qu'on entendait
dans toutes les bouches.
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'nousfera tous tuer,
disaient des gens qui n'avaient jamais paru sur
un champ de bataille. Parmi les hommes ·parti–
culierement attachés a Joseph, et en général
c'étaient des employés militaires ou civils qui
étaient allés chercher
a
Madrid la faveur qu'ils
ne trouvaient point
a
París, on commenc;ait
a
insinuer qu'il fallait remettre dans les mains de
Joseph le pouvoir de sauver la France. Ces amis
de Joseph, fort rµaltraités par Napoléon qui le-s
accusait d'etre la cause de nos malheurs en Es–
pagne, lui payaient ses mauvais traitements en
mauvais propos, et disaient qu'il falla it procla–
mer une régence, en donncr la présidence
a
Joseph, avec Jeque! l'Europe trailerait plus vo–
lontiers qu'avec Napoléon. Ils prétendaient que
ce serait une maniere adroite de dégager l'or–
gueil des souverains coalisés, comme celui <le
Napoléon lui-meme, et de tirer la France des
mains d'un génie qui n'était propre qu'a la
guerre, pour la remettre dans les mains d'un
génie essentiellement propre a la paix. C'était
vouloir tout simplement faire abdiquer Napoléon
au profit de Joseph. Aussi n'étaient-ce que les
plus téméraires, e'est-a-dirc les plus mécontents,
qui osaient tenir ce langage. Ceux qui se bor–
naient
a
vouloir mettrc un terme prochain
a
la
guerre, sans songer
a
porter la main sur le trone,
se contentaient de dire qu'il faudraít, en réponse
a l'espece de
con~ultation
provoquée par Napo–
léon, lui envoyer une adresse dans laquelle on
lui demanderait la paix en termes formels.
Les choses furent poussées au point que Jo–
seph, entrant dans la pensée de ceux qui vou–
laient faciliter la paix
a
son frere au moyen d'une
manifestation pacifique, imagina de consulter
M. l\'leneval, dont la fidélité était inaltérable, et
le chargea d'écrire au quartier général, pour
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