Table of Contents Table of Contents
Previous Page  458 / 616 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 458 / 616 Next Page
Page Background

448

LIVRE CINQUANTE-TROISIEl\fE.

vicissitudes de la bataille, cnvoie Grouchy avec

Je reste de la cavalcric, pour remplir le vide qui

vient de se former dans sa lignc de bataille, et

tcndre un voile qui, cachant la scenc

a

nos

fuyards, lcur permetlc de recouvrcr leur pré–

senc~

d'esprit. Grouchy arrivc, occupc la place,

et va charger, quand un coup de feu Je renverse

de cheval. Privéc <le son chef, notre cavalcrie

dcmeure immobile. Elle protége pourtant le ral–

Jiemcnt de l'infanterie de Ney. Vers notre droilc

Víctor

a

la tete des divisions Boyer et Charpen–

lier, persiste

a

se soutenir

a

la lisiere du bois

d'Ailles. Blessé grievement, il estremplacé par le.

géuéral Charpentier. Napoléon, craignant que

ses ailes qui ont de Ja peine

a

se maintenir au

bord du plateau ne fini ssent par céder, fait avan–

cer une division de la vieillc garde pour se dé–

ploycr entre elles . Ces vieux soldats se portcnt

d'un pas

~ésolu

entre nos deux ailes, tandis qu'au

meme instant arrivent quatre-vingts bouches

a

fcu, bien longtemps attendues. Notre infériorité

en artillerie cesse enfin, et

il

est temps, car les

canons de Drouot sont presque tous démontés.

Ces quatre-vingts pieces, mises en batteric entre

les troupes de Ney et celles de Víctor, vomissent

bientót des torrents de feu sur les Russes, et Jeur

font essuyer des pertes crueJJes. L'infanterie de

Sackcn e.t de

·w

oronzoff, apres avoir tenu quelque

temps, cede

a

son tour sous les décharges répé–

tées de la mitraille. Elle recule et nons abandonne

le terrain. Alors de notre gauche

a

notre droite

on s'ébranle pour la suivre. Les troupes de Victor,

faisant un dernier effort, s'emparent du víllage

d'Ailles, et prennent définitivement leur place

a

la droitc de l'armée. Les troupes de Ney ne res–

tent point en arrierc, et notre ligne entiere

s'avance des lors en parcouran t le sommet du

plateau qui tantót s'élargit, tantót se resserre, et

refoule l'infaoteric de Sacken et de Woronzoff

sur celle de Langeroo. La cavalerie r usse s'ef–

force en vain de charger pour couvrir cette rc–

traite; nos chasseurs et nos grenadiers

a

cheval

se précipitent sur elle et la repoussent. Réfugiée

derrierc son infanterie, elle se reforme, et essaye

de revenir

a

la charge. Nos dragoos Ja culbutent

de nouveau. On parcourt ainsi d'un pas victo–

rieux le sommet du plateau, la gauche a l'Aisoe,

la droite a la Lette, dominant de quelques cen–

taines de pied le lit de ces deux rivieres, et pous–

sant devant soi les

?:SO

mille hommes de Sacken,

de 'Voronzoff, de Langeron. On les mene de Ja

orte pendant deux licues, c'est-a-dire jusqu'a

Filnin t comme ils

parain~nt

en cet endroit

vouloir descendre dans la vallée de la Lette,

nolre gauehe, portée en avant par un rapide

mouvcmentde conversion , les

y

pousse brusque–

ment. Notre artillerie, se dédommageant de sa

tardive arr.ivée, les suit au hord de Ja vallée, et

les couvre de mitraille, jusqu'a ce qu'ils aient

lrouvé un abri daos l'enfoncement boisé- du lit

de la Lette.

La nuit approchait, et rien

n'a nnon~ait

que

nous eussions

a

craindre quelque effort de l'en–

nemi sur nos flanes ou sur nos derrieres. En

effet, celte irruption des quinze mille cavaliers

de Wintzingerode, dont Napoléon ignorait le

projet, mais dont il avait admis

la

possibili-té, et

contre laquelle il avait pris ses précautions en

laissant une division de vieille garde et le corps

de Marmont au pied des hauteurs de Craonnc, ne

s'était pas encore exécutée, mcme a la fin du

jour. l\falgré les instances de Blucher, qui atta–

chait beaucoup de prix a eette combinaison , Ja

cavalerie de Wintzingerode, engagée dans la

val'lée de la Lette, au milieu d'un pays fourré et

marécageux, embarrassant l'infanterie de Kleist

ct.embarrassée par elle, n'était parvenue

a

Fes–

ticux que tres-tard, et n'avnit plus osé, l'hcure

étant fort avancée, tenter une entreprise qui

pouvait avoir ses dangers aussi bien que ses

avantages . Blucher avait done été obligé de s'en

tcnir pour la journée a la perte du platcau de

Craonne.

Telle avait été cetle sanglante bataille de

Craonne, eonsistant dans la conquete d'un pla–

teau élevé, défendu par einquante mille hommes

et une nombreuse artillerie, et attaqué par trent e

mille avec une artillerie insuffisante. La ténacilé

d'un cóté, la fougue de l'autre, avaient été admi–

rab_les, et chez nous, les divisions Boyer et Char–

pentier avaientjoint

a

la fougue une rarc patience

sous le feu. Ney avait été, comme toujours, 1'un

des héros de la journée. Les Russes avaient

perdu 6 a 7 mille hommes, et on ne sera pas

étonné d'apprcndre que, débouchant sous un

feu épouvantable, nous en eussioos perdu 7

a

8 mille. La différencc

a

notre désavantage eut

meme été plus grande, si notre artillerie, r etar–

dée non par sa faÚte mais par la distance, n'était

venue

a

la fin compenser par ses ravages ceux

que nous avions soufferts. Apres ce noble effort

de nolre armée, pouvions-nous Je lendcmain en

Lirer d'utiles conséquences? le sang de nos braves

soldats aurait-il du moins coulé fructueuscmcnt

pour la Franee? Telle était la question qui allait

se résoudre dans les quarante-huit heurcs, et