PREMIERE
ABDICATION. -
MARS
18i4.
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de Blucher le danger s'était tout
a
coup détourné
sur la sienne. Blucher en effet venait d'acquérir
une force de
100
mille hommes, et l'Aisne, qui
devait etre sa perte, était devenue son bouclier.
Quant a nous, il nous fallait, ou passer l'Aisne
avec
50
mille hommes devant
100
mille, ce qui
était une grande témérité, ou nous en éloigner
pour revenir sur la Seine, sans savoir qu'y faire,
car comment se présenter devant l'armée de
Boheme sans avoir vaincu l'armée de Silésie ?
On comprendra done que Napoléon écrivit la
lettre suivante au ministre de la guerre :
" Fismes,
¡¡
mars 1814.
«
L'ennemi était daos le plus grand embar–
" ras, et nous espérions aujourd'hui recueillir
u
le fruit de_quelques jours de fatigue, lorsque
u
la trahison ou la betise du comrnandant de
u
Soissons leur a livré cette place.
" Le 5, a midi, il est sorti avec les honneurs
u
de la guerre, et a emmené quatre pieces de
" canon. Faites arreter ce misérable ainsi que
" les membres du conseil de défense; faites-les
" traduire par-devant une commission militaire
<t
composée de généraux, et, pour Dieu, faites
u
en sorte qu'ils soient fusillés dans les vingt–
u
quatre h eures sur la place de Greve
!
JI
est
et
temps de faire des exemples. Que la sentence
«
soit bien motivée, imprimée, affichée et en–
u
voyée partout. J'en suis réduit a jeter un pont
et
de chevalets sur l'Aisne, cela me fera perdre
" trente-six heures et me donne toute espece
d'embarras. ,,
·
Et cependant Napoléon ne connaissait qu'une
partie de la vérité, car il ignorait que Blucher
venait d'acquérir une force douhle de la sienne.
Ce qu'il savait, c'est queB!ucher lui avaitéchappé,
et que pour l'atteindre
iI
était obligé de le suivre
au dela de l'Aisne. Le malheur était déja bien
assez grand, et de naturP. a déconcerter tout
autre que lui. Si, apres une pareille déconvenue,
Napoléon eut été embarrassé, et eut perdu un
jour ou deux
J:i
chercher un nouveau plan, on
pourrait ne pas s'en étonner en voyant ce qui ar-
1
ni.
le général Koch dit, chapitreXIV
:«
L'empe1·eur, dont
»
Je plan élait déjoué par un événemenl aussi inattendu,
" demeura un jour enlier dans l'incertilude, et laissa percer
" son embarras pai· la nalu1·e des opéralions divergentes et
»
hardies qu'il entreprit
»
C'est une erreur fort excusable
pou1· qui n'a Ju ni les ordres ni la correspondance de Napo–
léon. JI élait assurément fort
dé~u,
mais point déconcerlé,
comme on va le voir, el il ordonna, sons une heure de temps
perdu, les nouvelles dispositions qu'exigeaiL la circonstancc.
rive
a
Ja plupart des généraux
1
•
11 n'en fut ríen
pourtant. Bien que Blueher cut pour lui l'Aisne
qu'il avait d'abord contre Jui, bien qu'il fUt ren–
forcé dans une proportion ignorée de nous, mais
considérable,Napoléon ne renom;a pasa le pour–
suivre, pour tacher de le saisir corps
a
corps, car
il
lui était impossible, sans l'avoir battu, de re–
venir sur Schwarzenberg. Bientót en effet il se
serait trouvé pris en tre Blucher le suivant
a
la
piste, et Schwarzenberg victorieux des maré–
chaux qu'on avait laissés a la garde de l'Aube,
posilion affreuse et tout a fait insoutenable. Il
fallait done a tout prix, dtit-on y suceomber, car
on succomberait plus certainement en ne le fai –
sant pas, il fallait aller chercher Blucher au dela
de l'Aisne, et l'y aller chercher sur-le-charnp ,
avant que l'ennemi songeat
a
rendre impratica–
bles les passages de cctte riviere. Napoléon
donna ses ordres le
;>
au matin, aussitót apres
avoir rec;u la nouvelle qui le désolait.
Dans la nuit, Napoléon avait envoyé le géné–
ral Corbineau a Reims, afin de s'emparerde cette
communication importante avcc les Ardennes,
et pour y ramasser tout ce que Winlzingerode
avait du laisser en arriere. Voulant s'assurer le
passagc de l'Aisnc, ce qui était l'objet essentiel
du momcnt,
il
avait dirigé le général Nansouty
avec la cavalerie de la garde sur le pontdeBerry–
au-Bac, qui était un pont en pierre, et sur Jeque!
passait la grande route de Reims a Laon. (Voir
la car'le nº 64.)
JI
avait ordonné aussi que l'on
envoyat un détachement de cavalerie sur Maisy,
situé a notre gauche, pour y jeter un pont de
chevalets, et prescrit en meme ternps au maré–
ehal l\Iortier de se rendre sans délai
a
Braisne,
pour aller préparer d'aulres moyens de passage
a
Pontarcy. Son intention était d'avoir trois
ponts sur l'Aisne, afin de n'etre pas obligé de
déboucher par un seul en face de Blucher, ce
qui pouvait rendre l'opération impossible. Sans
doute, si Ja vigilance de l'enncmi ef1t égalé la
sienne, on aurait trouvé les cent mille hommes
de l'armée de Silésie derriere les points présu–
més de passage, et ce n'est pas avee cinquante
mille soldats, quelque bravcs qu'ils fussent, qu'on
Ce qui a causé l'crreur de 111. le général Koch, c'est qn'il sup–
pose que la reddition de Soissons ayant cu lieu le 3, Napoléon
dul la savoir le 4,
a
cause de la proximilé. lllais la corrcs–
pondancc prouve que Napoléon ne la sut que le 5 au malin,
parce que les marécbaux Morlier el l\larmont ne la connurent
que le 4 au soir. Or tous les ordres
ti<;
passage de l'Aisne
sont du 5 au malin. 11 n'y cut done ni hésitalion ni temps
perdu, el en pareille circonslancc, il y a ccrlainemenl de
quoi s'en élonuer.
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