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LIVRE CINQUANTE-'fROISIE.l'tfE.
ministres, examinat les propositions de Chatil–
lon, et en donnat son avis. 11 se flattait que chez
tous les membres du conseil le sentiment serait
celui de l'indignation.
Ay:rnt expédié ces affaires si diverses et si gra–
ves, Napoléon partit de Troyes bien secretement,
le 27 février au matin, franchit l'Auhe a Arcis,
et suivant de pres ses colonnes, vint coucher
a
Herhisse, chez un pauvre curé de campagne, qui
n'avait a lui offrir qu'un modeste presbytere,
mais qui l'offrit cordialement, tanta luí qu'a son
nombreux état-major. Apres un repas frugal et
gai on passa la nuit sur des chaises, des tables oü
de la paille, comptant que cette nouvelle course
sur les derriéres de Blucher serait aussi fructueuse
que
Ja
précédente. Tout le faisait espérer, et Napo–
léon sans présomption pouvait se le promettre.
Le lendemain 28 février, il continua sa marche.
JI
avait a choisir e.ntre deux partís, ou de suivre
Blucher par Sézanne et la Ferté-sous-Jouarre
sur Meaux(voirla carte n° 62), ou de se porter di–
rectement par la Fcre-Champenoisc sur Chateau–
Thierry. En adoptant cette derniere direction,
il avait l'avanlage de se placer sur les plus im–
portantes communications de Blucher, de ma–
niere a le couper a la fois de Chalons et de Sois–
sons, et
a
le séparer de Bulow et de Wintzin–
gerode. :Mais il y avait dans cette maniere d'opérer
plus d'un danger, c'était de laisser les maréchaux
Marmont et Mortier trop longtemps aux prises
avec Blucher devant Meaux, de Jivrer
a
celui-ci
la principale route de París, et enfin de luí four–
nir une ligne de retraite qui vaJait bien cellc de
Chalons ou de Soissons, nous voulons parJer de
celle de Meaux a Provins, qui Jui permettrait de
se replicr en cas de péril sur le prince de Schwar–
zenberg. Suivre Blucher tout simplemcnt par
Sézanne, la Ferté-Gaucher et Ja Ferté-sous–
Jouarre, était done le parti le plus sur, soit pour
lui enlever la grande route de Paris, soit pour
secourir plus promptement les deux maréchaux,
soit cnfin pour lui infliger un traitement assez
semblable a ceJui qu'on lui avait fait essuyer
a
Montmirail et
a
Champaubert, car s'il voulait
gagner la Seine pour rejoindre le prince de
Schwarzenberg, on l'y précéderait; s'il se jetait
derriere la l\'Iarne pour s'en couvrir, on !'y sui–
vrait, et on l'enfermerait entre la l\'Iarne et
l'Aisne, sans lui laisser aucun moyen d'en sortir,
des précautions ayant été prises pour la conser–
vation de Soissons. Ainsi Napoléon, en exécutant
une manoouvre hardie, choisit en meme temps
la direction la plus sure, car
il
avait l'art supréme
de garder dans la hardiesse la mesure qui ·1a
séparait de l'imprudence, d'etre en un mot auda–
cieux et sage. Malheureusement, ce n'était qu'a
la guerre qu'il savait allicr ces contraires.
Il marcha done le 28 au matin avec ses 55 mille
hommes par Sézanne sur la Ferté-Gaucher et la
Ferté-sous-Jouarre. Quelque diligence qu'il mit
a
franchir les distances,
iJ
ne put arriver
a
la
Ferté-Gaucher daos la journée, et passa la nuit
entre Sézanne et Ja Ferté-Gaucher. Le lendemain,
·f er
mars,
il
alla coucher
a
Jouarre, et le 2, de
tres-grand matin,
il
parvint a la Ferté-sous–
Jouarre. Pendant la marche de Napoléon sur la
Marne, Blucher qui avait fini par entrevoir le
danger de sa position, n'avait pas déployé pour
s'en tirer la célérité que conseillait la plus simple
prudence. Il avait d'abord voulu mettre la Marne
entre Napoléon et lui, avait passé cette riviere a
la Ferté-sous-Jouarre dont il était resté maitre
depuis la retraite de Marmont et de Mortier,
avait détruit le pont de cette ville, et était venu
s'établlr le long de l'Ourcq, pour essayer de for–
eer la position des deux maréchaux, pendant
que Napoléon, contenu par la Marne, serait
obligé de le regarder faire. C'était la une grande
imprudence, car la l\Iarne ne pouvait pas arreter
Napoléon plus de trente-six heures, et si, pour
des tentativos infructueuses, Blucher se laissait
attarder sur les bords de l'Ourcq,
il
s'exposait
a
etre pris a revers, et acculé entre la Marne et
l'Aisne dans un véritable coupe-gorge. Les cho–
ses s'étaient en effet passées de la sorte, et tandis
que Napoléon
s'avan~ait
en toute bate, Blucher
perdait le temps en vains efforts contre la ligne
de l'Ourcq. Il avait tenté de porter le corps de
Kleist au dela de l'Ourcq, mais Marmont et Mor–
tier, se jetant sur Kleist, l'avaient contraint de
repasser ce cours d'eau aprés une perte considé–
rable. Tandis que les deux maréchaux mainte–
naient ainsi leur position, Joseph leur envoyait
des renforts consistant en 7 mille fantassins et
quinze cents cavaliers soit de sa garde, soit de la
ligne. Ils avaientincorporé ces troupes le 1ermars,
et le 2, en voyant arriver Napoléon sur la l\farne,
ils se tenaient prets a a'gir selon ses ordres.
Blucher, placé au dela de la Marne et le long
de l'Ourcq qu'il n'avait pu forcer, se trouvait
done entre les deux maréchaux qui défendaient
l'Ourcq et Napoléon qui s'appretait a franchir la
Marne. Il avaitles meilleures raisons de se hater,
car
a
tout moment le danger allait croissant.
Néanmoins,
il
s'obstina, et perdit la journée
entiére du 2 mars
a
táter la ligne de l'Ourcq,